2009-04-14 17:42:25

Le Père Lombardi : Benoît XVI rend un grand service à l’Église par son enseignement clair et sans compromis.


Version intégrale de l'interview accordée à Philippe Baverel du quotidien Le Parisien par le Père Federico Lombardi, S.J., directeur général de Radio Vatican et du Bureau de presse du Saint-Siège.
 Quel est le sens de la fête de Pâques en ce printemps 2009, particulièrement troublé pour l’Église ?

 
Le sens de Pâques, c’est évidemment l’annonce de la mort et de la résurrection du Christ pour le salut et l’espérance de tous, hommes et femmes de tous pays, de tous temps et de toute condition. C’est le message fondamental qui ne doit être ni oublié ni dissimulé pour aucune raison.Aujourd’hui, le monde est préoccupé par la crise économique et ses conséquences, qui en grande partie nous échappent encore. En de nombreux endroits du monde, il existe une pauvreté dramatique, des conflits qui semblent sans solutions. Mais la participation du Christ à notre destin jusqu’à la mort, puis sa vie après la mort, peut encourager toutes les personnes de bonne volonté à s’engager pour améliorer ce monde sans perdre son âme. Cela constituera certainement le noyau du message de Pâques du Pape. L’Église est au service du monde. Je pense que les Français, qui ont été nombreux à connaître et apprécier le Pape en septembre dernier, ont à Pâques une bonne occasion de le réécouter et comprendre ce qu’il dit sur les thèmes fondamentaux.
 La semaine dernière, Mgr André Vingt-Trois, cardinal archevêque de Paris, a évoqué, à propos de la levée de l’excommunication des évêques intégristes, insuffisamment préparée selon lui, les « dysfonctionnements évidents du Vatican ». Quels sont, vus de l’intérieur, ces dysfonctionnements ?

 Le Pape a écrit une lettre à tous les évêques du monde, dans laquelle il a procédé avec une extrême sincérité, à l’examen de ce qui n’avait pas bien fonctionné à l’occasion de la levée de l’excommunication des fidèles de Mgr Lefebvre. Il a très bien expliqué le sens de son geste qui n’apparaissait pas aussi clairement dans un premier temps, également à cause de la coïncidence avec les déclarations inacceptables de Williamson. Il a indiqué de quelle façon il entendait réorganiser la Commission qui devra suivre les relations avec les lefebvristes, et les critères qu’elle devra adopter. Il a réaffirmé les lignes prioritaires de son pontificat. Par cette lettre, il nous a donné un très bel exemple d’humilité en réagissant ainsi aux tensions qui s’étaient vérifiées dans l’Église. Si nous étions tous capables de suivre son exemple, nous ferions de nombreux pas en avant, et pas uniquement au Vatican.
 Si le Pape n’était pas informé des déclarations négationnistes de l’un de ces évêques, Mgr Richard Williamson, pourquoi les cardinaux chargés des négociations avec les intégristes, n’ont-il pas prévenu Benoît XVI ?

 Après la diffusion de l’interview de Williamson à la télévision suédoise, on aurait dit que tout le monde aurait du être au courant de ses idées, mais il n’en est pas ainsi. Ce n’est pas vrai qu’il aurait suffi de faire une recherche sur Google. Tenons compte aussi de deux choses. Les rapports étaient entretenus principalement avec le supérieur de la fraternité Saint Pie X, c’est à dire Mgr Fellay, et pas Williamson. Ensuite, la levée de l’excommunication, concernait une décision disciplinaire vieille de 20 ans faisant suite à une ordination faite par Mgr Lefebvre contre la volonté du Pape et non à cause des idées des évêques ordonnés. Cet aspect a été moins pris en compte. 
Mettez-vous en cause le mode de gouvernement du Vatican ?
 Écoutez, toute institution peut s’améliorer. C’est une évidence. Mais j’ai entendu par exemple, des diplomates français parler avec admiration de la manière dont le Saint-Siège gérait ses relations avec de très nombreux États et institutions dans le monde, qui plus est, avec un personnel réduit et de toutes petites ressources si on les compare aux autres États. Je prends un exemple : la section pour les relations avec les États, le ministère des affaires étrangères du Vatican, ne représente qu’une fraction infinitésimale des ressources du ministère des affaires étrangères d’un État européen, mais cette section est très respectée dans le monde entier pour son autorité. Il en va de même pour d’autres dicastères dont on parle peu précisément parce qu’ils fonctionnent bien.
 Ne s’agit-il pas aussi d’un problème de communication ? Selon vous, quelles mesures doit prendre le Vatican pour mieux faire passer le message de l’Église à l’avenir ?

 
Certainement, nous pouvons et nous devons nous améliorer dans le domaine de la communication. Nous devons utiliser un langage toujours plus accessible, expliquer clairement et de façon concise, les contenus que nous voulons faire passer, aider les journalistes à comprendre les points essentiels. Mais permettez-moi de dire qu’une bonne communication ne fonctionne pas seulement parce qu’il existe un communicateur capable, il faut aussi un canal de communication et un auditeur qui veuillent comprendre ce que le communicateur est en train de dire et pas ce qu’ils ont déjà en tête, quelquefois par préjugé ou par intérêt. Si le message est repris partiellement ou altéré, même si je suis le meilleur communicateur du monde, les gens ne pourront pas comprendre ce que je voulais dire. Aujourd’hui la communication en général rencontre de sérieux problèmes, parce qu’elle a beaucoup changé au cours de ces dernières années : elle est en ligne 24h/24, il existe d’innombrables sites et blogs dont on ne peut vérifier clairement la crédibilité, etc. Des vagues d’informations chocs se forment en un rien de temps avant d’être ensuite redimensionnées. Écoutez, il serait ridicule de penser que seule l’Église aujourd’hui rencontre ces problèmes. Ce sont les mêmes problèmes pour tous, et dans tous les domaines. Nous, en tant que communicateurs, nous devons nous interroger sur la façon d’accomplir sérieusement notre mission dans cette situation, sans confondre les idées, et sans créer à la fin, de climat de méfiance. Car en fin de compte, c’est un risque grave, et pas uniquement pour les catholiques, mais pour tout le monde.

La main tendue aux intégristes ne risque-t-elle pas d’aboutir à une remise en cause de Vatican II (liberté religieuse, dialogue avec les autres religions…) ?

 Beaucoup ont manifesté cette crainte, mais le Pape a dit très clairement que ce n’était pas du tout son intention. Dans sa lettre, que j’ai déjà évoquée, se référant à l’acceptation du Concile et du magistère successif des papes, il dit textuellement : « on ne peut pas congeler l’autorité magistérielle de l’Église en 1962 (autrement dit avant le Concile Vatican II) – ceci doit être bien clair à la Fraternité (saint Pie X) ». Parallèlement, il dit aussi à l’autre partie : « À certains de ceux qui se présentent comme des grands défenseurs du Concile, ils doivent se souvenir que Vatican II porte en soi l’intégralité de l’histoire doctrinale de l’Église… qui veut être fidèle au Concile… ne peut pas couper les racines dont l’arbre vit ». Benoît XVI a vécu personnellement le Concile, et j’ai confiance, c’est la personne la mieux indiquée pour nous guider dans une interprétation correcte.
 Mgr Richard Williamson qui nie la Shoah, a-t-il sa place dans l’Église catholique ?

 Il n’y a pas le moindre doute sur la position de Benoît XVI et de l’Église catholique sur la Shoah. Les condamnations ont été réitérées un nombre incalculable de fois. En ce qui concerne le cas spécifique de Williamson, la note de la Secrétairerie d'État publiée sur décision du Pape le 4 février affirme que « l'évêque Williamson, pour une admission à des fonctions épiscopales dans l’Église devra prendre ses distances publiquement et sans aucune équivoque de ses positions concernant la Shoah ». J’ajoute que je pense que la Shoah constitue pour la conscience contemporaine la plus évidente manifestation du mal au monde. Nous, chrétiens, croyons que c’est pour vaincre la puissance du mal que Jésus est mort sur la croix, comme nous l’avons médité au cours de ce vendredi saint. Si nous ne savons pas reconnaître la présence du Mal, nous ne saurons pas moins comprendre pourquoi Jésus Christ a dû mourir. Par conséquent, la négation de la Shoah est particulièrement grave pour un chrétien aussi.
 L’excommunication de la mère de la fillette brésilienne de neuf ans qui a avorté après avoir été violée par son beau-père, a suscité l’incompréhension, y compris parmi les évêques. Quelle est la position de l’Église sur l’avortement ?

 Franchement, j’ai été surpris par la vivacité des discussions en Europe, autour d’un cas, évidemment dramatique, qui s’est vérifié outre Atlantique alors que l’on ne savait pas grand-chose des circonstances et de ce qu’avait réellement fait l’Église locale pour affronter la situation. J’ai l’impression qu’il s’est agi d’un cas typique de superficialité médiatique dont nous avons déjà parlé. Que font tous ceux qui se sont mis à pontifier en cette occasion, pour résoudre les problèmes des mineurs au Brésil ? Un confrère jésuite qui est en première ligne depuis des décennies pour venir en aide aux mineurs en difficulté au Brésil, parlait beaucoup plus prudemment, mais avec une évidente connaissance du dossier, que nos médias. Quoi qu’il en soit, je pense aujourd’hui que l’excommunication est un mot qu’il est difficile de comprendre et qui crée plus de confusion qu’autre chose. C’est pourquoi je partage ce que l’Osservatore Romano a écrit en première page, disant qu’il n’était pas utile d’insister sur l’excommunication. Concernant l’avortement, l’Église y est contraire depuis toujours, car elle considère que c’est la mort d’un être humain innocent. L’Église sait qu’elle va à contre-courant par rapport aux tendances très répandues dans la société contemporaine, mais elle est convaincue que la défense de la vie à naître est de son devoir pour le bien de l’humanité, pour l’affirmation des droits fondamentaux des personnes en situation de difficulté et d’infériorité. Naturellement, le jugement moral sur des cas spécifiques et leur gravité dépend aussi des circonstances, des motivations, etc. Mais l’avortement reste toujours un grave attentat à la personne humaine, et l’Église continue à le dire parce que la société a tendance aujourd’hui à le considérer avec indifférence.
 On ne peut « pas régler le problème du sida avec la distribution de préservatifs. Au contraire, leur utilisation aggrave le problème », a déclaré Benoît XVI dans l’avion qui l’emmenait en Afrique le 17 mars dernier. A-t-il eu tort de tenir ces propos, dans ces circonstances ?

 Écoutez, j’étais présent et j’ai très bien entendu la réponse du Pape. J’ai compris que l’utilisation du verbe ‘aggraver’ pouvait faire l’objet de discussions, mais le sens des propos du Pape, en ce qui me concerne, était plutôt clair. Le Pape n’était pas en train de faire un traité, ou de promulguer un document officiel sur tous les aspects de la lutte contre le Sida, mais il répondait oralement et en quelques minutes, à une question dans un avion en vol au milieu de 70 personnes massées devant lui. La question contenait une accusation contre l’inefficacité de l’engagement de l’Église contre le Sida. Comme chacun sait, l’engagement de l’Église est fait principalement d’éducation à la responsabilité dans la sexualité (abstinence et fidélité entre époux), de soins médicaux (le Pape au Cameroun a demandé la gratuité des médicaments), d’assistance humaine et spirituelle des malades. Le Pape l’a bien dit, et il a dit aussi que cela était efficace. D’un autre côté, comme vous le savez, de nombreux projets et de nombreuses personnes mettent un important accent, pour pas dire qu’ils en font la priorité, même si ce n’est pas leur seule priorité, sur la distribution des préservatifs comme solution au problème, et c’est à cela que l’on se réfère quand on parle de solution ‘efficace’. Le Pape conteste cela, et pense qu’on ne soutient pas de cette façon la responsabilité personnelle qui est la première clé de la solution. Je pense qu’il a tous les droits de le penser et de le dire, et qu’il s’agit d’une affirmation tout à fait raisonnable. Du reste, malgré les nombreuses réactions scandalisées, on a entendu des personnes dignes de foi, étrangères à l’Église, parler de la nécessité de « modifier les priorités » dans les méthodes de lutte contre le Sida. Les recherches confirment que la mesure la plus efficace est précisément la promotion de l’abstinence et de la fidélité, tandis que le préservatif ne joue pas un rôle primordial. Comme à d’autres reprises, le Pape s’est attiré de nombreuses critiques, mais il a ouvert un chemin pour une réflexion plus approfondie, utile à tous.
 Pourtant, l’Église est le premier organisme privé d’aide aux malades de sida en Afrique ou les prêtres distribuent les préservatifs. Pourquoi un tel décalage entre le discours du Pape et la réalité sur le terrain ?

 Écoutez, pour ce que je sais, chez ceux qui sont engagés dans la lutte contre le Sida dans l’Église, il existe un large consensus autour de la priorité à donner à la responsabilité et à la fidélité. Du reste, c’est une conséquence nécessaire d’une vision positive de la personne, de sa dignité, de la confiance en elle, qui caractérise dans son ensemble l’engagement chrétien pour le développement, et qui est ce qui manque à ceux qui misent surtout sur des solutions « techniques ». Si ensuite, comme solution de repli face à des cas de rapports considérés comme inévitables et à haut risque, on accepte l’usage du préservatif, et comment ces situation doivent être évaluées, il s’agit d’un autre dossier, qui ne doit pas être mélangé avec le choix des lignes prioritaires de la lutte contre le Sida auxquelles le Pape faisait référence.
 « Ce Pape commence à poser un vrai problème », a affirmé l’ancien premier ministre Alain Juppé, au lendemain des propos sur le préservatif de Benoît XVI qu’il a accusé d’ « autisme ». Que vous inspire cette déclaration ?

 Il me semble plutôt que ce sont ces déclarations qui commencent à poser un vrai problème. Si des personnes qui ont eu, ou qui ont des rôles importants dans la société interviennent sans être bien informées sur le Pape, et sur ce qu’il dit ou fait, cela signifie qu’ils ne se rendent pas compte du rôle de son autorité morale dans le monde contemporain. Pendant sa visite en France, cet aspect a été reconnu par des personnalités importantes de la société française, à commencer par le Président de la République. Vers quelles espérances se tournent nos contemporains ? Pouvons-nous construire le lendemain de notre société sans s’appuyer sur les valeurs solides de la tradition chrétienne ? Il faut faire très attention à ne pas démolir l’autorité de l’Église dans le cœur des gens. Le risque, c’est de laisser un grand vide.
 On dit beaucoup de Benoît XVI qui aura 82 ans le 16 avril prochain, qu’il est isolé, mal conseillé et très loin des réalités quotidiennes. Qu’en est-il exactement ? Comment s’informe-t-il ? Est-ce qu’il regarde la télévision, comme le faisait Jean-Paul II ? Est-ce qu’il lit beaucoup les journaux ?

 Ce n’est pas vrai que le Pape est seul et isolé ou qu’il ne sait pas ce qui se passe dans le monde. Naturellement, il regarde les informations à la télé, il lit les journaux, il reçoit chaque matin une revue de presse. Il accorde une attention particulière à ses collaborateurs, et aux nombreuses personnes de la société et de l’Église qu’il a l’occasion de rencontrer, et qui viennent des quatre coins du monde. Ces rencontres occupent une bonne partie de ses journées : Et peut-être que ce n’est pas si mal de ne pas trop dépendre des médias ! Une personne qui ne se serait informée sur le voyage en Afrique uniquement à travers les médias n’aurait rien compris de ce qu’il s’est vraiment passé !
 Benoît XVI a-t-il conscience de l’embarras que suscitent ses déclarations chez de nombreux catholiques ?

 La lettre qu’il a écrite aux évêques après les discussions sur les traditionalistes démontre qu’il était tout à fait conscient de ce qu’il se disait, et cela l’a profondément touché. Il a mûrement réfléchi, comme pasteur et personnellement comme croyant, à la lumière des exigences de l'Évangile et a pris une décision courageuse avec beaucoup d’humilité. C’est une leçon admirable.
 Ne craignez-vous pas que les catholiques déboussolés par l’accumulation des polémiques de ce début d’année, prennent encore plus leur distance avec une institution dans laquelle ils ne se reconnaissent plus ? L’Église ne risque-t-elle pas de « devenir une secte », pour reprendre la formule du théologien Hans Küng ?

 Je pense que les catholiques doivent d’abord vivre leur vie de chrétien chaque jour, s’appuyant sur l'Évangile, sur leur relation à Dieu dans la prière et la liturgie, témoignant de leur foi dans une charité active. Si ces dimensions sont bien fondées, il n’y a pas de danger de désorientation. Sachez que le Pape y consacre la plus grande partie de sa mission. Ses homélies lors des messes, ses catéchèses aux audiences générales du mercredi ou l’angélus le dimanche sont d’une grande richesse pour la formation spirituelle et culturelle des chrétiens. C’est là que se trouve le charisme exceptionnel de Benoît XVI. Il serait bon de le rappeler sans dévier l’attention sur des disputes concernant tel ou tel argument, auquel la presse confère généralement un caractère sensationnel parfois dans le but de désorienter l’Église. Il est clair également que souvent le chrétien se trouve en porte à faux par rapport à la « culture du temps » traversée par le matérialisme, l’individualisme et l’hédonisme ; on ne doit donc pas non plus être surpris si on se trouve en contradiction ou en minorité par rapport à une mentalité répandue. Ceci ne signifie pas être une secte, mais que nous ne devons pas perdre notre identité chrétienne fondée sur l'Évangile. Tout cela aujourd’hui est difficile. C’est pourquoi les bases de la foi doivent être solides.
 D’après un sondage publié en France, 43% des catholiques souhaitent la démission de Benoît XVI. La succession des polémiques ne va-t-elle pas relancer le débat qu’on a connu à la fin du pontificat de Jean-Paul II (pour des raisons de santé), sur une éventuelle démission du Pape ?

 
Comme je viens de le dire, je suis absolument convaincu que Benoît XVI rend un grand service à l’Église par son enseignement clair et sans compromis, sa grande spiritualité et sa profonde culture. La valeur du service à l’Église ne se mesure pas avec des sondages très discutables et superficiels. J’espère de tout cœur que ce Pape puisse poursuivre encore longtemps sa mission, avec la solidarité spirituelle des évêques et de toute l’Église, à commencer par les catholiques français, qui l’ont connu et accueilli avec un bel enthousiasme en septembre dernier, et témoignent ces jours-ci de leur présence active dans l’Église. Les catholiques de France pour lesquels le Pape nourrit une profonde estime.







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