Discours de Benoît XVI aux chefs religieux musulmans, au corps diplomatique et aux
recteurs d'Université.
Altesse Royale, Excellences, Mesdames et Messieurs,
C’est une source
de grande joie pour moi de vous rencontrer ce matin dans ce lieu magnifique. Je souhaite
remercier le Prince Ghazi Ben Mohammed Ben Talal pour ses aimables paroles de bienvenue.
Les nombreuses initiatives de Votre Altesse Royale en vue de promouvoir le dialogue
interreligieux et interculturel sont appréciées par le peuple du Royaume hachémite
et sont très largement reconnues par la communauté internationale. Je sais que ces
efforts reçoivent le soutien actif des autres membres de la famille royale comme du
Gouvernement de la Nation, et qu’elles trouvent un large écho à travers de nombreuses
initiatives de collaboration parmi les Jordaniens. Pour tout cela, je désire exprimer
ma sincère admiration.
Des lieux de culte, comme cette splendide Mosquée Al-Hussein
Ben Talal du nom du révéré Roi défunt, se dressent comme des joyaux sur la surface
de la terre. Les anciens comme les modernes, les plus splendides comme les plus humbles,
tous ces édifices nous orientent vers le Divin, l’Unique transcendant, le Tout-Puissant.
A travers les siècles, ces sanctuaires ont attiré des hommes et des femmes dans leur
espace sacré pour qu’ils s’arrêtent, qu’ils prient, pour qu’ils reconnaissent la présence
du Tout-Puissant et pour qu’ils confessent que nous sommes tous ses créatures.
Pour
cette raison, nous ne pouvons pas manquer d’être interpelés par le fait qu’aujourd’hui,
avec une insistance croissante, certains affirment que la religion faillit dans son
ambition à être, par nature, constructrice d’unité et d’harmonie, à être une expression
de la communion entre les personnes et avec Dieu. Certains soutiennent même que la
religion est nécessairement une cause de division dans notre monde ; et ils prétendent
que moins d’attention est prêtée à la religion dans la sphère publique, mieux cela
est. Certainement et malheureusement, l’existence de tensions et de divisions entre
les membres des différentes traditions religieuses, ne peut être niée. Cependant,
ne convient-il pas de reconnaître aussi que c’est souvent la manipulation idéologique
de la religion, parfois à des fins politiques, qui est le véritable catalyseur des
tensions et des divisions et, parfois même, des violences dans la société ? Face à
cette situation, où les opposants à la religion cherchent non seulement à réduire
sa voix au silence, mais à la remplacer par la leur, la nécessité pour les croyants
d’être cohérents avec leurs principes et leurs croyances est ressentie toujours plus
vivement. Musulmans et chrétiens, précisément à cause du poids de leur histoire commune
si souvent marquée par les incompréhensions, doivent aujourd’hui s’efforcer d’être
connus et reconnus comme des adorateurs de Dieu fidèles à la prière, fermement décidés
à observer et à vivre les commandements du Très Haut, miséricordieux et compatissant,
cohérents dans le témoignage qu’ils rendent à tout ce qui est vrai et bon, et toujours
conscients de l’origine commune et de la dignité de toute personne humaine, qui se
trouve au sommet du dessein créateur de Dieu à l’égard du monde et de l’histoire.
La
détermination des éducateurs et des responsables civils et religieux jordaniens à
s’assurer que le versant public de la religion reflète sa véritable nature, est digne
d’éloge. Par l’exemple donné par des individus et des communautés, et par la prévision
des cours et des programmes de formation, se met en évidence la contribution positive
de la religion dans les secteurs éducatif, culturel, social et charitable de votre
société civile. J’ai eu un exemple de première main de cet espoir. Hier, j’ai été
le témoin du travail renommé en matière d’éducation et de réhabilitation du Centre
Notre Dame de la Paix, où chrétiens et musulmans transforment la vie de familles entières,
en les assistant pour que leurs enfants handicapés puissent prendre leur juste place
dans la société. Plus tôt ce matin, j’ai béni la première pierre de l’Université de
Madaba où de jeunes adultes chrétiens et musulmans bénéficieront côte à côte d’un
enseignement universitaire, les rendant aptes à contribuer de façon appropriée au
développement économique et social de leur nation. Les nombreuses initiatives de dialogue
interreligieux soutenues par la famille royale, par la communauté diplomatique, et
parfois entrepris en coordination avec le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux
sont aussi dignes d’éloge. Cela inclut le travail actuel accompli par l’Institut Royal
pour les Etudes Interreligieuses et pour la Croyance Islamique, le Message d’Amman
de 2004, le Message interreligieux d’Amman de 2005 et, plus récemment, la lettre Common
Word (Parole commune) qui faisait écho à un thème consonnant à celui de ma première
Encyclique : le lien indissoluble entre l’amour de Dieu et l’amour du prochain, et
la nature fondamentalement contradictoire de l’usage de la violence et de l’exclusion
au nom de Dieu (cf. Deus caritas est, n.16).
De telles initiatives conduisent
clairement à une meilleure connaissance réciproque, et elles favorisent un respect
grandissant à la fois pour ce que nous avons en commun et pour ce que nous comprenons
différemment. Ainsi, devraient-elles pousser les Chrétiens et les Musulmans à explorer
toujours plus profondément la relation essentielle entre Dieu et ce monde de telle
façon que nous puissions nous efforcer d’assurer que la société s’établisse en harmonie
avec l’ordre divin. A cet égard, la coopération développée ici en Jordanie est une
illustration exemplaire et encourageante pour la région, et même pour le monde, de
la contribution positive et créatrice que la religion peut et doit apporter à la société
civile.
Chers amis, je désire aujourd’hui mentionner une tâche dont j’ai parlé
à de nombreuses reprises et dont je crois fermement que Chrétiens et Musulmans peuvent
la prendre en charge, particulièrement à travers leurs contributions respectives à
l’enseignement et à l’éducation ainsi qu’au service public. Il s’agit du défi de développer
en vue du bien, en référence à la foi et à la vérité, le vaste potentiel de la raison
humaine. Les Chrétiens parlent en effet de Dieu, parmi d’autres façons, en tant que
Raison créatrice, qui ordonnes et gouverne le monde. Et Dieu nous rend capables de
participer à sa raison et donc d’accomplir, en accord avec elle, ce qui est bon. Les
Musulmans rendent un culte à Dieu, le Créateur du ciel et de la terre, qui a parlé
à l’humanité. En tant que croyants au Dieu unique, nous savons que la raison humaine
est elle-même un don de Dieu et qu’elle s’élève sur les cimes les plus hautes quand
elle est éclairée par la lumière de la vérité divine. En fait, quand la raison humaine
accepte humblement d’être purifiée par la foi, elle est loin d’en être affaiblie;
mais elle en est plutôt renforcée pour résister à la présomption et pour dépasser
ses propres limitations. De cette façon, la raison humaine est stimulée à poursuivre
le noble but de servir le genre humain, en traduisant nos aspirations communes les
plus profondes et en élargissant le débat public, plutôt qu’en le manipulant ou en
le confinant. Ainsi, l’adhésion authentique à la religion – loin de rendre étroits
nos esprits – élargit-elle l’horizon de la compréhension humaine. Elle protège la
société civile des excès de l’égo débridé qui tend à absolutiser le fini et à éclipser
l’infini, elle assure que la liberté s’exerce « main dans la main » avec la vérité,
et elle enrichit la culture avec des vues relatives à tout ce qui est vrai, bon et
beau.
Cette manière de concevoir la raison, qui pousse continuellement l’esprit
humain au-delà de lui-même dans la quête de l’Absolu, constitue un défi ; elle oblige
à la fois à l’espérance et à la prudence. Chrétiens et Musulmans sont poussés, ensemble,
à rechercher tout ce qui est juste et vrai. Nous sommes liés pour dépasser nos propres
intérêts et pour encourager les autres, les fonctionnaires et les responsables en
particulier, à agir de même pour faire leur la profonde satisfaction de servir le
bien commun, même s’il doit en coûter personnellement. N’oublions pas que parce que
c’est notre commune dignité humaine qui donne naissance aux droits humains universels,
ceux-ci valent également pour tout homme et toute femme, quelque soit sa religion
et quelque soit le groupe ethnique ou social auquel il appartienne. À cet égard, nous
devons noter que le droit à la liberté religieuse dépasse la seule question du culte
et inclut le droit – spécialement pour les minorités – d’avoir accès au marché de
l’emploi et aux autres sphères de la vie publique.
Avant de vous quitter, je
voudrais ce matin mentionner de manière spéciale la présence parmi nous de Sa Béatitude
Emmanuel III Delly, Patriarche de Bagdad, que je salue chaleureusement. Sa présence
me conduit à faire mémoire du peuple voisin, celui d’Iraq, dont de nombreux membres
ont trouvé refuge ici en Jordanie. Les efforts de la communauté internationale pour
promouvoir la paix et la réconciliation, conjugués à ceux des responsables locaux,
doivent continuer afin de porter des fruits dans la vie des Iraquiens. Je souhaite
exprimer ma reconnaissance à tous ceux qui sont engagés dans les efforts pour renouer
la confiance et pour rebâtir les institutions et les infrastructures nécessaires au
bien-être de ce pays. Et, une fois encore, j’invite avec insistance les diplomates
et la communauté internationale qu’ils représentent, ainsi que les responsables politiques
et religieux locaux, à faire tout ce qui est possible pour assurer à l’antique communauté
chrétienne de cette noble terre ses droits fondamentaux à une coexistence pacifique
avec l’ensemble des autres citoyens.
Chers amis, je crois que les sentiments
que j’ai exprimés aujourd’hui nous donnent une espérance renouvelée face à l’avenir.
Notre amour et notre service devant le Tout Puissant s’expriment non seulement dans
notre culte mais aussi dans notre amour et notre préoccupation pour les enfants et
les jeunes – vos familles – et tous les Jordaniens. C’est pour eux que vous travaillez
et ce sont eux qui motivent votre exigence de placer le bien de toute personne humaine
au cœur des institutions, des lois et des travaux de la société. Puisse la raison,
humble et ennoblie par la grandeur de la vérité de Dieu, continuer à modeler la vie
et les institutions de ce pays, de telle sorte que les familles puissent prospérer
et que tous puissent vivre en paix, en contribuant à la culture qui donne son unité
à ce grand royaume et en la faisant grandir !