L’influence du cardinal Ratzinger sur la révision du système pénal canonique
L’osservatore Romano et la revue jésuite Civilta Cattolica ont publié ce jeudi un
texte de Monseigneur Ignacio Arrieta, secrétaire du conseil pontifical pour les textes
législatifs. Il montre en quoi le cardinal Ratzinger, à l’époque où il était préfet
de la congrégation pour la doctrine de la foi, a eu un rôle fondamental dans le renouvellement
de la discipline pénale dans l’Eglise, pour la rendre plus rapide et plus efficace
notamment pour faire face aux cas de prêtres qui se seraient rendus coupables de comportements
graves et scandaleux. Voici le document dans son intégralité
S.E. Monseigneur
Juan Ignacio Arrieta, Secrétaire du Conseil pontifical pour les Textes Législatifs
Dans
les prochaines semaines, le Conseil pontifical pour les Textes législatifs enverra
à ses Membres et à ses Consulteurs un projet contenant quelques propositions pour
la réforme du Livre VI du Code de Droit canonique, qui est la base du système pénal
de l'Église. Une Commission d’experts pénalistes a travaillé pendant presque deux
ans à la révision du texte promulgué en 1983, à la lumière des nécessités apparues
au cours des années qui ont suivi. Le but est de conserver la structure générale et
la numération successive des canons, mais aussi, en même temps, de modifier de manière
décisive quelques choix de l’époque qui se sont révélés par la suite moins appropriés.
Cette
initiative – dont l’application définitive devra attendre l’achèvement des consultations
de rigueur avant d’être présentée à l’approbation éventuelle du Législateur suprême
– a pour origine le mandat explicite confié au Président et au Secrétaire du Conseil
pontifical par Sa Sainteté le Pape Benoît XVI, au cours de la première audience accordée
aux nouveaux Supérieurs du Dicastère, le 28 septembre 2007, à Castel Gandolfo. À partir
du déroulement de cette rencontre, et des problèmes concrets d’ordre technique qui
en naquirent spontanément, il apparut clairement que cette indication correspondait
à une conviction profonde du Souverain Pontife, mûrie au long d’années d’expérience
directe, ainsi qu’à une préoccupation de préservation de l’intégrité et de l’application
cohérente de la discipline au sein de l'Église. Conviction et préoccupation qui –
comme on le verra par la suite – ont guidé les pas du Pontife actuel dès le début
de son travail comme Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, malgré
des difficultés objectives provenant, entre autres, du moment législatif particulier
que vivait alors l'Église, au lendemain de la promulgation du Code de Droit Canonique,
en 1983. Pour mieux en prendre la mesure, il convient de rappeler quelques particularités
du cadre législatif qui, à l’époque, venait tout juste d’être redéfini.
Le
système pénal du Code de 1983 Le système pénal du Code de 1983 est doté d’une
structure substantiellement nouvelle par rapport au précédent Codex de 1917, et il
s’insère dans le contexte ecclésiologique défini par le Concile Vatican II. À présent,
pour ce qui nous concerne, la discipline pénale veut s’inspirer également des critères
de subsidiarité et de « décentralisation » (5e Principe directeur pour la Révision
du CIC approuvé par le Synode des Évêques de 1967), concept utilisé pour indiquer
l’attention spéciale réservée au droit particulier et, surtout, à l’initiative de
chaque Évêque dans le gouvernement pastoral, puisque, selon l’enseignement du Concile
(LG n. 27), les Évêques sont les vicaires du Christ dans leurs diocèses respectifs.
Dans la plupart des cas, en effet, le Code confie à l’appréciation des Ordinaires
du lieu et des Supérieurs religieux le discernement sur l’opportunité ou non d’imposer
des sanctions pénales, et sur la manière de le faire dans les cas concrets. Mais
un autre facteur a marqué, de manière encore plus profonde, le nouveau Droit pénal
canonique : ce sont les formalités juridiques et les modèles de garantie établis pour
appliquer les peines canoniques (6° et 7° des Principes directeurs pour la Révision
du CIC). Conformément à l’énoncé des droits fondamentaux de tous les baptisés, qui,
pour la première fois, apparaissait dans le Code, furent en effet adoptés alors des
systèmes de protection et de sauvegarde de ces droits – en partie tirés de la tradition
canonique de l'Église et en partie déduits d’autres expériences juridiques -, parfois
d’une manière qui ne correspondait pas totalement à la réalité de l'Église dans le
monde entier. Les garanties sont incontournables, en particulier dans le système pénal
; toutefois il faut qu’elles soient équilibrées et qu’elles permettent aussi la préservation
effective de l’intérêt collectif. L’expérience ultérieure a montré que certaines techniques
mises en œuvre par le Code pour garantir les droits n’étaient pas incontournables
pour assurer leur sauvegarde de la manière que la Justice exige, et qu’elles auraient
pu être substituées par d’autres garanties plus en harmonie avec la réalité ecclésiale
; à l’inverse, ces techniques représentaient, en divers cas, un obstacle objectif,
parfois insurmontable à cause du manque de moyens, à l’application effective du système
pénal. Aussi paradoxale que puisse paraître maintenant une telle constatation,
on pourrait dire que le Livre VI sur les sanctions pénales, est, parmi les Livres
du Code, celui qui a le moins « bénéficié » des continuelles variations normatives
qui ont caractérisé la période postconciliaire. D’autres secteurs de la discipline
canonique, en effet, eurent à cette époque-là la possibilité d’être confrontés à la
réalité concrète de l'Église à travers différentes normes ad experimentum, qui permirent
par la suite d’évaluer les résultats, positifs ou négatifs, au moment de rédiger les
normes définitives du Code ; le nouveau système pénal, à l’inverse, tout en étant
« tout à fait nouveau », ou presque, par rapport au précédent, s’est vu privé de cette
« opportunité » de recourir à l’expérimentation, si bien qu’il partit pratiquement
« de zéro » en 1983. Le nombre des délits caractérisés avait été réduit de manière
drastique aux seuls comportements d’une gravité spéciale, et l’imposition des sanctions,
soumise aux critères d’appréciation de chaque Ordinaire, qui étaient inévitablement
différents. De plus, il faut ajouter que dans ce secteur de la discipline canonique
se faisait sentir fortement – et ce, encore aujourd’hui – l’influence d’un anti-juridisme
diffus, qui se traduisait, entre autres, par la difficulté « fictive » de réussir
à concilier les exigences de la Charité pastorale avec celles de la Justice et du
bon gouvernement. Au point que dans leur rédaction certains canons du Code lui-même
contiennent en effet des invitations à la tolérance qui pourraient parfois être indûment
vues comme une volonté de dissuader l’Ordinaire de l’utilisation des sanctions pénales,
là où cela serait nécessaire pour des exigences de justice. Ces indications, qui
ont besoin évidemment d’être nuancées, même s’il n’est pas possible de le faire en
quelques lignes, présentent, en termes généraux, quelques lignes de force du système
pénal contenu dans le Code actuel, lequel s’insérait en outre dans le contexte général
d’autres importantes innovations disciplinaires ou de gouvernement, promues, certes
par le Concile Vatican II, mais « cristallisées » seulement au moment de la promulgation
du Code.
La requête de la Doctrine de la Foi (février 1988) Dans ce
cadre législatif, que j’ai essayé d’illustrer, une lettre, adressée le 19 février
1988 par le Préfet de ce qui était alors la Congrégation pour la Doctrine de la Foi,
le Cardinal Joseph Ratzinger, au Président de ce qui était alors la Commission pour
l’Interprétation authentique du Code de Droit Canonique, représenta un élément évident
de contraste. Il s’agit d’un document important et unique, où sont dénoncées les conséquences
négatives que commençaient à produire dans l'Église certaines options du système pénal
établi à peine cinq ans plus tôt. Cet écrit est réapparu dans le cadre des travaux
réalisés ces temps-ci par le Conseil pontifical pour les Textes législatifs afin de
revoir le Livre VI. Le motif de la lettre est bien circonscrit. La Congrégation
pour la Doctrine de la Foi, était, à cette époque, compétente pour étudier les demandes
de dispense des obligations sacerdotales liées à l’ordination. Cette dispense était
accordée comme un geste maternel de grâce de la part de l'Église, après avoir, d’une
part, examiné attentivement l’ensemble de toutes les circonstances concomitantes dans
chaque cas, et, d’autre part, pesé la gravité objective des engagements pris devant
Dieu et devant l'Église au moment de l’ordination sacerdotale. Les circonstances qui
motivaient certaines demandes de dispense de ces obligations, toutefois, ne méritaient
absolument pas des actes de grâce. Le texte de la lettre est à cet égard suffisamment
éloquent sur cette problématique : Éminence, ce Dicastère, dans l’examen des demandes
de dispense des obligations sacerdotales, est confronté au cas de prêtres qui, durant
l’exercice de leur ministère, se sont rendus coupables de comportements graves et
scandaleux, pour lesquels le CIC, après la procédure de rigueur, prévoit que soient
infligées des peines déterminées, sans exclure la réduction à l’état laïc. Ces
mesures, de l’avis de ce Dicastère, devraient, dans de tels cas, pour le bien des
fidèles, précéder l’éventuelle concession de la dispense sacerdotale qui, de par sa
nature, apparaît comme une « grâce » accordée à celui qui la demande. Mais, compte
tenu de la complexité de la procédure prévue à ce sujet par le Code, il est à prévoir
que certains Ordinaires trouvent de grandes difficultés à la mettre en œuvre. Je
serais donc très reconnaissant à Votre Éminence de bien vouloir me faire connaître
son avis – apprécié – quant à l’éventuelle possibilité de prévoir, en des cas bien
déterminés, une procédure plus rapide et simplifiée. Cette lettre reflète, avant
tout, la répugnance instinctive du système de Justice à concéder comme « acte de grâce
» (la dispense des obligations sacerdotales) quelque chose qu’il faut, au contraire,
imposer comme une peine (démission ex poena de l’état clérical). En voulant éviter
en effet les « complications techniques » des procédures prévues par le Code pour
punir des conduites délictueuses, on faisait parfois appel à la requête « volontaire
» du coupable d’abandonner le sacerdoce. De cette manière, on arrivait, pour ainsi
dire, au même résultat « pratique », celui d’expulser le sujet du sacerdoce – si telle
était la sanction pénale prévue -, en contournant en même temps des procédures juridiques
« ennuyeuses ». C’était une manière « pastorale » d’agir, disait-on dans ces cas,
en marge de ce que prévoyait le droit. En agissant ainsi, toutefois, on renonçait
aussi à la Justice et, - comme le motivait le Cardinal Ratzinger – « le bien des fidèles
» étaient injustement mis de côté. C’était bien là le motif central de la requête,
et non seulement la raison pour laquelle il fallait donner une priorité, dans ces
cas, à l’imposition de justes sanctions pénales au moyen de procédures plus rapides
et simplifiées que celles indiquées dans le Code de Droit Canonique. Il faut tenir
compte du fait que, bien que le Code reconnaisse à la Congrégation pour la Doctrine
de la Foi une juridiction spécifique en matière pénale (can. 1362 § 1,1° CIC), y compris
en dehors des cas de caractère doctrinal évident, par exemple les délits d’hérésie
- ainsi que les délits plus graves concernant le sacrement de la Pénitence, comme
le délit de la sollicitation - il n’apparaissait pas du tout clairement, dans le contexte
normatif d’alors, quels autres délits concrets pouvaient entrer dans les compétences
pénales de ce Dicastère. Le canon 6 du Code avait, par ailleurs, abrogé expressément
toute autre loi pénale existant auparavant : « avec l’entrée en vigueur de ce Code
sont abrogés… toute loi pénale quelle qu’elle soit, universelle ou particulière émise
par le Siège Apostolique, à moins qu’elle ne soit reprise par ce même Code » ; et,
de plus, les normes de la Constitution apostolique Regimini Ecclesiae universae, de
1967, qui déterminaient la compétence des Dicastères de la Curie Romaine, se limitaient
à confier à la Congrégation la tâche de « conserver la doctrine concernant la foi
et les mœurs dans tout le monde catholique » (art. 29). La lettre du Préfet de
la Congrégation suppose donc que la responsabilité juridique en matière pénale retombe
sur les Ordinaires ou sur les Supérieurs religieux, comme le montre la lecture du
Code.
La réponse de la Commission pontificale pour l’Interprétation (mars
1988) En moins de trois semaines, par lettre du 10 mars 1988, arriva la réponse
de la Commission pontificale. La rapidité et le contenu de la réponse sont compréhensibles
compte tenu du moment législatif particulier : le travail de codification qui avait
occupé la Commission pendant des années, venait à peine d’être terminé et, de fait,
il restait encore à compléter toutes les adaptations à la nouvelle discipline canonique
des autres normes du droit universel et particulier, sans compter celles qui étaient
propres aux autres institutions du gouvernement de l'Église. La réponse, bien évidemment,
partageait les motivations adoptées et le bien fondé du critère d’appliquer les sanctions
pénales avant d’accorder des grâces ; toutefois, il était inévitable qu’elle confirme
aussi la nécessité prioritaire, pour ceux qui avaient l’autorité et le pouvoir juridique,
de donner la suite qui leur était due aux normes du Code qui venait d’être promulgué. Le
texte que le Président, alors en exercice, de la Commission pontificale envoya au
Cardinal Préfet de la Doctrine de la Foi témoignait aussi de la situation du moment
: Je comprends bien la préoccupation de Votre Éminence au sujet du fait que les
Ordinaires concernés n’aient pas d’abord exercé leur pouvoir judiciaire pour punir,
comme il se doit, en vue de préserver le bien commun des fidèles, de tels délits.
Toutefois, il ne semble pas s’agir ici d’un problème de procédure juridique mais d’un
exercice responsable de la fonction de gouvernement. Dans le Code en vigueur ont
été clairement définis les délits qui peuvent impliquer la perte de l’état clérical
: ceux-ci sont décrits aux canons 1364 § 1, 1367, 1370, 1387, 1394 et 1395. En même
temps, la procédure, par rapport aux précédentes normes du CIC de 1917 a été très
simplifiée et rendue plus rapide et souple, afin de stimuler les Ordinaires dans l’exercice
de leur autorité, par le jugement nécessaire des coupables « ad normam iuris » et
l’application des sanctions prévues. S’efforcer de simplifier davantage la procédure
judiciaire pour infliger ou déclarer des sanctions aussi graves que la démission de
l’état clérical, ou encore, modifier la norme actuelle du can. 1342 § 2, qui interdit
dans ces cas de procéder par décret administratif extrajudiciaire (cf. can. 1720),
ne semble pas du tout souhaitable. En effet, d’une part, le droit fondamental de défense
serait alors mis en danger – dans des causes qui concernent l’état de la personne
-, tandis que, d’autre part, serait favorisée ainsi la tendance néfaste – liée sans
doute à une faible connaissance ou estime du droit – à un soi-disant gouvernement
« pastoral » équivoque, qui au fond n’a rien de pastoral car il conduit à négliger
le nécessaire exercice de l’autorité au détriment du bien commun des fidèles. Même
en d’autres périodes difficiles de la vie de l'Église, marquées par l’obscurcissement
des consciences et le relâchement de la discipline ecclésiastique, les Pasteurs n’ont
pas manqué d’exercer leur pouvoir judiciaire, pour conserver le bien suprême du «
salus animarum ». La lettre fait ensuite un excursus sur le débat qui, au cours
des travaux de révision du Code, s’était développé avant de décider de ne pas y insérer
la démission dite « ex officio » de l’état clérical. On était d’avis, en effet, que
les causes qui pourraient justifier une telle procédure « ex officio » étaient presque
toutes décrites dans les délits pour lesquels était prévue la démission de l’état
clérical (cf. Communicationes 14 [1982] 85), si bien que, pour ce motif même, les
nouvelles Normes concernant la dispense du célibat sacerdotal, du 14 octobre 1980
(AAS 72 [1980] 1136-1137), ne faisaient même pas allusion à cette procédure, qui,
à l’inverse, était admise dans les Normes précédentes de 1971 (AAS 63 [1971] 303-308). Tout
bien considéré – concluait la réponse – la Commission pontificale est d’avis qu’il
soit opportun d’insister auprès des Évêques (cf. can. 1389) afin que, toutes les fois
où cela s’avère nécessaire, ils ne manquent pas d’exercer leur pouvoir judiciaire
et de contrainte, au lieu de transmettre au Saint-Siège les demandes de dispense. Tout
en partageant l’exigence de fond de protéger « le bien commun des fidèles », la Commission
pontificale pensait en effet qu’il était risqué de renoncer à certaines garanties
concrètes au lieu d’exhorter ceux qui en avaient la responsabilité à appliquer les
dispositions du droit. L’échange de lettres entre les Dicastères se termina, à
l’époque, par une réponse courtoise, du 14 mai suivant, du Préfet de la Congrégation
au Président de la Commission pontificale : Je suis heureux de vous faire savoir
que notre Dicastère a bien reçu l’avis apprécié que vous avez donné à propos de la
possibilité de prévoir une procédure plus rapide et simplifiée que l’actuelle pour
l’application d’éventuelles sanctions de la part des Ordinaires compétents, à l’égard
de prêtres qui se sont rendus coupables de comportements graves et scandaleux. Je
puis assurer Votre Éminence que la Congrégation ne manquera pas de prendre attentivement
en considération ce que vous avez indiqué.
La Pastor Bonus étend les compétences
de la Congrégation (juin 1988) Le débat semblait formellement clos, mais le problème
n’était pas résolu. De fait, le premier signe important de changement de la situation
vint, par une voie différente, précisément un mois après, avec la promulgation de
la Constitution apostolique Pastor Bonus qui modifiait l’organisation générale de
la Curie Romaine, établie en 1967 par la Regimini ecclesiae universae, en redistribuant
les compétences des divers Dicastères. L’art. 52 de cette norme pontificale, encore
en vigueur aujourd’hui, prévoit clairement la juridiction pénale exclusive de la Congrégation
pour la Doctrine de la Foi, non seulement en ce qui concerne les délits contre la
foi ou dans la célébration des Sacrements, mais aussi en ce qui concerne les « délits
les plus graves commis contre la morale ». La Congrégation pour la Doctrine de la
Foi « juge les délits contre la foi et les délits les plus graves commis soit contre
la morale soit dans la célébration des Sacrements, qui lui sont signalés et, en l’occurrence,
elle déclare ou inflige les sanctions canoniques prévues soit par le droit commun
soit par le droit propre » (art. 52 Pastor Bonus). Ce texte, évidemment proposé
par la Congrégation présidée par le Cardinal Ratzinger à partir de sa propre expérience,
est en relation directe avec ce que nous sommes en train de voir et il acquiert une
signification plus grande encore si l’on tient compte du fait que le précédent « projet
» de cette loi – le Schema Legis Peculiaris de Curia Romana, préparé trois ans auparavant
-, se limitait pratiquement à reprendre la formulation des compétences de ce Dicastère
telle qu’elles étaient exposées en 1967 dans Regimini, disant simplement que la Congrégation
: « delicta contra fidem cognoscit, atque ubi opus fuerit ad canonicas sanctiones
declarandas aut irrogandas, ad normam iuris procedit » (art. 36 Schema Legis Peculiaris
de Curia Romana, Typis Polyglottis Vaticanis 1985, p. 35). Par rapport à la situation
précédente, donc, le changement apporté par la Constitution apostolique Pastor Bonus
revêt une grande importance, d’autant plus que, cette fois, il était effectué dans
la perspective normative du Code de 1983 et en référence aux délits qui y sont décrits,
en plus du « droit propre » de la Congrégation elle-même. Dans un cadre normatif réglé
par les fameux critères de « subsidiarité » et de « décentralisation », la Constitution
apostolique Pastor Bonus constituait alors un acte juridique qui « réservait » au
Saint-Siège (cf. can. 381 § 1 CIC) toute une catégorie de délits, que le Souverain
Pontife confiait à la juridiction exclusive de la Congrégation pour la Doctrine de
la Foi. Il est improbable qu’un choix de ce genre, qui définissait mieux les compétences
de la Congrégation et modifiait le critère du Code concernant celui qui devait appliquer
ces peines canoniques, aurait pu être fait si le système avait, d’une manière générale,
bien fonctionné. Cette norme, toutefois, était encore insuffisante sur le plan
opérationnel. D’élémentaires exigences de sécurité juridique imposaient en effet la
nécessité d’identifier en premier lieu quels pouvaient être concrètement ces « délits
les plus graves » aussi bien ceux contre la morale que ceux commis dans la célébration
des sacrements que la Constitution apostolique Pastor Bonus confiait à présent à la
Congrégation en les enlevant à la juridiction des Ordinaires.
Deux importantes
interventions postérieures Les épisodes évoqués jusqu’à présent concernent, comme
on l’a vu, un bref laps de temps : quelques mois de la première moitié de 1988. Au
cours des années qui ont suivi – d’une manière générale – on s’est encore efforcé
de faire face aux urgences apparues dans le cadre pénal de l'Église en suivant les
critères généraux du Code de 1983, substantiellement résumés dans la lettre de la
Commission pontificale pour l’Interprétation du Code de Droit Canonique. On prit soin,
en effet, d’encourager l’intervention des Ordinaires du lieu, en voulant parfois faciliter
les procédures ou bien en introduisant un droit spécial, en dialogue essentiellement
avec les Conférences épiscopales intéressées. Durant les années 1990, les réunions
et les projets de ce genre se sont multipliés, concernant divers Dicastères de la
Curie Romaine et il est facile de le montrer. L’expérience qui continuait à prévaloir
confirmait toutefois l’insuffisance de ces solutions et la nécessité d’en trouver
d’autres, qui soient plus amples et se situent à un autre niveau. Deux d’entre elles,
d’une manière particulière, ont modifié de façon significative le cadre du Droit pénal
canonique sur lequel le Conseil pontifical pour les Textes législatifs a dû travailler
ces derniers mois. Et, toutes deux ont pour requérant l’actuel Pontife, dans une parfaite
continuité avec les préoccupations exprimées dans la lettre de 1988 que nous avons
considérée. La première initiative, désormais assez connue, concerne la préparation,
durant la dernière période des années 90, des Normes sur ce qu’on appelle les delicta
graviora, qui ont permis de rendre effectif l’art. 52 de la Constitution apostolique
Pastor Bonus, en indiquant concrètement quels délits contre la morale et quels délits
commis dans la célébration des sacrements devaient être considérés « particulièrement
graves », et donc de la juridiction exclusive de la Congrégation pour la Doctrine
de la Foi. Ces Normes, finalement promulguées en 2001, apparaissent nécessairement
« à contre-courant » par rapport aux critères prévus par le Code pour l’application
des sanctions pénales, si bien qu’en de nombreux milieux elles furent immédiatement
qualifiées de Normes « centralisatrices », alors qu’en réalité, elles répondaient
à une obligation précise de « suppléance », qui tentait, in primis, de résoudre un
grave problème ecclésial de fonctionnement du système pénal, et, in secundis, d’assurer
un traitement uniforme de ce genre de causes dans toute l'Église. Dans ce but, la
Congrégation dut préparer en premier lieu les normes internes de procédure correspondantes,
et également réorganiser le Dicastère pour lui permettre d’exercer cette activité
judiciaire en accord avec les règles de procédure du Code. En outre, au cours
des années qui suivirent 2001, et sur la base de l’expérience juridique qui naissait,
le Préfet de la Congrégation de l’époque obtint du Saint-Père de nouvelles facultés
et dispenses pour faire face aux diverses situations, aboutissant même à la définition
de nouveaux « cas d’espèce » pénaux. On parvint en même temps à la conviction que
la « grâce » de la dispense des obligations sacerdotales et la réduction, par voie
de conséquence, à l’état laïc de clercs qui se sont reconnus coupables de très graves
délits était aussi une grâce concédée pro bono Ecclesiae. Pour le même motif, dans
certains cas particulièrement graves, la Congrégation n’hésita pas à solliciter du
Souverain Pontife le décret de démission ex officio de l’état clérical à l’égard des
clercs qui avaient commis des crimes abominables. Ces adaptations successives sont
réunies maintenant dans les Normes sur les delicta graviora publiées par la Congrégation
au mois de juillet dernier. Toutefois, le Pontife actuel a pris une deuxième initiative,
beaucoup moins connue, à laquelle je voudrais brièvement faire allusion, car elle
a certainement contribué à modifier le panorama de l’application du Droit pénal dans
l'Église. Il s’agit de son intervention, en tant que Membre de la Congrégation pour
l’Évangélisation des Peuples, dans la préparation des facultés spéciales concédées
à cette Congrégation pour faire face, en vue aussi d’une nécessaire « suppléance »,
à d’autres types de problèmes disciplinaires dans les pays de mission. En fait,
il n’est pas difficile de comprendre qu’à cause du manque de moyens en tous genres,
les obstacles pour mettre en œuvre le système pénal du Code se présentèrent de manière
particulière dans les circonscriptions missionnaires, qui dépendent de la Congrégation
pour l’Évangélisation des Peuples et qui, grosso modo, représentent presque la moitié
du monde catholique. C’est pourquoi, à l’Assemblée plénière de février 1997, cette
Congrégation décida de demander au Saint-Père des « facultés spéciales » pour lui
permettre d’intervenir, par voie administrative, dans des situations pénales précises,
et ce, en marge des dispositions générales du Code ; à cette Assemblée plénière, le
Rapporteur était le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de l’époque.
Comme on le sait, ces « facultés » ont été mises à jour et élargies en 2008, et d’autres,
de nature analogue, même si spécifiques à cause de leurs nécessités particulières,
ont été concédées par la suite à la Congrégation pour le Clergé. Il ne semble
pas nécessaire d’ajouter autre chose. En des circonstances appropriées ont déjà été
publiées des études qui montrent suffisamment les variations advenues dans le droit
pénal de l'Église à travers toutes ces initiatives. L’expérience nous dira dans quelle
mesure les modifications que l’on désire apporter à présent au Livre VI réussiront
à rééquilibrer la situation. Je tenais surtout à présent à souligner le rôle déterminant
joué, dans ce processus, datant de plus de 20 ans, de rénovation de la discipline
pénale, par l’action décisive de l’actuel Pontife, au point de constituer véritablement
- avec beaucoup d’autres initiatives concrètes – une des « constantes » qui a caractérisé
l’action de Joseph Ratzinger.