À l’occasion de la fin du Ramadan, le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil
pontifical pour le dialogue interreligieux a publié son message aux musulmans, un
texte qui se veut une réflexion commune sur le thème : « Chrétiens et Musulmans :
Ensemble pour vaincre la pauvreté ». Une lettre dans laquelle le cardinal Tauran explique
notamment que la lutte contre la pauvreté permet de repousser l’extrémisme et la violence.
Olivier Tosseri.
Intégralité
du message
CONSEIL PONTIFICAL POUR LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX
Chrétiens
et Musulmans : ensemble pour vaincre la pauvreté
MESSAGE POUR LA FIN DU
RAMADAN ‘Id al-Fitr 1430 H. / 2009 a.d.
Cité du Vatican Chers
Amis Musulmans,
1. À l’occasion de la conclusion du mois du Ramadan, je désire
adresser à vous tous mes vœux de paix et de joie et, par ce Message, vous proposer
une réflexion commune sur le thème : Chrétiens et Musulmans : Ensemble pour vaincre
la pauvreté.
2. Il faut sans doute nous réjouir de constater que ce Message
du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux est devenu non seulement un
usage, mais un rendez-vous attendu. Dans plusieurs pays, il est une occasion de rencontre
amicale entre de nombreux Chrétiens et Musulmans. Il n’est pas rare, non plus, qu’il
corresponde à un souci partagé, propice à des échanges confiants et ouverts. Tous
ces éléments ne constituent-ils pas d’emblée des signes d’amitié entre nous pour lesquels
rendre grâce à Dieu ?
3. Pour en venir au thème de cette année, la personne
humaine en situation d’indigence est incontestablement au cœur de préceptes qu’à divers
titres, nous chérissons. L’attention, la compassion et l’aide que tous, frères et
sœurs en humanité, nous pouvons offrir à celui qui est pauvre pour lui redonner sa
place dans la société des hommes est une preuve vivante de l’Amour du Très-Haut, puisque
c’est l’homme comme tel qu’Il nous appelle à aimer et à aider, sans distinction d’appartenance. Nous
savons tous que la pauvreté humilie et qu’elle engendre des souffrances intolérables ;
elles sont souvent source d’isolement, de colère, voire de haine et de désir de vengeance.
Ceci pourrait pousser à des actions d’hostilité par tous les moyens à disposition,
cherchant à les justifier même par des considérations d’ordre religieux : s’emparer,
au nom d’une prétendue « justice divine », de la richesse de l’autre, y compris de
sa paix et de sa sécurité. C’est pour cela que repousser les phénomènes d’extrémisme
et de violence implique nécessairement la lutte contre la pauvreté à travers la promotion
d’un développement humain intégral que le pape Paul VI définissait comme « le nouveau
nom de la paix » (Lettre encyclique Populorum Progressio, 1975, n. 76). Dans
sa récente Lettre encyclique Caritas in Veritate sur le développement humain
intégral dans la charité et dans la vérité, le pape Benoît XVI, prenant en compte
le contexte actuel de l’engagement en faveur du développement, met en lumière, entre
autres, la nécessité d’une « nouvelle synthèse humaniste » (n. 21) qui, sauvegardant
l’ouverture de l’homme à Dieu, lui redonne sa place « au centre et au sommet » de
la terre (n. 57). Un véritable développement, alors, ne pourra qu’être ordonné à « tout
homme et à tous les hommes » (Populorum Progressio, n. 42).
4. Dans
son homélie du 1er janvier dernier, lors de la Journée Mondiale de la
Paix 2009, Sa Sainteté le pape Benoît XVI distinguait deux types de pauvreté :
une pauvreté à combattre et une pauvreté à embrasser. La pauvreté à
combattre est sous les yeux de tous : la faim, le manque d’eau potable, la pénurie
de soins médicaux et de logements adéquats, la carence de systèmes éducatifs et culturels,
l’analphabétisme, sans toutefois passer sous silence aussi l’existence de nouvelles
formes de pauvreté « par exemple dans les sociétés riches et avancées, …des phénomènes
de marginalisation, de pauvreté relationnelle, morale et spirituelle » (Message
pour la JournéeMondiale de la Paix 2009, n. 2). La pauvreté
à choisir est celle d’un style de vie simple et essentiel qui évite le gaspillage
et respecte l’environnement et tous les biens de la Création. Cette pauvreté est aussi,
au moins pendant certaines périodes de l’année, celle de la frugalité et du jeûne.
La pauvreté choisie prédispose à sortir de nous-mêmes et dilate le cœur.
5.
Comme croyants, désirer la concertation pour chercher ensemble des solutions justes
et durables au fléau de la pauvreté signifie aussi réfléchir sur les graves problèmes
de notre temps et, quand cela est possible, vivre un engagement commun pour en venir
à bout. En cela, il incombe que la référence aux aspects de la pauvreté liés à la
mondialisation de nos sociétés revête un sens spirituel et moral, car nous partageons
la vocation à construire une seule famille humaine dans laquelle tous – individus,
peuples et nations – règlent leurs comportements sur les principes de fraternité et
de responsabilité.
6. Un regard attentif sur le phénomène complexe de la pauvreté
nous conduit à en voir fondamentalement l’origine dans le manque de respect de la
dignité innée de la personne humaine et nous appelle à une solidarité globale, par
exemple à travers l’adoption d’un « code éthique commun » (Jean-Paul II, Adresse
à l’Académie Pontificale des Sciences Sociales, 27 avril 2001, n. 4) – dont les
normes n’auraient pas seulement un caractère conventionnel, mais seraient enracinées
dans la loi naturelle inscrite par le Créateur dans la conscience de tout être humain
(cf. Rm 2, 14-15).
7. Il semble que dans divers endroits du monde nous
soyons passés de la tolérance à la rencontre, à partir d’un vécu commun et de soucis
partagés. C’est là un cap important qui a été franchi. En mettant à
la disposition de tous la richesse de la prière, du jeûne et de la charité des uns
et des autres, n’est-il pas possible que le dialogue mobilise les forces vives de
ceux qui sont en marche vers Dieu ? Le pauvre nous interpelle, nous défie, mais surtout
il nous invite à collaborer pour une noble cause : celle de vaincre sa pauvreté !