Le cardinal Sarr dénonce "l'effroyable gâchis humain" en Côte d'Ivoire
Exécutions absurdes ou pillages honteux : devant « l’effroyable gâchis humain » qui
s’est produit en Côte d’Ivoire, « l’Eglise manquerait à sa mission prophétique, si
sa voix se taisait par timidité, par lâcheté, ou par compromission ». Le Cardinal
Sarr, archevêque de Dakar et président de la conférence épiscopale régionale d’Afrique
de l’ouest, refuse de se taire et signe une déclaration « aux chrétiens et aux citoyens
des pays d’Afrique de l’Ouest, à leurs dirigeants, ainsi qu’à ceux du monde ». Le
cardinal Adrien Sarr interrogé par Olivier Tosseri
Texte intégral
de la déclaration du cardinal Sarr Dans toutes leurs églises à travers
le monde, les chrétiens catholiques ont célébré, hier Jeudi 21 Avril 2011, la scène
si parlante du Lavement des pieds de ses Apôtres par Jésus–Christ. Lui le Seigneur
et le Maître, à genoux devant chaque disciple pour lui laver les pieds, nous a adressé
un enseignement des plus éloquents sur le Pouvoir, qui est et doit toujours être service
des autres, et non service de soi.
Méditant cette scène évangélique, nous
n’avons pu nous empêcher de repenser aux récents et bien tristes évènements de la
Côte d’Ivoire, et à toutes les dérives de la soif démesurée du Pouvoir en Afrique
et ailleurs dans le monde. En communion avec les Evêques membres de la Conférence
Episcopale Régionale de l’Afrique de l’Ouest, la RECOWA-CERAO, j’adresse la présente
Déclaration aux chrétiens et aux citoyens des pays de notre Afrique de l’Ouest, à
leurs dirigeants, ainsi qu’à ceux du monde. Devant l’effroyable gâchis humain,
auquel nous avons tous assisté, à travers les évènements de la Côte d’Ivoire et de
la région, l’Eglise manquerait à sa mission prophétique, si sa voix se taisait par
timidité, par lâcheté, ou par compromission.
Nous condamnons
fermement et sans réserve toutes les dictatures et tous les impérialismes, quelles
que soient leurs couleurs. L’Eglise protestera toujours contre tous ceux qui abusent
d’un pouvoir, qui leur est confié. Elle protestera toujours contre toutes les dictatures
et les impérialismes ; elle protestera toujours contre tous les pouvoirs absolus et
corrompus. Elle protestera toujours contre la soif démesurée du pouvoir, qui amène
les dérives de toutes sortes. Elle désapprouvera toujours les chefs d’Etat, qui s’installent
présidents à vie, et organisent des élections souvent frauduleuses, pour se maintenir
au pouvoir.
Fidèles à l’enseignement de Jésus–Christ, nous proclamons
haut et fort : « Pas de pouvoir pour soi, mais le pouvoir pour son peuple ! Pas de
pouvoir pour se servir, se faire servir ou être servi, mais le pouvoir pour servir
les autres ! » Nous rappelons aux hommes politiques qu’ils ne peuvent détenir un
pouvoir absolu, mais un pouvoir régulé par des valeurs et des règles supérieures,
telles la paix du pays, le devoir de prévenir et soulager les souffrances des populations,
le respect absolu de la vérité des urnes… Nous sommes pour le respect absolu des lois
démocratiques et de la volonté du peuple, qui s’exprime à travers les urnes électorales.
Le cinquantième anniversaire de l’indépendance de plusieurs pays africains
à peine célébré, nous venons d’être témoins des bien tristes évènements de la Côte
d’Ivoire et d’ailleurs, parmi lesquels le piétinement et même la destruction des symboles
de la dignité et de la souveraineté d’une Nation…
De tels évènements
doivent amener tout un chacun à s’interroger sur le droit d’ingérence, ou le droit
d’intervention humanitaire au nom de la Communauté internationale. Au nom de notre
mission prophétique, nous rappelons, à l’Union Africaine et à l’Organisation des Nations
Unies, l’urgence d’élaborer des normes admises par tous, pour préciser les conditions
acceptables de toute ingérence politique ou intervention humanitaire dans un pays
souverain, afin que soient évitées à tout prix l’application de la loi des plus forts,
ou de la loi des deux poids deux mesures, ou encore la promotion camouflée d’intérêts
particuliers sous couvert de la Communauté des Nations.
Et maintenant,
au nom de Dieu qui « nous a donné pour ministère de travailler à la réconciliation
» (2 Co 5, 16-21), et dans le sillage du deuxième Synode Africain, qui a eu pour thème
« l’Eglise en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix
», nous lançons un appel pressant à tous les responsables politiques et religieux.
Qu’ils mettent en œuvre sans délai toutes les ressources éthiques de leur capital
social et religieux, pour la tâche de longue haleine, que sera la construction de
la paix véritable, par la promotion de la justice et de la réconciliation ; cette
paix dont le siège reste le cœur de chaque homme et de chaque femme.
Nous
souhaitons que ces responsables soient les premiers acteurs de la ʺCommission Vérité
et Réconciliationʺ, qui ne devrait pas tarder à être créée. Nous affirmons, avec le
Pape Benoît XVI, que « la violence et la haine sont toujours un échec », et constituent
« un chemin sans avenir ».
Méditant aujourd’hui, Vendredi 22
Avril 2011, la Passion et la Mort de Jésus-Christ, l’Innocent arrêté, condamné, maltraité
et exécuté injustement, nous prions et appelons à la prière pour toutes ces populations
de la Côte d’Ivoire, victimes d’exécutions absurdes, ou de pillages honteux, forcées
pour beaucoup à l’exil, hors de leur région ou de leur pays.
La guerre
est une injure à la sainteté de Dieu. Nous implorons sa miséricorde, tant sur les
victimes que sur les bourreaux. Nous lui demandons d’accorder à tous la transformation
des cœurs, qui rend possibles la reconnaissance des fautes, le pardon, la réconciliation
et la paix.
Enfin, nous en appelons vivement à la solidarité
active de tous les chrétiens, de toutes les communautés chrétiennes, et de toutes
les populations de l’Afrique de l’Ouest ! Nous recommandons en particulier, aux responsables
religieux, l’organisation urgente de collectes, dont les produits seront envoyés immédiatement
aux structures appropriées de la Côte d’Ivoire, pour le soulagement de tant de souffrances
humaines.
Les évènements que nous venons d’évoquer
et beaucoup d’autres, en Afrique et dans le monde, pourraient conduire à désespérer,
à pleurer sur notre condition humaine, parfois si mesquine et si misérable. Nous chrétiens,
nous nous préparons à célébrer Pâques, fête de la Résurrection de Jésus-Christ. Accueillant
et laissant grandir en nous l’amour de Celui, qui nous a aimés jusqu’au bout, en donnant
sa vie pour nous sauver, laissons-nous pousser par son Esprit sur les chemins de la
réconciliation, de la solidarité, de l’amour fraternel et de la paix, pour construire
l’Afrique nouvelle, que nous attendons de tous nos vœux.
« Afrique, lève-toi,
prends ton destin en mains, et marche !» (Message de la deuxième Assemblée spéciale
du Synode des Evêques – octobre 2009).
Fait à Dakar ce vendredi 22 avril
2011 Théodore Adrien Cardinal SARR, Archevêque de Dakar Président de la RECOWA-CERAO