P. Rafiq Greiche: L’Église égyptienne appelée à une renaissance
Oasis, 30/05/2011 À peine le peuple égyptien a-t-il laissé éclater sa joie pour
s’être libéré de manière pacifique du dictateur qui pendant trente ans l’avait réprimé
et a permis à sa famille et à son entourage de piller les richesses de l’Égypte, l’affrontement
confessionnel a refait surface, et cette fois de manière beaucoup plus violente que
par le passé.
Le 3 mars 2011, moins de deux mois après le déclenchement de
la révolution, la rumeur d’une relation entre une femme musulmane et un chrétien s’est
répandue dans le village de Atfih (40 km du Caire). Quelques fanatiques islamistes
ont pris prétexte de ce fait pour mettre le feu à l’église de ce pauvre village. Ces
extrémistes appartiennent au courant salafiste, sorti à découvert après la révolution
du 25 janvier. Ce courant s’inspire du mouvement wahhabite saoudite et refuse les
traditions islamiques sunnites égyptiennes, considérées comme impies car trop proches
du chiisme. Le terme “salafiyya” laisse sous-entendre la promotion et l’application
de la sharia comme c’était le cas lors des premières générations de musulmans (salaf).
Le
gouvernement égyptien et la junte militaire ont géré cette crise de manière très improvisée
et sans même intenter un procès aux coupables des événements qui ont eu lieu dans
ce village, malgré l’incendie de l’église, l’assassinat de onze personnes et le fait
que 150 autres furent blessées. La junte militaire a fait réparer l’église incendiée
et l’a rendue accessible pour le jour de Pâques. Mais, depuis ce moment, les relations
islamo-chrétiennes ont commencé à se raidir, surtout parce que quelques jours après,
le 19 mars 2011, se tenait le référendum sur les réformes constitutionnelles à l’occasion
duquel les Frères Musulmans, les salafistes et les organisations du jihad ont montré
leur importance, en le transformant en un référendum sur la religion.
En réalité,
les thèmes à propos desquels les égyptiens étaient appelés à se prononcer étaient
différents, à savoir plus particulièrement la durée du mandat présidentiel et le choix
des jours durant lesquels se tiendront les élections. Mais les organisations islamiques
ont profité de la pauvreté des gens et de leur ignorance en affirmant dans les mosquées
que le “non” aurait déterminé la conversion de l’Égypte au christianisme, tandis qu’avec
le “oui” l’Égypte serait restée musulmane. Selon certaines rumeurs, une fois le référendum
terminé, les Frères Musulmans et les salafistes auraient commencé à demander la restitution
de madame Camelia, protagoniste d’une autre histoire qui remonte à deux ans. Selon
eux, l’Église copte orthodoxe aurait séquestré cette femme suite à sa conversion à
l’Islam, même si les autorités de Al-Azhar avaient précédemment nié sa conversion.
Les salafistes ont manifesté bruyamment en occupant une des plus grandes mosquées
du Caire, située à proximité de la Cathédrale et de la résidence papale de Sa Sainteté
Shenouda III.
Chaque vendredi, ils se sont retrouvés pour encercler la cathédrale
et la résidence durant des heures jusqu’à ce que l’armée intervienne. Madame Camelia
a alors brisé le silence en déclarant à la chaîne de télévision Al-hayât être chrétienne
et vouloir mourir chrétienne, n’avoir jamais changé de religion ni n’avoir jamais
été séquestrée, et vivre avec son mari, prêtre copte, et son fils au Caire. Le jour
suivant, selon d’autres rumeurs, une femme chrétienne mariée, la maîtresse d’un homme
musulman, aurait été enlevée dans une église du quartier de Embaba, au Caire. Les
salafistes ont alors demandé sa restitution, en manifestant devant l’église et en
finissant par ouvrir le feu et à lancer des cocktails molotov partout. Une église
fut détruite et une autre du même quartier fut incendiée tout comme plusieurs maisons
de chrétiens. Ce quartier populaire dans lequel vivent des musulmans et des chrétiens
s’est transformé en champ de bataille, ce qui a provoqué la mort de 15 personnes et
en a blessé 210. En outre, plus de 400 furent arrêtées par les autorités militaires
et la police.
L’Égypte a vécu une nuit sanglante. Le jour suivant, 200.000
chrétiens se sont réunis sur la place Tahrir, devant le bâtiment de la télévision
égyptienne, dans le quartier de Masbiru, devenu célèbre suite aux jets de pierres
et à la destruction de plusieurs voitures. Les chrétiens, jusqu’à aujourd’hui, continuent
à se retrouver là. Le Premier ministre a rendu visite aux chrétiens et leur a promis
d’enquêter sur les terribles histoires judiciaires de Embaba, d’ouvrir les églises
fermées auxquelles le précédent régime n’avait pas accordé les autorisations nécessaires,
et de promulguer endéans les trente jours une unique loi pour les lieux de culte.
Les
incidents confessionnel sont devenus trop nombreux en un laps de temps très court,
et le gouvernement et la junte militaire n’ont pas encore assumé une position claire,
peut-être pour éviter de soutenir une partie au détriment de l’autre. Il y a certainement
des agitateurs qui provoquent les désordres : il s’agit de salafistes et de certains
leaders des Frères Musulmans, dont le slogan est “L’Islam est la solution”. Certains
d’entre eux ont déclaré, qu’au cas où ils arriveraient au pouvoir, ils introduiraient
le Califat et appliqueraient les peines hadd (réglementées directement par le Coran,
ndr), s’ils avaient la possibilité de le faire.
Les enquêtes ont démontré que
les restes du Parti National de l’ex-président se trouveraient derrière les incidents
confessionnels dans le but de semer la confusion dans la société. L’Église catholique
est victime de la même tension étant donné qu’elle est engagée dans le même contexte.
La Commission du Patriarche et des Évêques catholiques s’est réunie pour discuter
de la situation et comprendre comment éduquer le peuple catholique à participer activement
aux prochaines élections afin d’élire des candidats clairvoyants et qui croient en
la liberté de leur prochain. Mais, il faut dire que le shaykh de Al-Azhar, l’imam
Al-Tayyib, abstraction faite de ses opinions personnelles et probablement sous la
pression d’éléments plus radicaux, ne perd aucune occasion pour répéter le gel du
dialogue avec le Vatican et pour inviter Benoît XVI à ne plus s’immiscer dans les
affaires égyptiennes, comme lorsqu’il demanda aux états européens de protéger les
chrétiens du Moyen-Orient. Déjà en 2008 et en 2009, l’imam avait tenu une série de
conférences à la télévision égyptienne sur la falsification de l’Évangile de la part
des chrétiens, accusés d’avoir éliminé les passages de l’Écriture où serait annoncée
la mission de Muhammad.
En 2006, il avait en outre attaqué le Pape durant
une rencontre avec l’Église catholique, suite à la leçon de Benoît XVI à Ratisbonne.
Enfin, il a récemment intégré à Al-Azhar, le shaykh Yusuf al-Qaradawi, connu pour
son intolérance et pour être un leader écouté par les salafistes, les Frères Musulmans
et d’autres groupes, ce qui pose de nombreuses interrogations à propos de sa conduite.
Malgré
ces difficultés, il y a des points positifs. Les musulmans modérés craignent l’arrivée
au pouvoir des salafistes et des Frères Musulmans, et ils sont préoccupés par la montée
de ces derniers et désireux de découvrir leurs intentions réelles. L’Égypte, grâce
à sa position géographique, est un lieu de passage pour de nombreuses religions et
cultures, une idée enracinée chez tous les égyptiens. Les égyptiens sont nombreux
à déclarer que les musulmans et les chrétiens sont une seule chose et à souhaiter
vivre dans l’harmonie et le respect d’autrui. Comme l’a dit un des Frères Musulmans
: « Je suis entré sur la place Tahrir comme “Frère” et j’en suis sorti “égyptien”
».
L’Église, surtout l’Église orthodoxe, doit pourtant redécouvrir sa propre
essence et accorder aux laïcs un rôle plus actif, en leur laissant davantage la liberté
d’exprimer leur volonté, et de jouer, comme tous, un rôle social et politique dans
la société et pas seulement à l’intérieur des murs de l’église. Après avoir vécu en
marge ou, pour tout dire, après s’être auto-marginalisés, les chrétiens doivent adhérer
aux partis, en particulier aux partis libéraux, et assumer la place qui leur revient
dans leur pays, en participant aux prochaines élections et en se formant une opinion
sur la situation que l’Égypte traverse.
Peut-être les événements actuels se
produisent-ils pour un bien plus grand et, comme le dit Jésus : « Ne crains pas, petit
troupeau ». J’ai confiance dans le fait que ces événements représentent le passage
vers une vie nouvelle et une Égypte nouvelle, capable de se renouveler avec ses citoyens
sous le signe de la liberté, de la dignité et de la solidarité humaine.