Christianisme et Islam: le besoin de dialogue en Europe
Organisée par le conseil des conférences épiscopales d’Europe et accueillie par son
vice-président, le Cardinal Ricard, la première rencontre européenne des évêques et
des délégués des conférences épiscopales responsables des rapports avec les musulmans
d’Europe s’est tenue lundi et mardi à Bordeaux. En présence notamment du Cardinal
Jean Louis Tauran, président du Conseil pour le dialogue interreligieux, les participants
à ces deux jours de réflexion se réunissaient pour faire le point sur les activités
et les expériences en cours concernant le dialogue entre Eglise catholique et musulmans.
L’un des participants, le Père Christophe Roucou, responsable du secrétariat pour
les relations avec l'islam à la Conférence des évêques de France, revient tout d’abord
sur les enjeux de la question d’un Islam européen. Il est interrogé par Antoine Bellier.
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aussi le Communiqué de presse
Première rencontre européenne des
délégués des Conférences épiscopales chargés des relations avec les musulmans
en Europe
Bordeaux, France, 27-28 avril 2009
Les délégués des Conférences
épiscopales chargés des relations avec les musulmans provenant de Portugal, Espagne,
France, Angleterre, Belgique, Allemagne, Suisse, Bosnie et Herzégovine, Slovénie,
Pologne, Italie, Malte, Scandinavie, Autriche et Turquie, se sont réunis à Bordeaux
pendant deux jours avec le cardinal Jean Louis Tauran, président du Conseil pontifical
pour le dialogue interreligieux, afin d’avoir un échange sur ce que chaque pays fait
dans le domaine du dialogue avec les musulmans. La réunion a été ensuite enrichie
par la présence de don Andrea Pacini, expert de renommée mondiale du dialogue avec
le monde musulman, qui a publié en 2005 un ouvrage sur les jeunes musulmans en Europe,
de Martino Diez, président de la Fondation Oasis de Venise, et du père Hans Vöcking
des pères missionnaires africains, ainsi que par les contributions envoyées par les
Conférences épiscopales des Pays-Bas, d’Albanie et de la Conférence épiscopale Saints
Cyrille et Méthode.
La rencontre a été entamée avec un exposé du card. Tauran
sur le status quaestionis du dialogue avec les musulmans. La publication de la "Lettre
des 138" a marqué une étape importante du dialogue interreligieux. L’idée est alors
née de créer un Forum catholique-musulman qui a tenu sa première réunion au mois de
novembre 2008 à Rome. Ces derniers mois, le dicastère présidé par le cardinal Tauran
a travaillé sur les orientations pastorales, dont la publication est prévue après
les vacances d’été. Parmi les autres points saillants de l’exposé du cardinal figurent
l'importance mais aussi la complexité que revêt la question du dialogue avec les musulmans
pour l’Eglise, même si contrairement à d’autres époques, aujourd’hui la présence musulmane
est fondamentalement pacifique. Ce dialogue nous offre l'occasion d’approfondir notre
foi, afin d’en rendre témoignage et en rendre raison, ce qui représente le seul et
vrai moyen d’avoir un dialogue sincère sans tomber dans le relativisme.
La
réunion s’est poursuivie avec la présentation des rapports que les délégués ont préparés
sur la situation du dialogue dans leur pays. Une question fondamentale, et toujours
actuelle, se pose, c’est-à-dire comment se mettre en rapport avec les musulmans aujourd’hui
en Europe. On constate que, malgré la grande diversité des approches, la présence
musulmane en Europe ne peut plus être rattachée uniquement à la question du phénomène
migratoire, ni être abordée uniquement en ce sens. Si dans certains pays il en est
encore ainsi, dans la plupart des pays européens, les musulmans appartiennent à la
deuxième, troisième, quatrième voire cinquième génération, il s’agit donc de personnes
nées et éduquées en Europe, qui sont et se considèrent comme des citoyens européens
à part entière. Parmi les défis que le dialogue interreligieux présente figurent les
questions liées aux mariages mixtes, à l’éducation et à l’intégration dans les écoles
et dans les mouvements de la jeunesse catholique des jeunes musulmans, ainsi que la
question des tensions dans certaines villes européennes suscitées par la construction
de mosquées et de minarets. Par ailleurs, on constate un bon accord sur certains thèmes,
indiquant que ce dialogue peut aider à élaborer des positions communes sur des questions
telles que la bioéthique ou la présence de la religion dans l’espace public.
L’exposé
de don Andrea Pacini sur les jeunes musulmans européens a mis en évidence comment,
afin de comprendre l’identité des musulmans, faudrait-il percevoir l’intersection
de trois facteurs: le rapport avec l'Islam “ethnique” des premières générations d’immigrés,
le rapport avec la société européenne et, enfin, l'influence des flux transnationaux
des musulmans en Europe. On assiste en outre à une différenciation croissante entre
les expériences plus traditionnelles liées à l’Islam des pays de provenance et d’autres
formes plus personnalisées marquées par la culture européenne, ayant une tendance
parfois plus libérale ou, dans d’autres cas, "néo-orthodoxe". Il s’agit d’ailleurs
d’un nouveau type d’organisation, de type associatif, ayant des objectifs exclusivement
religieux, en dialogue avec la culture européenne. Il est de toute façon évident que
le musulman se considère, aux niveaux personnel et communautaire, comme appartenant
à l'Islam, indépendamment de la grande variété de ses traditions.
Martino Diez,
quant à lui, a présenté le projet Oasis promu en 2004 par le cardinal Angelo Scola
de Venise pour soutenir le dialogue avec les musulmans et avec les chrétiens qui vivent
dans les pays à majorité musulmane. Oasis est une Fondation internationale qui publie
une revue mensuelle en plusieurs langues, y compris en arabe. Elle produit également
un bulletin envoyé gratuitement par courriel et deux collections de livres. Son exposé
était centré sur la question de l’identité de l’interlocuteur. On a vu qu’il s’agit
d’une question très délicate et que l’on tombe facilement dans des formes stéréotypées
qui ne correspondent pas à la réalité. Diez a parlé d’un autre thème important, le
métissage (la rencontre entre cultures différentes). Si la question semble parfois
problématique, il ne faut pas en faire un drame, mais y voir une occasion d’accroître
les possibilités d’une vie en commun entre personnes provenant de cultures différentes.
Il faut une société où l’on puisse de plus en plus reconnaître l’autre et être reconnu,
car sans une reconnaissance réciproque, il ne pourra pas y avoir un vrai dialogue.
Le père blanc Hans Vöcking, expert d’Islam pour le CCEE, a raconté la déjà
longue histoire du travail que le CCEE a réalisé avec d’autres églises chrétiennes
membres de la KEK (Conférence des Eglises européennes) dans le cadre du dialogue avec
l’Islam. Il pense que l’Eglise est appelée elle aussi à repenser son approche. “Il
y a 30 ans encore, pour les Eglises, la présence des musulmans en Europe était du
domaine des aides aux immigrés. Aujourd’hui, on constate que les musulmans sont partie
intégrante des sociétés européennes et cette présence nécessite une nouvelle réflexion
qui soit à la fois pastorale, sociale, caritative et religieuse ”.
A la fin
de la réunion, un grand nombre de participants ont exprimé le souhait d’organiser
d’autres rencontres de ce type, qui peuvent être des occasions de s’attaquer à une
série de thèmes communs et de faire connaître ce que les différents pays font pour
faire face aux diverses situations qui, malgré les caractéristiques spécifiques de
chaque pays, sont similaires.