Les chrétiens se mobilisent contre le projet de loi de légalisation de l'euthanasie
En France, le projet de loi pour légaliser l’euthanasie sera examiné ce mardi par
les sénateurs. Intitulé « aide active à mourir », le texte prévoit la légalisation
de l’euthanasie pour des personnes en fin de vie et pour des personnes qui se trouveraient
en « phase avancée d’une pathologie grave et incurable ». Cette proposition de
loi a déjà été adoptée la semaine dernière par la commission des affaires sociales
du Sénat. Demain, c’est la chambre haute qui doit se prononcer en séance plénière.
Un projet de loi qui suscite de nombreuses polémiques. Le collectif « Plus digne
la vie » a lancé il y a une semaine une pétition intitulée « Manifeste citoyen pour
la dignité de la personne en fin de vie ». Sylvain Pourchet, membre du Conseil exécutif
du collectif et médecin responsable de l’unité des soins palliatifs de l’Hôpital Paul
Brousse à Villejuif a signé cette pétition. Il nous explique pourquoi il n’est pas
d’accord avec ce projet de loi. Propos recueillis
par Marie-Leila Coussa
Plusieurs personnalités ont pris officiellement position
contre ce projet de loi. Au premier rang d’entre elles, le premier ministre François
Fillon qui, dans une tribune au quotidien le monde juge une telle évolution dangereuse.
Sur RMC, le ministre du travail Xavier Bertrand a déclaré qu’il n’était pas favorable
non plus à ce texte. Quant à l’Académie de médecine, elle dit redouter des dérives,
y compris la tentation d’utiliser la loi à des fins économiques. (avec La Croix)
A
lire également la réflexion de l'évêque de Montauban, Mgr Bernard Ginoux, publiée
par le site de la CEF
Ce projet, qui a donc été ecarté, relancait à nouveau
le droit de demander la mort et de la donner, alors que la loi Léonetti de 2005 avait
refusé cette possibilité. Cette loi votée le 22 avril 2005 ne mettait cependant pas
un terme au débat. D'abord parce qu'elle laissait quelques points discutables comme
celui de l'alimentation artificielle en fin de vie. Mais, plus encore, son auteur
affirmait qu'il travaillait à la question de « l'exception d'euthanasie » (La Croix,
7 avril 2008), ce qui veut dire que dans certains cas le législateur pouvait autoriser
à donner la mort. Dans le même temps l'ADMD (Association pour le droit de mourir dans
la dignité) et son très influent président revenaient sur cette loi parce qu'ils en
étaient insatisfaits. C'est ainsi qu'ils ont pu faire avancer un nouveau projet voté
ce 18 janvier par la commission des Affaires sociales du Sénat. Que dit ce projet
? L'article premier le résume : « Toute personne capable majeure, en phase avancée
ou terminale d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui
infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu'elle
juge insupportable, peut demander à bénéficier d'une assistance médicalisée permettant,
par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur ». Il s'agit bien de procurer
la mort volontairement, de tuer une personne. Bien entendu, dans la suite, les
mots employés et les considérations avancées se veulent très « soft », laissant entendre
qu'il s'agit de rechercher le bien des personnes malades et de leur éviter une fin
tragique, prétendue indigne. On affirme ne prendre en compte que des situations extrêmes
et le faire dans la compassion. L'appréciation des situations demeurera toujours subjective,
surtout quand le texte parle de souffrances « psychiques ». Par ailleurs le discours
est séduisant puisque la loi permettrait ainsi de « devenir maître de son parcours
de fin de vie » ! Mais que pouvons-nous répondre à cette nouvelle tentative puisque,
depuis bientôt trente ans (à l'époque avec le sénateur Caillavet, de Lot-et-Garonne,
né en 1914, et aujourd'hui militant à l'association « Ultime Liberté » ), de manière
récurrente, ce courant de pensée veut imposer à la société française une loi autorisant
l'euthanasie. Pendant sept ans j'ai eu la charge des d'hôpitaux et de la pastorale
de la santé dans mon d'origine. Le nombre de personnes en fin de vie avec des pathologies
lourdes (sida, cancer, etc.) que j'ai approchées - chrétiennes ou non - est important.
J'ai vu des situations insoutenables. Je compte sur les doigts d'une main les personnes
qui ont, à un moment, demandé vraiment la mort. J'ajoute que c'était la période où
se mettaient en place - avec beaucoup d'oppositions et de difficultés - les soins
palliatifs. Chaque fois que l'équipe des soins palliatifs pouvait intervenir, la personne
retrouvait la paix. Malheureusement les efforts réalisés pour les soins palliatifs
sont encore insuffisants. La demande de mort est un appel, l'expression d'une détresse,
le besoin d'être accompagné. Si les soins palliatifs et l'entourage prennent en charge
assez tôt cet accompagnement, la fin de la vie n'est plus une tragédie, même si mourir
est toujours un passage angoissant. Au-delà de cette expérience personnelle rapidement
évoquée, il y a les principes même du vivre ensemble que le droit de tuer remet de
fait en question.
La médecine La médecine est faite pour soigner. Comment
lui demander de poser un acte de mort ? Quelle confiance pourrait avoir le patient
devant la blouse blanche qui entre dans sa chambre ? Quelle perspective que de faire
disparaître le malade qui est trop gênant ? Comment des « soignants » peuvent-ils
devenir des « tueurs » (même en douceur !). Les tenants de l'euthanasie répondront
que si le geste est légal les soignants n'auront pas d'états d'âme ou de scrupules
de conscience. Une connaissance élémentaire de l'être humain nous apprend le contraire
: un acte de mort reste toujours un poids pour celui qui le commet. La souffrance Comment
apprécier le caractère « insupportable » d'un mal, sachant que la douleur physique
doit être soulagée et peut l'être si le suivi palliatif est rigoureux. Comment juger
des opinions très contradictoires de la personne malade et de son entourage ? Quelles
pressions imaginer sur celle-ci ? Les psychologues, les études sur les réactions des
malades en phase terminale montrent des variations très grandes, depuis le déni de
la maladie jusqu'aux pensées suicidaires. Il n'est pas possible de tenir pour certaine
une demande de mort. Ces dernières années l'un ou l'autre cas de situations extrêmes
(affaires Humbert, Sébire ) exploitées médiatiquement où il y avait une demande publique
d'aide à mourir ont montré, une fois l'émotion passée, l'ambiguïté de ces cas. Ils
sont d'ailleurs très rares et aussitôt survalorisés parce que les militants de l'euthanasie
en ont besoin pour justifier leur revendication. Le principe d'humanité Reprenant
ce titre à un écrivain connu (Jean-Claude Guillebaud) je remarque que je n'ai pas
besoin d'invoquer la foi chrétienne pour affirmer que donner la mort volontairement
est contraire au principe d'humanité, au pacte social qui permet le vivre-ensemble.
C'est, en effet, de l'être humain qu'il s'agit et de la solidarité humaine : lorsque
la loi permet de tuer (au nom d'un bien mais quel bien ?) elle donne à des êtres humains
pouvoir absolu sur d'autres. Le fait d'être une équipe, dans un hôpital, avec des
« spécialistes » ne change rien à la réalité. La mort programmée d'une personne, que
cette équipe va désigner comme « indigne » de vivre, en raison de son état d'anéantissement
physique ou psychique (cf. le projet de loi), est un crime. Au nom de l'humanité,
au nom du respect de toute vie humaine jusqu'à sa fin naturelle, au nom de la solidarité
avec les plus faibles, nous devons proclamer la « dignité » intangible de chaque être
humain. L'oublier c'est entrer dans la barbarie. Le 21 janvier 2011 (pour le
Bulletin Catholique n° 2 du de Montauban du 26 janvier 2011)