Le Sénat français contre la légalisation de l'euthanasie, soulagement de l’Église
Le Sénat français s'est prononcé, dans la nuit du 25 au 26 janvier, contre la légalisation
de l'euthanasie, après un débat intense sur une proposition de loi qui voulait instaurer
"une assistance médicalisée pour mourir". Les membres de la commission des affaires
sociales, à l'origine de la discussion ont supprimé à la majorité l'article premier
qui prévoyait que "toute personne capable, majeure, en phase avancée ou terminale
d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une
souffrance physique ou psychique, qui ne peut être apaisée ou qu'elle juge insupportable"
puisse bénéficier d'une "assistance médicale à mourir", permettant "par un acte délibéré,
une mort rapide et sans douleur". Ces derniers jours, plusieurs évêques français ont
fait entendre leur voix. Mgr Bernard Podvin, porte-parole de la Conférence des évêques
de France, a ainsi souligné que "beaucoup de choses devaient être légalisées en un
Etat de droit. Mais pas ce qui relève de la plus intime, la plus ultime, et la plus
sacrée, des vulnérabilités existentielles !" C’est donc avec soulagement qu’il a accueilli
le rejet de cette proposition de loi. Écoutez Des propos recueillis
par Marie Leïla Coussa
A lire également la réflexion de plusieurs évêques
publiée par le site de la CEF
Le collectif « Plus digne la vie » a
lancé la semaine dernière une pétition intitulée « Manifeste citoyen pour la dignité
de la personne en fin de vie ». Sylvain Pourchet, membre du Conseil exécutif du collectif
et médecin responsable de l’unité des soins palliatifs de l’Hôpital Paul Brousse à
Villejuif a signé cette pétition. Il nous explique pourquoi il n’est pas d’accord
avec ce projet de loi. Propos recueillis
par Marie-Leila Coussa
Plusieurs personnalités avaient pris officiellement
position contre ce projet de loi. Au premier rang d’entre elles, le premier ministre
François Fillon qui, dans une tribune au quotidien le Monde a jugé une telle évolution
dangereuse.
Ce projet de loi relancait à nouveau le droit de demander la mort
et de la donner, alors que la loi Léonetti de 2005 avait refusé cette possibilité.
Cette loi votée le 22 avril 2005 ne mettait cependant pas un terme au débat. D'abord
parce qu'elle laissait quelques points discutables comme celui de l'alimentation artificielle
en fin de vie. Mais, plus encore, son auteur affirmait qu'il travaillait à la question
de « l'exception d'euthanasie » (La Croix, 7 avril 2008), ce qui veut dire que dans
certains cas le législateur pouvait autoriser à donner la mort. Dans le même temps
l'ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité) et son très influent
président revenaient sur cette loi parce qu'ils en étaient insatisfaits. C'est ainsi
qu'ils ont pu faire avancer un nouveau projet voté ce 18 janvier par la commission
des Affaires sociales du Sénat. Que dit ce projet ? L'article premier le résume
: « Toute personne capable majeure, en phase avancée ou terminale d'une affection
accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique
ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu'elle juge insupportable, peut demander
à bénéficier d'une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort
rapide et sans douleur ». Il s'agit bien de procurer la mort volontairement, de
tuer une personne. Bien entendu, dans la suite, les mots employés et les considérations
avancées se veulent très « soft », laissant entendre qu'il s'agit de rechercher le
bien des personnes malades et de leur éviter une fin tragique, prétendue indigne.
On affirme ne prendre en compte que des situations extrêmes et le faire dans la compassion.
L'appréciation des situations demeurera toujours subjective, surtout quand le texte
parle de souffrances « psychiques ». Par ailleurs le discours est séduisant puisque
la loi permettrait ainsi de « devenir maître de son parcours de fin de vie » ! Mais
que pouvons-nous répondre à cette nouvelle tentative puisque, depuis bientôt trente
ans (à l'époque avec le sénateur Caillavet, de Lot-et-Garonne, né en 1914, et aujourd'hui
militant à l'association « Ultime Liberté » ), de manière récurrente, ce courant de
pensée veut imposer à la société française une loi autorisant l'euthanasie. Pendant
sept ans j'ai eu la charge des d'hôpitaux et de la pastorale de la santé dans mon
d'origine. Le nombre de personnes en fin de vie avec des pathologies lourdes (sida,
cancer, etc.) que j'ai approchées - chrétiennes ou non - est important. J'ai vu des
situations insoutenables. Je compte sur les doigts d'une main les personnes qui ont,
à un moment, demandé vraiment la mort. J'ajoute que c'était la période où se mettaient
en place - avec beaucoup d'oppositions et de difficultés - les soins palliatifs. Chaque
fois que l'équipe des soins palliatifs pouvait intervenir, la personne retrouvait
la paix. Malheureusement les efforts réalisés pour les soins palliatifs sont encore
insuffisants. La demande de mort est un appel, l'expression d'une détresse, le besoin
d'être accompagné. Si les soins palliatifs et l'entourage prennent en charge assez
tôt cet accompagnement, la fin de la vie n'est plus une tragédie, même si mourir est
toujours un passage angoissant. Au-delà de cette expérience personnelle rapidement
évoquée, il y a les principes même du vivre ensemble que le droit de tuer remet de
fait en question.
La médecine La médecine est faite pour soigner. Comment
lui demander de poser un acte de mort ? Quelle confiance pourrait avoir le patient
devant la blouse blanche qui entre dans sa chambre ? Quelle perspective que de faire
disparaître le malade qui est trop gênant ? Comment des « soignants » peuvent-ils
devenir des « tueurs » (même en douceur !). Les tenants de l'euthanasie répondront
que si le geste est légal les soignants n'auront pas d'états d'âme ou de scrupules
de conscience. Une connaissance élémentaire de l'être humain nous apprend le contraire
: un acte de mort reste toujours un poids pour celui qui le commet. La souffrance Comment
apprécier le caractère « insupportable » d'un mal, sachant que la douleur physique
doit être soulagée et peut l'être si le suivi palliatif est rigoureux. Comment juger
des opinions très contradictoires de la personne malade et de son entourage ? Quelles
pressions imaginer sur celle-ci ? Les psychologues, les études sur les réactions des
malades en phase terminale montrent des variations très grandes, depuis le déni de
la maladie jusqu'aux pensées suicidaires. Il n'est pas possible de tenir pour certaine
une demande de mort. Ces dernières années l'un ou l'autre cas de situations extrêmes
(affaires Humbert, Sébire ) exploitées médiatiquement où il y avait une demande publique
d'aide à mourir ont montré, une fois l'émotion passée, l'ambiguïté de ces cas. Ils
sont d'ailleurs très rares et aussitôt survalorisés parce que les militants de l'euthanasie
en ont besoin pour justifier leur revendication. Le principe d'humanité Reprenant
ce titre à un écrivain connu (Jean-Claude Guillebaud) je remarque que je n'ai pas
besoin d'invoquer la foi chrétienne pour affirmer que donner la mort volontairement
est contraire au principe d'humanité, au pacte social qui permet le vivre-ensemble.
C'est, en effet, de l'être humain qu'il s'agit et de la solidarité humaine : lorsque
la loi permet de tuer (au nom d'un bien mais quel bien ?) elle donne à des êtres humains
pouvoir absolu sur d'autres. Le fait d'être une équipe, dans un hôpital, avec des
« spécialistes » ne change rien à la réalité. La mort programmée d'une personne, que
cette équipe va désigner comme « indigne » de vivre, en raison de son état d'anéantissement
physique ou psychique (cf. le projet de loi), est un crime. Au nom de l'humanité,
au nom du respect de toute vie humaine jusqu'à sa fin naturelle, au nom de la solidarité
avec les plus faibles, nous devons proclamer la « dignité » intangible de chaque être
humain. L'oublier c'est entrer dans la barbarie. Le 21 janvier 2011 (pour le
Bulletin Catholique n° 2 du de Montauban du 26 janvier 2011)