La Congrégation pour la Doctrine de la Foi s’explique sur la politique de l’Église
face à la pédophilie
« Promoteur de justice », Mgr. Charles J. Scicluna est le responsable du ministère
public du tribunal de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Il est chargé d’enquêter
sur les Delicta Graviora, les crimes que l’Église considère comme les plus graves,
ceux commis contre l’Eucharistie ou le secret de la confession, ou bien des viols
sur mineurs par des membres du clergé. Le Motu Proprio de 2001 (Sacramentorum
Sanctitatis Tutela) en a réservé la compétence à cette congrégation. Dans un entretien
publié dans le journal « L’Avvenire », dont nous publions la transcription, Mgr.Charles
J.Scicluna revient pour la première fois sur la politique de l’Église face aux abus
sexuels sur des mineurs.
- Monseigneur Scicluna, vous avez une réputation
de « dur », et pourtant l’Église est systématiquement accusée d’être accommodante
envers les prêtres pédophiles...
Dans le passé, au nom d’une défense erronée
de l’institution, des évêques ont pu faire preuve d’indulgence face à ces tristes
affaires. Ils l’ont été dans la pratique car sur le principe, la condamnation de ces
crimes a toujours été ferme et sans équivoque. Pour ce qui est du siècle dernier,
il suffit à cet égard de citer l’instruction Crimen Sollicitationis de 1922... -
Mais ne s’agissait-il pas de 1962?
Si la première édition de ces mesures
remonte à Pie IX, le Saint-Office en fit une nouvelle version sous Jean XXIII, destinée
aux Pères conciliaires. Mais les 2 000 copies ne suffisaient pas et la distribution
fut reportée sine die. Quoiqu’il en soit, il s’agissait de normes à suivre en cas
de révélations faites en confession de crimes plus graves et de type sexuel, comme
les viols sur mineurs...
- Ces normes recommandaient le secret...
Une
mauvaise traduction anglaise du texte a laissé entendre que le Saint-Siège imposait
le secret pour occulter les faits, mais ce n’était pas le cas. Le secret de l’instruction
servait à protéger la réputation des personnes impliquées, les victimes comme les
prêtres accusés, qui ont eux aussi droit à la présomption d’innocence. L’Église n’aime
pas la justice spectacle. Les normes relatives aux abus sexuels n’ont jamais été entendues
comme une interdiction de leur dénonciation à la justice civile. - Cela dit,
ce document est souvent cité pour accuser le Pape actuel d’avoir été, comme Préfet
de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le responsable d’une politique de dissimulation
des faits de la part du Saint-Siège...
Cette accusation est sans fondement,
voire même calomnieuse. Revenons sur quelques faits. Entre 1975 et 1985 aucun cas
de pédophilie cléricale n’a été signalé à la Congrégation. Après la promulgation du
Code canonique de 1983, il y a eu une période d’incertitude sur les Delicta Graviora
qui devaient être de notre compétence. C’est seulement avec le Motu Proprio de 2001
que le crime pédophile est redevenue de notre compétence exclusive, et à partir de
là, le Cardinal Ratzinger a géré avec fermeté ces affaires. Il a en outre fait preuve
de courage dans le traitement de cas extrêmement délicats. Accuser le Pape actuel
d’avoir occulté la question est pure calomnie. - Que se passe-t-il lorsqu’un
prêtre est accusé d’un Delictum Gravius?
Si l’accusation est vraisemblable,
son évêque est contraint d’enquêter tant sur l’objet de la démarche que sur sa validité.
Si l’enquête préliminaire confirme l’accusation, il n’a plus le pouvoir d’agir et
doit transmettre le dossier au Bureau disciplinaire de notre congrégation. -
Qui compose ce bureau?
Étant un des supérieurs de la Congrégation, j’en
fais partie, avec un chef de bureau (le P. Pedro Miguel Funes Diaz), sept autres ecclésiastiques
et un pénaliste laïque en charge de ces questions. D’autres officiels de la Congrégation
collaborent selon les exigences, notamment en matière linguistique. - Ce
bureau a été accusé de mal fonctionner, et d’être trop lent...
L’affirmer
est injuste. En 2003 et 2004, il y a eu une avalanche de cas soumis à notre examen,
largement en provenance des États-Unis. Depuis, le phénomène s’est heureusement réduit
et nous tentons de traiter les dossiers en temps réel. - Combien en avez-vous
traité jusqu’ici?
De 2001 à 2010, il s’est agi d’environ 3.000 accusations
concernant des prêtres diocésains ou des religieux, pour des crimes commis ces 50
dernières années. - Il s’agit donc de 3.000 cas de prêtres pédophiles?
On
ne peut pas dire cela car, grosso modo, dans 60 % des cas , on a affaire à des actes
d’ « éphébophilie », c’est-à-dire d’attraction physique pour des adolescents de même
sexe. Dans 30 % des autres cas, il s’agit d’attirance hétérosexuelle, et dans les
10 % restants, de véritable attraction physique envers des garçons impubères. En neuf
ans, il y a donc eu environ 300 cas de prêtres accusés de pédophilie envers des jeunes
enfants. C’est trop, certes, mais il faut constater que le phénomène n’est pas aussi
répandu qu’on veut le faire croire. - Combien de procès et de condamnation
sur trois mille accusés?
Tout d’abord, dans 20 % des cas, le procès, pénal
ou administratif, s’est déroulé sous notre supervision dans le diocèse de compétence.
Il y a très rarement de procès au Vatican, ce qui permet aussi d’accélérer la procédure.
Dans 60 % des cas, principalement à cause de l’âge avancé des accusés, on n’engage
pas de procès mais des mesures disciplinaires sont prises à leur encontre, comme l’interdiction
de célébrer la messe en public et de confesser, ou l’obligation de mener une vie retirée
et de pénitence. S’il y a eu dans cette catégorie des cas particulièrement médiatisés,
il ne s’est absolument pas agi d’absolution. S’il n’y a pas eu de condamnation formelle,
la réduction au silence et à l’obligation de prière a tout son sens. - Les
20 % restants ?
On dira que pour la moitié, celle des cas particulièrement
graves, agrémentés de preuves indubitables, le Pape a pris la douloureuse responsabilité
de la réduction à l’état laïque. Il s’agit d’une mesure extrême mais inévitable. Pour
l’autre moitié, ce sont les prêtres qui ont demandé à être relevés de leurs devoirs
sacerdotaux. On compte parmi eux les prêtres surpris en possession de matériel pédo-pornographique
et condamnés pour ce délit par la justice civile. - D’où proviennent les 3.000
cas évoqués?
Principalement des États-Unis qui, en 2003-2004, ont fourni
environ 80 % des cas. En 2009, cette proportion est tombée à 25 % des 223 nouveaux
dossiers en provenance du monde entier. En 2007-2009, la moyenne annuelle des cas
signalés à notre Congrégation a été de 250. Nombre de pays ne signalent qu’un ou deux
cas, bien que de plus en plus de pays s’intéressent à ce phénomène qui demeure toutefois
assez réduit. Rappelons qu’il y a 400.000 prêtres diocésains et religieux dans le
monde, un nombre sans rapport avec le retentissement que provoquent les cas exposés
dans la presse. - Et en Italie?
Jusqu’ici le problème ne semble
pas revêtir de dimension dramatique, même si je suis préoccupé par une certaine culture
du silence, encore trop répandue. Par ailleurs, la Conférence épiscopale italienne
assure un excellent service technico-juridique aux diocèses devant traiter ces affaires.
On doit saluer l’engagement croissant des évêques à faire la lumière sur les cas qu’on
leur signale. - Vous dites que les procès en règle ne représentent que 20
% des 3.000 cas examinés ces neuf dernières années. Se sont-ils tous terminés par
la condamnation des accusés?
Si nombre des procès se sont conclus par une
condamnation, dans certains cas le prêtre a été innocenté ou bien les accusations
n’ont pu être suffisamment démontrées. Cela dit, dans chaque cas, on évalue la culpabilité
de l’accusé mais aussi sa capacité à remplir son ministère. - On accuse régulièrement
la hiérarchie ecclésiastique de ne pas transmettre à la justice civile des cas de
pédophilie du clergé qui lui sont signalés.
Dans les pays de droit anglo-saxon,
mais aussi en France, les évêques prennent généralement connaissance des crimes commis
par leurs prêtres hors confession, ce qui les oblige à recourir à l’autorité judiciaire.
C’est une situation grave car ces évêques sont comme un parent contraint à dénoncer
son fils. Dans ces cas, nous recommandons de respecter la loi civile. - Et
si l’évêque n’a pas cette obligation?
Dans ces situations la Congrégation
n’oblige pas les évêques à dénoncer leurs prêtres, mais elle les encourage à inviter
les victimes à dénoncer leurs bourreaux. Nous encourageons les évêques à fournir à
ces victimes toute l’assistance nécessaire, et pas strictement spirituelle. Dans le
cas récent d’un prêtre condamné par un tribunal civil italien, c’est la Congrégation
qui a suggéré aux dénonciateurs réclamant une procédure canonique d’alerter la justice
civile. Cela, dans l’intérêt des victimes et pour éviter de nouveaux actes délictueux. -
La prescription est-elle prévue pour les Delicta Graviora?
Vous touchez
un point délicat. Avant 1898, le principe de la prescription pénale était étranger
au droit de l’Église. C’est seulement avec le Motu Proprio de 2001 qu’on a introduit
pour les crimes graves une prescription de dix ans. Pour les délits sexuels, la prescription
ne s’applique que 10 ans après la majorité de la victime. - Est-ce suffisant?
La
pratique a montré que cette durée de prescription de dix ans n’était pas adaptée à
ce type d’affaires. Il serait bon de revenir au système précédent fixant l’imprescriptibilité
de ces Delicta Gravioa. Cela dit, le 7 novembre 2002, Jean-Paul II a concédé à la
Congrégation pour la doctrine de la foi une faculté de dérogation au cas par cas,
à la demande motivée de l’évêque intéressé. Elle est généralement accordée.