DISCOURS DU MINISTRE ITALIEN DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, FRANCO FRATTINI, À L’OCCASION
DU CONGRÈS AU CAPITOLE
Nous publions ci-dessous le discours du Ministre italien des Affaires Étrangères,
Franco Frattini à l’occasion du Congrès au Capitole sur le thème “Moyen-Orient. Le
témoignage chrétien au service de la paix” du 19 octobre 2010.
Je voudrais
vous remercier avant tout pour cette ultérieure occasion de réflexion. J’ai déjà eu
l’honneur d’avoir des colloques avec les Patriarches et avec S. Exc. le Secrétaire
général du Synode. Continuons donc ces réflexions en public sur un thème que les organisateurs,
à bien regarder, ont bien fait de proposer ce matin à une assise aussi qualifiée.
Je crois qu’il s’agit là d’un thème qui doit tous nous trouver conscients, un thème
qui est crucial pour l’avenir de notre monde. Le Père Lombardi vient de dire que
c’est justement au Moyen-Orient que l’Hébraïsme, le Christianisme et l’Islam ont vu
non seulement leur naissance, mais se sont développés pendant de nombreux siècles
avec un parcours de mûrissement spirituel qui a certainement favorisé un profond développement
des idées, des expériences, des vies individuelles et collectives. Malheureusement,
à partir surtout de la tragédie qui a changé notre passé récent(le 11 Septembre),
s’est affirmée dans le monde une tendance à définir d’une manière exclusive, ou pire
exclusiviste, les identités d’appartenance. Certains ont parlé, et parlent encore,
de conflit entre les religions et les civilisations, de conflit entre le Christianisme
et l’Islam, entre l’Islam et l’Occident. Je suis convaincu que, s’il y a un affrontement
dans notre monde, c’est entre la tolérance et le dialogue d’un côté et entre l’intolérance
et l’extrémisme de l’autre. Personnellement, je refuse la thèse selon laquelle est
en cours aujourd’hui un affrontement insoluble entre les cultures, les religions et
les civilisations, mais il est indéniable que le conflit entre la tolérance et l’extrémisme
a eu une incidence particulière sur les chrétiens. Souvent, se dessine une situation
qui est emblématiquement décrite en citant le titre d’une récente publication sur
le sujet: Les chrétiens et le Moyen-Orient. La grande fuite (de Fulvio Scaglione,
2008, 235 pp., Éditions San Paolo, ndr). Le titre du volume donne une dramatique impression
de quelque chose qui peut et qui pourrait advenir. Le Secrétaire général, S. Exc.
Mgr Eterović a rappelé que le nombre de chrétiens au Moyen-Orient avait déjà diminué
au siècle dernier. Aujourd’hui, il baisse de façon dramatique. Plus en général, les
communautés chrétiennes risquent de réduire leur présence et leur diffusion territoriale.
Les épisodes de violence contre les minorités chrétiennes augmentent, et ceci
représente un phénomène que nous devons regarder avec beaucoup de préoccupation. J’ai
lu le récent rapport sur les restrictions religieuses, rapport publié par The Pew
Forum on religion and public life, une institution américaine fiable. Cette enquête
indique comme élément général que sur 100 morts causés par la haine et l’intolérance
religieuse dans le monde, 75 sont des chrétiens. Un pourcentage qui nous terrorise.
Chaque année, des dizaines de milliers de chrétiens font l’objet de persécutions,
de violences personnelles, de confiscations patrimoniales, d’intimidations. Leur désir
de vivre en paix et certainement en cohabitation avec les autres religions est nié,
voir souvent puni pour le simple fait d’être chrétien. Des interventions de ce
congrès, émerge un cadre général concernant la situation moyen-orientale de grande
souffrance des communautés chrétiennes durement touchées en Iraq, divisées au Liban,
sujettes aux répercussions de l’islamisation dans de nombreux pays arabes, obligées
ailleurs à résister aux abus des régimes autoritaires, de véritables dictatures qui
poursuivent et frappent les chrétiens. Je crois que cela n’est pas trop fort si j’emploie
l’expression de “christianophobie” pour dire qu’aujourd’hui il y a un risque croissant
et toujours plus concret, risque que nous avons en quelque sorte appréhendé au cours
des dernières années, mais que nous devons craindre aujourd’hui jour après jour. Les
communautés chrétiennes se trouvent aujourd’hui face à un grand défi, dérivant du
fait de vivre dans des pays où il y a des fractures politiques internes et des crises
internationales, mais aussi dû à la présence parfois fanatique de mouvements fondamentalistes
et intégristes qui tendent souvent à confondre les chrétiens, les porteurs de la foi
chrétienne, comme une caractérisation culturelle de l’Occident à frapper et à contraster.
Il s’agit là d’un phénomène particulièrement dangereux. Dans de nombreux contextes,
les communautés chrétiennes vivent d’une façon vraiment absurde une condition d’isolement
également caractérisée par un sentiment d’extranéité, même si historiquement ce sont
les Églises orientales qui ont été les centres de propulsion et d’irradiation du Christianisme.
Ceci advient malgré le fait que les communautés chrétiennes soient présentes sur le
territoire bien avant l’arrivée de l’Islam. Il s’agit là de phénomènes que nous devons
regarder avec une certaine préoccupation. Dans certains cas, la participation majeure
des populations à la vie politique a conduit à exaspérer aussi bien les oppositions
entre les différentes communautés que l’inspiration identitaire religieuse, en confondant
la religion avec l’État et en comprimant ainsi le respect de la liberté et de l’égalité
des droits personnels, sociaux, civils et religieux de toutes les minorités. Et non
seulement donc de la minorité chrétienne. Je crois que ce respect devrait être un
indicateur de la maturité , du degré d’une démocratie. Je suis convaincu qu’une
analyse politique de la présence chrétienne au Moyen-Orient doit se diviser en trois
dimensions: politico-internationale (les conflits ouverts et latents), symbolico-identitaire
(les caractéristiques surtout religieuses de certains mouvements qui naissent et qui
s’alimentent malheureusement dans l’extrémisme) et démocratique (celles des droits,
c’est-à-dire le thème crucial de la liberté religieuse). Le grand objectif de la paix,
qui est l’objectif des Patriarches, de l’Église, et qui devrait, je crois, être également
celui de toutes les démocraties, doit être poursuivi en promouvant une synergie entre
toutes ces dimensions. Nous devons avoir une vision d’ensemble aussi bien des défis
qui nous font face que de la contribution que nous pouvons apporter. Nous devons recomposer
un tissu de rapports entre les États, à l’intérieur des communautés et entre les communautés,
de façon à éviter les lacérations, qu’elles soient d’origine ancienne ou récente.
Tous ces noeuds sont affrontés avec une grande clairvoyance dans le Document de travail.
Le document de participation et de préparation du Synode pour le Moyen-Orient touche
des questions de première importance telles que la connaissance réciproque entre les
trois religions monothéistes, la nécessité d’un engagement commun en faveur de la
paix, de la concorde, de la promotion des valeurs spirituelles et de ce concept qui
m’est tout particulièrement cher de laïcité positive comme apport des chrétiens à
la promotion d’une démocratie saine, positivement laïque, qui reconnaisse cependant,
et justement pour cette raison, le rôle de la religion même dans la vie publique. J’ai
été particulièrement touché par l’appel des chrétiens à ne pas se replier sur eux-mêmes,
à ne pas faire marche arrière sous les coups des adversités, mais à continuer à avoir
un comportement actif afin de répandre un esprit de réconciliation. J’ai été particulièrement
touché par cette très belle phrase que votre document appelle “pédagogie de la paix”.
Cela signifie dénoncer la violence, d’où qu’elle provienne, au nom de cette valeur
que vous nous enseignez et qui est fondamentale pour notre foi de chrétiens: le pardon.
Il s’agit là d’une tâche évidemment très difficile, qui demande du courage, mais qui
est indispensable pour récupérer ce sens du dialogue entre les fois qui est indispensable
pour obtenir la paix. Les chrétiens devront être certainement toujours plus conscients
de la valeur essentielle de leur présence au Moyen-Orient, une valeur amplement reconnue.
Les chrétiens devront même être conscients qu’il leur faut rechercher avec les musulmans
une entente sur comment contraster ces aspects qui, tout comme l’extrémisme, menacent
la société. Je me réfère à l’athéisme, au matérialisme et au relativisme. Les chrétiens,
les musulmans et les juifs peuvent travailler afin de rejoindre cet objectif commun. Je
crois qu’il faudrait un nouvel humanisme pour contraster ces phénomènes pervers, parce
que seule la centralité de la personne humaine est un antidote qui prévient le fanatisme
et l’intolérance. Voilà pourquoi la politique étrangère italienne voit dans la promotion
de la liberté religieuse un point fondamental, s’agissant là d’un droit fondamental
de chaque personne humaine. Ce n’est pas une question collective, c’est une question
de la personne. Le gouvernement italien a beaucoup oeuvré. Nous nous sommes engagés
dans l’Union européenne. J’ai promu une action globale qui puisse apporter un soutien
européen à la liberté religieuse, en promouvant les droits des personnes qui appartiennent
aux minorités religieuses, en pensant évidemment à la minorité chrétienne qui souffre
dans de nombreux pays du monde. Je considère que chaque État doit surveiller cette
question afin d’éviter l’intolérance. Au mois de septembre dernier, j’ai également
agi auprès des Nations Unies. En prenant la parole au nom de l’Italie, j’ai promu
une résolution à l’Assemblée générale sur la liberté religieuse et sur les droits
de toutes les minorités à exprimer leur religion. J’espère que puisse arriver un ample
soutien à cette hypothèse de résolution (nous sommes près de 30 pays à avoir donné
notre disponibilité), et je lance donc un appel. Tous les pays de l’Union européenne
n’ont pas encore fait ce pas. Je le dis avec un peu de tristesse, mais j’espère qu’à
ces trente pays puissent s’en ajouter de nombreux autres et que cette résolution puisse
être approuvée lors la session à l’Assemblée générale qui vient de s’ouvrir. Nous
avons également retenu important d’agir en tant que Gouvernement italien contre une
sentence, que vous tous vous connaissez bien, selon laquelle la Cour de Strasbourg
a interdit la présence du Crucifix dans les lieux publics. Je suis convaincu - mais
c’est aussi la conviction du Gouvernement italien - que le Crucifix représente le
droit à exprimer son propre credo et qu’il n’y a aucune contradiction entre ce symbole,
qui est un symbole de paix et de réconciliation, et l’État laïc qui protège toutes
les religions. Un État qui, par contre, protège même ma religion, et j’ai donc le
droit de la professer même publiquement. L’action de l’Italie (la première en ce
genre auprès de la Cours de Strasbourg) a été soutenue par dix pays, aussi bien de
petits pays comme Chypre, que de grands comme la Russie. Avec une grande douleur,
je souligne que seule l’Italie, parmi les pays fondateurs de l’Union européenne, a
souscrit ce recours, parce que ces mêmes nations qui ont fondé l’Europe, n’ont pas
partagé avec nous cette action de liberté, qui est en plus un pilastre de la Charte
des Droits que l’Union européenne a voulu construire.Nous prêtons attention à la condition
des chrétiens au Moyen-Orient et nous suivons, à travers la politique étrangère italienne,
la présence chrétienne au Moyen-Orient qui représente encore aujourd’hui, malgré une
baisse générale en termes numériques, un élément fondamental pour ces pays. Vous connaissez
parfaitement les données statistiques concernant la réduction de la présence des chrétiens,
mais nous sommes préoccupés parce qu’une telle réduction est souvent générée par l’instabilité
politique dans ces pays, par le manque de perspectives économiques et par la radicalisation
qui se diffuse dans certains pays. La présence chrétienne est une grande richesse
pour cette région et c’est pourquoi elle doit toujours être protégée. Voici donc que
l’Italie concorde fortement avec l’action poursuivie par le Synode pour le Moyen-Orient
pour la protection de la présence chrétienne dans les terres sur lesquelles est né
le Christianisme. Nous avons beaucoup à coeur ce témoignage que portent les chrétiens,
avant tout en Terre Sainte, ainsi que les institutions catholiques actives en ce lieu.
Nous retenons, par exemple, que le règlement désiré, et malheureusement tardif, de
la paix dans le conflit israélo-palestinien sera certainement un élément, lorsque
la paix se fera, qui améliorera fortement la condition des chrétiens en Terre Sainte,
en contribuant à préserver ce caractère multi-confessionnel et multi-culturel de la
ville sainte de Jérusalem. Il s’agit là d’un thème fondamental que nous avons à coeur,
nous chrétiens, ainsi que les fidèles des autres religions. Je pense certainement
à l’engagement de l’Italie au Liban, un engagement qui continuera et qui ne peut faire
abstraction de la spécificité, même sous cet aspect, de ce pays. Je rappelle ici la
définition du Saint-Père, qui a appelé le Liban “pays message” justement en raison
de son exemple de coexistence pacifique entre les religions, et je crois que l’Italie
doit certainement continuer à s’engager pour aider le Liban non seulement dans les
zones majoritairement chrétiennes, mais là où se trouvent tous ceux qui vivent dans
ce pays (les chiites, les sunnites, les druzes et évidemment les chrétiens), justement
afin que soit sauvegardé le caractère multi-confessionnel du Liban. Je pense aux
chrétiens en Iraq. J’ai visité de nombreuses fois le pays et, à chaque fois, j’ai
demandé de mettre un terme aux violences et aux persécutions (je me souviens, en particulier,
des massacres de Mossoul). Et toujours en ce qui concerne l’engagement du gouvernement
italien, je voudrais rappeler mes récentes rencontres avec le Président du Kurdistan
irakien et la mission que j’effectuerai à Bagdad dès que se sera établi un nouveau
gouvernement irakien. À cette occasion, je mettrai l’accent sur le fait que la minorité
chrétienne en Iraq est une composante essentielle pour l’histoire et pour la société
de ce pays. Je pense à l’Égypte, pays que nous aimons et qui a, avec l’Italie,
une histoire importante, je dirais séculaire et millénaire. Nous encourageons de façon
constante le gouvernement local à valoriser la communauté copte qui vit en Égypte,
dans le cadre d’une égalité entre les religions que nos amis égyptiens ont toujours
réaffirmée, sur la base de la Constitution. Je rappelle qu’au lendemain d’un événement
tragique qui a porté à la mort violente de chrétiens en Égypte, je me suis rendu sur
place et j’ai été reçu par le président Moubarak qui m’a exprimé encore une fois un
message politique fort en me disant et en me répétant publiquement les mots suivants:
“Nous vivons tous, musulmans et coptes, sous un même drapeau d’une même patrie fondée
sur le principe de la citoyenneté”. Cette pensée est celle qui devrait être, je le
crois, toujours répétée et confirmée en terre égyptienne. Pensons à présent à la
Turquie, pays dont l’Italie soutient avec force le parcours de rapprochement à l’Union
européenne. Nous le soutenons parce que nous encourageons un processus de modernisation
et de réformes dans ce pays. Nous pensons évidemment à la communauté chrétienne en
Turquie, une communauté qui s’est grandement réduite, qui a souffert pour la mort
violente de certains de ses pasteurs d’une extraordinaire valeur spirituelle. Notre
pensée va évidemment à Mgr Padovese. Nous encourageons Ankara à accomplir des pas
ultérieurs pour la protection des minorités religieuses et, en particulier, de la
minorité chrétienne. Nous espérons que ce référendum constitutionnel qui a certainement
fait accomplir un pas en avant à la Turquie vers l’Europe puisse apporter des bénéfices. Mais
nous pensons aussi à l’Iran, un pays avec lequel le monde essaye avec force d’ouvrir
à nouveau un dialogue sur des questions délicates, mais où la communauté chrétienne
représente une importante composante sociale. Dans le respect de l’autonomie et de
l’indépendance de tous les pays et donc évidemment de l’Iran même, nous considérons
avec une forte attention les besoins des chrétiens iraniens et la volonté de toutes
les minorités qui veulent avoir un rôle dans la société. Je conclue mes réflexions
en souhaitant que les travaux du Synode pour le Moyen-Orient, l’engagement des communautés
chrétiennes dans le monde et celui des gouvernements qui, comme l’Italie, sont sensibles
à ces thèmes, puissent oeuvrer afin de promouvoir la coexistence. Certains pays représentent
un exemple positif au Moyen-Orient. Parmi ceux-ci, la Syrie et le Royaume de Jordanie.
Des pays que nous considérons avec sympathie, notamment en raison de cet élément qui
les caractérise, mais n’oublions pas que, au niveau des réalités locales, aux niveaux
des communautés, des jeunes et des très jeunes, les chrétiens et les musulmans ont
appris depuis longtemps à vivre et à coexister en paix entre eux. Nous nous devons
d’éviter que les gouvernements et les conflits politiques divisent ce qui est souvent
uni au sein des communautés, au niveau de la vie quotidienne. Merci.