En Centrafrique, la pauvreté est le lot quotidien de nombreuses familles. Certaines
sont dans une situation de dénuement telle qu’elles ne peuvent plus subvenir aux besoins
de leurs enfants. Ces derniers s’en vont alors grossir les rangs des enfants des rues.
À Bangui, ils seraient plus de 3000. Depuis 2003, le REFERC, Réseau en faveur des
enfants des rues de Centrafrique, qui rassemble sept associations (le Centre Saint
Gabriel, le Centre Don Bosco, Caritas, Voie du Cœur, la Maison d’accueil des orphelins
de Bimbo, l’association Demain la Vie et Action Chrétienne pour la Compassion),
leur vient en aide. Identification, distribution de repas, accès aux soins et à l’éducation
ou encore réinsertion familiale font partie de ses activités. La réalisatrice Aferdite
Ibrahimaj a réalisé deux documentaires sur les enfants des rues en Centrafrique :
« Le Réseau en faveur des enfants de la rue en Centrafrique » et « Les enfants de
la rue en Centrafrique ». On écoute son témoignage.
Retranscription
Voir
des enfants qui dorment dehors, c’est toujours choquant. Que ce soit ici ou ailleurs,
ce n’est pas normal. Ça ne devrait pas exister. Ce qui m’a vraiment surprise les premiers
jours quand je suis arrivée à Bangui, c’est qu’il y en a vraiment partout. Il y en
a à tous les coins de rue. Ils sont tous petits, ça commence à trois, quatre ans et
ça va jusqu’à une trentaine d’années. Donc ça veut dire qu’on en est à la deuxième
génération d’enfants des rues. Les premiers ont commencé dans les années 1960, et
ce sont ceux-là mêmes qui ont leurs propres enfants qui finissent enfants de la rue.
Et à ceux-là s’ajoutent d’autres enfants que la pauvreté a mis dans la rue. Je pensais
que c’était principalement des enfants orphelins. Sur place, j’ai vu que ce n’était
pas le cas. C’est souvent des enfants qui ont quelqu’un, qui ont au moins un oncle,
ont une tante, ou des grands-parents, ou alors même un des deux parents. Mais c’est
la situation économique, la pauvreté qui les met à la rue. Ils souffrent de la faim,
de la soif, ils n’ont pas d’endroit où dormir, le paludisme sévit beaucoup. Donc il
y a toutes ces souffrances, mais en même temps ils ne connaissent que ça. Ce sont
des enfants qui n’ont vécu que comme ça. Ils ont appris à se débrouiller de cette
manière, à essayer d’avoir des petits boulots sur les marchés, mais pour eux c’est
leur quotidien. Ça ne veut pas dire qu’ils l’acceptent, qu’ils trouvent ça normal,
mais ils se sont créé une société à eux. C’est une sorte de monde parallèle en fait.
Ils ont leurs habitudes, ils ont leurs codes, ils ont leurs fréquentations, ils ont
leurs amitiés, ils ont leurs amours, comme n’importe quelle société. Sauf que là ils
sont vraiment en marge et ils sont stigmatisés aussi par le reste de la population.
Ils sont montrés du doigt, ils sont frappés, enfin, ce sont les boucs émissaires de
la société.
Est-ce qu’ils s’en plaignent ?
Je dirais oui et non.
Ce sont des gens normaux. On a des discussions normales. Ils me demandaient comment
se passait la vie en France, comment vivaient les jeunes, comment ça se passait à
l’école. Plein de choses les intéressaient. Ils ne passent vraiment pas leur temps
à se plaindre. Après, ils aimeraient effectivement que leur situation s’améliore.
Eux ce qu’ils voudraient, beaucoup me disaient, c’est faire des formations. Ils aimeraient
travailler, ils aimeraient fonder une famille. Parce que le fait d’avoir grandi dans
la rue, sans famille, eux, ils ont vraiment envie d’avoir un foyer, d’avoir des enfants
et de s’en occuper.
Est-ce qu’ils acceptent facilement la main qu’on leur
tend ou est ce qu’ils sont méfiants malgré tout ?
Ceux qui ont passé beaucoup
de temps dans la rue deviennent très vite méfiants, parce qu’ils voient la violence
de cette société qui les rejette. C’est pour ça que le réseau des ONG qui s’occupent
des enfants des rues à Bangui essaie de les repérer très très vite. Dès qu’ils voient
un nouvel enfant dans la rue ils essaient de le prendre en charge, de l’approcher
tout doucement, de lui parler des structures d’accueil parce que, plus l’enfant va
rester dans la rue, plus il aura du mal à se réinsérer dans la société. C’est difficile,
il y a beaucoup de découragement, parce qu’en même temps, même si ces enfants arrivent
à s’inscrire dans une école ou dans une formation, il n’y a pas de travail après.
Le gros problème, c’est la situation économique en général dans ce pays qui est très
pauvre. Donc on peut bien proposer des structures d’accueil, mais si on n’a rien à
leur proposer quand ils sortent de ces structures d’accueil, c’est un petit peu comme
si ça ne servait à rien. Et le problème c’est que ça fait d’autres enfants des rues.