Homélie de Benoît XVI lors de la Messe place de la Nativité à Bethléem
Chers Frères et Sœurs dans le Christ,
Je remercie le Dieu Tout-puissant de
me donner la grâce de venir à Bethléem, non seulement pour vénérer le lieu de la naissance
du Christ, mais aussi pour me tenir à vos côtés, chers frères et sœurs dans la foi
qui vivez dans ces Territoires Palestiniens. Je suis reconnaissant au Patriarche Fouad
Twal pour les sentiments qu’il a exprimés en votre nom, et je salue avec affection
mes Frères Évêques et tous les prêtres, les personnes consacrées et les fidèles qui
travaillent quotidiennement pour confirmer cette Église locale dans la foi, l’espérance
et la charité. D’une façon particulière, mon cœur se tourne avec affection vers les
pèlerins venant de la bande Gaza déchirée par la guerre : je vous demande de rapporter
à vos familles et à vos communautés l’assurance que je les garde en mon cœur, leur
partageant mes sentiments de tristesse pour les pertes que vous avez dû supporter,
et ma solidarité dans la prière dans l’immense tâche de reconstruction à laquelle
vous devez faire face.
« Ne craignez pas, car voici que je viens vous annoncer
une grande nouvelle, une grande joie (…) Aujourd’hui vous est né un Sauveur, dans
la ville de David » (Lc 2, 10-11). Le message de la venue du Christ, porté depuis
les cieux par la voix des anges, continue de résonner dans cette ville, tout comme
il résonne dans les familles, les maisons et les communautés à travers le monde. C’est
une « bonne nouvelle », disent les anges « pour tout le peuple ». Elle proclame que
le Messie, le Fils de Dieu et le Fils de David est né « pour vous » : pour vous et
pour moi, pour les hommes et les femmes de tous les temps et de tous les lieux. Dans
le dessein divin, Bethléem, « le plus petit des clans de Juda » (Mi 5, 1), est devenu
le lieu d’une gloire ineffaçable : lieu où, à la plénitude des temps, Dieu a choisi
de se faire homme, pour mettre fin au long règne du péché et de la mort, et donner
une nouvelle et abondante vie à un monde devenu vieux, las et opprimé par le manque
d’espérance.
Pour tous les êtres humains, Bethléem est associée à l’heureux
message de renaissance, de renouveau, de lumière et de liberté. Toutefois, ici, au
milieu de nous, comme cette merveilleuse promesse semble loin d’être réalisée ! Combien
lointain paraît être ce Royaume dont le pouvoir est étendu, royaume de paix, de sécurité,
de justice et d’intégrité que le prophète Isaïe annonçait dans la première lecture
(cf. Is 9, 5-6) et que nous proclamons définitivement établi par la venue de Jésus
Christ, Messie et Roi !
Depuis le jour de sa naissance, Jésus a été en fait
« un signe de division » (Lc 2, 34), et il continue à l’être, même de nos jours. Le
Seigneur des armées, dont les « origines remontent aux temps anciens, à l’aube des
siècles » (Mi 5, 1), a souhaité inaugurer son Royaume en prenant naissance dans cette
petite bourgade, entrant en notre monde dans le silence et l’humilité d’une grotte,
et reposant, comme un enfant sans défense, dans une mangeoire. Ici, à Bethléem, au
milieu de toutes sortes de contradictions, les pierres continuent à proclamer cette
« bonne nouvelle », le message de la rédemption, que cette ville, plus que toute autre,
est appelée à proclamer au monde. Car c’est ici que, d’une manière qui surpassa toute
espérance et toute attente humaine, Dieu s’est montré fidèle à ses promesses. Par
la naissance de son Fils, il a révélé la venue du Royaume de l’amour : un amour divin
qui se penche sur nous afin de nous apporter la guérison et de nous relever ; un amour
qui est manifesté dans l’humiliation et la faiblesse de la Croix, et qui cependant
triomphe dans la gloire de la Résurrection pour une nouvelle vie. Le Christ a apporté
un Royaume qui n’est pas de ce monde, mais c’est un Royaume capable de changer ce
monde, car il a le pouvoir de changer les cœurs, d’illuminer les esprits et de fortifier
les volontés, de briser tous les murs de séparation. En prenant notre chair, avec
toutes ses faiblesses et en la transfigurant par la puissance de son Esprit, Jésus
a fait de nous les témoins de sa victoire sur le péché et la mort. Et c’est bien ce
que le message de Bethléem nous appelle à être : témoins du triomphe de l’Amour de
Dieu sur la haine, l’égoïsme, la peur et le ressentiment qui paralysent les relations
humaines et engendrent la division là où des frères devraient habiter ensemble dans
l’unité, les destructions là où les hommes devraient construire, le désespoir là où
l’espérance devrait fleurir !
« En espérance, nous avons été sauvés » (Rm 8,
24), dit l’Apôtre Paul. Mais il affirme en même temps, avec un parfait réalisme que
la création continue à gémir en travail d’enfantement, alors même que, nous qui avons
reçu les prémices de l’Esprit, nous attendons patiemment l’accomplissement de notre
rédemption (cf. Rm 8, 22-24). Dans la deuxième lecture d’aujourd’hui, Paul tire de
l’Incarnation une leçon qui est particulièrement adaptée au travail dont vous-mêmes,
peuple choisi de Dieu à Bethléem, faite l’expérience : « la grâce de Dieu s’est manifestée »,
nous dit-il, « elle nous apprend à rejeter le péché et les passions d’ici-bas, pour
vivre dans le monde présent en hommes raisonnables, justes et religieux » (Tt 2, 11-13)
alors que nous attendons la manifestation de notre bienheureuse espérance, Jésus Christ,
le Sauveur.
Est-ce que ce ne sont pas là les vertus requises pour les hommes
et les femmes qui vivent dans l’espérance ? En premier lieu, la constante conversion
au Christ qui rejaillit non seulement sur nos actes mais aussi dans nos raisonnements :
avoir le courage d’abandonner des manières infructueuses de penser, d’agir et de réagir.
Ensuite, cultiver un état d’esprit de paix fondée sur la justice, sur le respect des
droits et des devoirs de tous et l’engagement à coopérer pour le bien commun. Et enfin
la persévérance, persévérance dans le bien et dans le refus du mal. Ici à Bethléem,
les disciples du Christ ont à faire la preuve d’une persévérance particulière : celle
d’être des témoins fidèles de la gloire de Dieu qui s’est manifestée ici, par la naissance
de son Fils, des témoins de la bonne nouvelle de sa paix qui est venue des cieux pour
demeurer ici-bas.
« Ne craignez pas ! » C’est le message que le Successeur
de saint Pierre désire vous laisser aujourd’hui, se faisant l’écho du message des
anges et c’est la mission que notre bien-aimé Pape Jean-Paul II vous laissa lorsqu’il
vint chez vous en l’année du Grand Jubilé de la naissance du Christ. Appuyez-vous
sur la prière et la solidarité de vos frères et sœurs de l’Église universelle et,
par des initiatives concrètes, travaillez à consolider votre présence ici et à offrir
de nouvelles opportunités à ceux qui sont tentés de partir. Soyez des ponts de dialogue
et de coopération constructive pour l’édification d’une culture de paix qui doit remplacer
l’impasse actuelle des peurs et des agressions. Soyez des pierres vivantes de vos
Églises locales, faisant d’elles des ateliers de dialogue, de tolérance et d’espérance,
en même temps que des havres de solidarité et de charité concrète.
Par-dessus
tout, soyez les témoins de la puissance de la vie, de la vie nouvelle apportée par
le Christ ressuscité, la vie qui peut illuminer et transformer les situations humaines
les plus sombres et les plus désespérantes. Votre patrie n’a pas seulement besoin
de structures économiques et politiques nouvelles, mais d’une manière bien plus importante,
pourrions-nous dire, il lui faut une nouvelle infrastructure « spirituelle », capable
de galvaniser les énergies de tous les hommes et de toutes les femmes de bonne volonté
pour le service de l’éducation, du développement et de la promotion du bien commun.
Vous avez chez vous les ressources humaines pour construire cette culture de paix
et de respect mutuel qui pourra garantir un avenir meilleur à vos enfants. Voilà la
noble entreprise qui vous attend. N’ayez pas peur !
La vénérable Basilique
de la Nativité, battue par les vents de l’histoire et le poids des ans, se tient devant
nous en témoin de la foi qui supporte et triomphe du monde (cf. 1 Jn 5, 4). Toute
personne qui visite Bethléem ne peut pas ne pas remarquer qu’au cours des siècles
le grand portail qui ouvre sur la maison de Dieu est devenu progressivement plus petit.
Prions aujourd’hui pour que, par la grâce de Dieu et avec notre engagement, la porte
qui ouvre sur le mystère de Dieu venu demeurer parmi les hommes, temple de notre communion
à son amour, et préfiguration d’un monde de paix éternelle et de joie, s’ouvre toujours
davantage pour accueillir, renouveler et transformer chaque cœur humain. De cette
manière, Bethléem continuera à se faire l’écho du message confié aux bergers, à nous-mêmes,
et à toute l’humanité : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre
aux hommes qu’il aime » ! Amen.