Benoît XVI invite les prêtres à défendre la vérité
Ce jeudi Saint, à partir de 9 heures 30, Benoît XVI a présidé la messe chrismale en
la basilique Saint-Pierre. Dans son homélie, le Pape a développé une réflexion sur
le sacerdoce en faisant usage de deux mots : consécration et sanctification. Le prêtre
ne doit pas se couper du monde, mais il doit toujours s'opposer au mensonge, sans
avoir peur d'aller à contre-courant des opinions dominantes. Il doit renoncer à sa
propre réalisation pour dire oui au Christ, aux pauvres, aux plus petits. Ecoutez
le compte-rendu d'Olivier Bonnel
A l’issue
de la messe chrismale, à la sortie de la basilique, Antoine Bellier a recueilli les
réactions de quelques fidèles. Ecoutez
Homélie
du Saint-Père pour la messe chrismale
Chers frères et sœurs, Au Cénacle,
la veille de sa passion, le Seigneur a prié pour ses disciples réunis autour de Lui,
regardant en même temps par avance vers la communauté des disciples de tous les temps,
vers « ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi » (Jn 17, 20).
Dans sa prière pour tous ses disciples de tous les temps, il a pensé aussi à nous
et il a prié pour nous. Écoutons ce qu’il demande pour les Douze et pour nous qui
sommes réunis ici : « Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité. De même que
tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et pour
eux je me consacre moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi consacrés par la vérité »
(Jn 17, 17ss). Le Seigneur demande notre sanctification, notre sanctification
dans la vérité. Et il nous envoie pour continuer sa propre mission. Mais il y a dans
cette prière une phrase qui attire notre attention, qui nous semble peu compréhensible.
Jésus dit : « Pour eux je me consacre moi-même ». Qu’est-ce que cela signifie ? En
soi, Jésus n’est-il pas « le Saint de Dieu », comme Pierre l’a déclaré à un moment
décisif à Capharnaüm (cf. Jn 6, 69) ? Comment peut-il à présent se consacrer,
c’est-à-dire se sanctifier lui-même ?
Pour le comprendre, nous devons surtout
expliquer ce que veulent dire dans la Bible les mots « saint » et « consacrer/sanctifier ».
« Saint » - ce mot indique avant tout la nature même de Dieu, sa manière d’être toute
particulière, sa divinité, qui est propre à Lui seul. Lui seul est le véritable et
authentique Saint au sens originaire. Toute autre sainteté provient de Lui, est une
participation à sa manière d’être. Il est la Lumière très pure, la Vérité et le Bien
sans tâche. Consacrer quelque chose ou quelqu’un signifie donc donner cette chose
ou cette personne en propriété à Dieu, la retirer du cadre de ce qui est nôtre et
l’introduire dans son domaine, afin qu’elle ne nous appartienne plus, mais soit totalement
de Dieu. Consacrer c’est donc enlever du monde et remettre au Dieu vivant. La chose
ou la personne ne nous appartient plus, et ne s’appartient même plus à elle-même,
mais elle est plongée en Dieu. Se priver de cette manière d’une chose pour la donner
à Dieu, c’est ce que nous appelons aussi sacrifice : cela ne sera plus ma propriété,
mais sera sa propriété à Lui. Dans l’Ancien Testament, la remise d’une personne à
Dieu, c’est-à-dire sa « sanctification », s’identifie avec l’Ordination sacerdotale,
et, de cette manière, est défini aussi ce en quoi consiste le sacerdoce : c’est un
passage de propriété, c’est être enlevé du monde et donné à Dieu. Ainsi sont mises
en évidence les deux directions qui font partie du processus de sanctification/consécration.
C’est sortir du contexte de la vie mondaine – c’est « être mis à part » pour Dieu.
Mais, pour cette raison précisément, ce n’est pas une ségrégation. Être remis à Dieu,
cela signifie plutôt être placé pour représenter les autres. Le prêtre est soustrait
aux liens mondains et donné à Dieu, et ainsi, à partir de Dieu, il est disponible
pour les autres, pour tous. Quand Jésus dit : « Je me consacre », Il se fait en même
temps prêtre et victime. C’est pourquoi Bultmann a raison en traduisant l’affirmation :
« Je me consacre » par « Je me sacrifie ». Comprenons-nous à présent ce qui se produit
quand Jésus dit : « Je me consacre pour eux » ? C’est là l’acte sacerdotal par lequel
Jésus – l’homme Jésus, qui ne fait qu’un avec le Fils de Dieu – se donne au Père pour
nous. C’est l’expression du fait qu’il est à la fois prêtre et victime. Je me consacre
– je me sacrifie : cette expression abyssale, qui nous laisse percer l’intimité du
cœur de Jésus Christ, devrait être continuellement l’objet de notre réflexion. En
elle est englobé tout le mystère de notre rédemption. Et l’origine du sacerdoce de
l‘Église y est aussi contenue.
À présent seulement, nous pouvons comprendre
pleinement la prière que le Seigneur a présentée à son Père pour les disciples – pour
nous. « Consacre-les par la vérité » : c’est là l’entrée des apôtres dans le sacerdoce
de Jésus Christ, l’institution de son sacerdoce nouveau pour la communauté des fidèles
de tous les temps. « Consacre-les par la vérité » : c’est là la véritable prière de
consécration pour les apôtres. Le Seigneur demande que Dieu lui-même les attire à
lui, dans sa sainteté. Il Lui demande de les soustraire à eux-mêmes et de les faire
siens, afin que, à partir de Lui, ils puissent remplir leur service sacerdotal pour
le monde. Cette prière de Jésus apparaît deux fois sous une forme légèrement modifiée.
Les deux fois, nous devons l’écouter avec beaucoup d’attention pour commencer à comprendre
au moins un peu le fait sublime qui est en train de s’accomplir. « Consacre-les par
la vérité ». Jésus ajoute : « Ta parole est vérité ». Les disciples sont donc attirés
dans l’intimité de Dieu par leur immersion dans la parole de Dieu. La parole de Dieu
est, pour ainsi dire, le bain qui les purifie, le pouvoir créateur qui les transforme
dans l’être de Dieu. Qu’en est-il alors dans notre vie ? Sommes-nous vraiment imprégnés
de la parole de Dieu ? Est-elle vraiment la nourriture qui nous fait vivre, plus encore
que le pain et les choses de ce monde ? La connaissons-nous vraiment ? L’aimons-nous ?
Intérieurement, nous préoccupons-nous de cette parole au point qu’elle façonne réellement
notre vie et informe notre pensée ? Ou bien notre pensée n’est-elle pas plutôt sans
cesse modelée sur tout ce qui se dit et tout ce qui se fait ? Les opinions prédominantes
ne sont-elles pas très souvent les critères sur lesquels nous nous basons ? Ne demeurons-nous
pas, en fin de compte, dans la superficialité de tout ce qui s’impose en général à
l’homme d’aujourd’hui ? Nous laissons-nous vraiment purifier dans notre for intérieur
par la parole de Dieu ? Friedrich Nietzsche a décrit ironiquement l’humilité et l’obéissance
comme des vertus serviles, par lesquelles les hommes auraient été diminués. Il a mis
à leur place la fierté et la liberté absolue de l’homme. Or, il y a des caricatures
d’une humilité erronée et d’une soumission erronée, que nous ne voulons pas imiter.
Mais il y a aussi l’orgueil destructeur et la présomption qui désintègrent toute communauté
et aboutissent à la violence. Savons-nous apprendre du Christ la juste humilité qui
correspond à la vérité de notre être, et l’obéissance qui se soumet à la vérité, à
la volonté de Dieu ? « Consacre-les par la vérité ; ta parole est vérité » : ces mots
qui introduisent dans le sacerdoce éclairent notre vie et nous appellent à devenir
toujours à nouveau disciples de cette vérité, qui se révèle dans la parole de Dieu.
Je
crois que, dans l’interprétation de cette phrase nous pouvons faire encore un pas
de plus. Jésus n’a-t-il pas dit de lui-même : « Je suis la vérité » (cf. Jn 14.
6) ? Est-ce qu’il n’est pas lui-même la Parole vivante de Dieu, à laquelle se rapportent
toutes les autres paroles ? Consacre-les par la vérité – cela veut donc dire, au sens
le plus profond : fais qu’ils ne soient qu’un avec moi, le Christ. Attache-les à moi.
Attire-les en moi. Et, de fait, il n’existe en dernière analyse qu’un seul
prêtre de la Nouvelle Alliance, Jésus lui-même. Et le sacerdoce des disciples, par
conséquent, ne peut être qu’une participation au sacerdoce de Jésus. Notre être de
prêtres n’est donc pas autre chose qu’une nouvelle façon d’être unis au Christ. Substantiellement,
cela nous a été donné pour toujours dans le Sacrement. Mais ce nouveau sceau sur notre
être peut devenir pour nous un jugement de condamnation si notre vie ne se déploie
pas dans la vérité du Sacrement. Les promesses que nous renouvelons aujourd’hui disent
à ce propos que notre volonté doit être orientée ainsi : Domino Iesu arctius coniungi
et conformari, vobismetipsis abrenuntiantes. S’unir au Christ suppose le renoncement.
Cela implique que nous ne voulons pas imposer notre route, ni notre volonté ; que
nous ne désirons pas devenir ceci ou cela, mais que nous nous abandonnons à Lui, sans
nous préoccuper de savoir où et de quelle manière il voudra se servir de nous. « Je
vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20) a
dit saint Paul à ce sujet. Dans le « oui » de l’Ordination sacerdotale nous avons
fait ce renoncement fondamental à la volonté d’être autonomes, à l’« autoréalisation ».
Mais, jour après jour, il faut réaliser ce grand « oui » dans les nombreux petits
« oui » et dans les petits renoncements. Ce « oui » des petits pas qui mis ensemble
forment le grand « oui », pourra se réaliser sans amertume et sans apitoiement sur
soi, seulement si le Christ est vraiment le centre de notre vie. Dans la mesure où
nous entrons dans une authentique familiarité avec Lui. Alors, en fait, au milieu
des renoncements qui au début peuvent être cause de souffrances, nous faisons l’expérience
de la joie croissante de l’amitié avec Lui, de tous les petits et parfois aussi des
grands signes de l’amour qu’il nous donne continuellement. « Qui perd sa vie la trouve ».
Si nous osons nous perdre nous-mêmes pour le Seigneur, nous vérifions alors par l’expérience
combien cette parole est vraie. Être plongés dans la Vérité, dans le Christ –
la prière fait partie de ce processus dans lequel nous apprenons à devenir ses amis
et à le connaître : sa manière d’être, de penser, d’agir. Prier est un cheminement
dans une communion personnelle avec le Christ, lui présentant notre vie quotidienne,
nos succès et nos échecs, nos épreuves et nos joies – il s’agit simplement de se présenter
devant Lui. Mais pour éviter que cela ne devienne une auto-contemplation, il est important
que nous apprenions continuellement à prier en priant avec l'Église. Célébrer l’Eucharistie
veut dire prier. Nous célébrons l’Eucharistie de manière juste, si en pensée et par
tout notre être nous entrons dans les paroles que l'Église nous propose. En elles
se trouve la prière de toutes les générations qui nous entraînent avec elles sur le
chemin vers le Seigneur. Comme prêtres, nous sommes ceux qui, dans la célébration
eucharistique, par leur prière, ouvrent la route à la prière des fidèles d’aujourd’hui.
Si nous sommes intérieurement unis aux paroles de la prière, si nous nous laissons
guider et transformer par elles, alors les fidèles eux-aussi trouvent l’accès à ces
paroles. Alors, nous devenons tous véritablement « un seul corps et une seule âme »
avec le Christ.
Être plongés dans la vérité et ainsi dans la sainteté de Dieu,
cela signifie pour nous accepter aussi le caractère exigeant de la vérité ; s’opposer,
dans les grandes choses comme dans les petites au mensonge, qui de manière extrêmement
variée est présent dans le monde ; accepter le combat pour la vérité, parce que sa
joie la plus profonde est présente en nous. Quand nous parlons d’être consacrés par
la vérité, nous ne devons pas non plus oublier qu’en Jésus Christ vérité et amour
sont une seule réalité. Être plongés en Lui signifie être plongés dans sa bonté, dans
l’amour vrai. L’amour vrai ne se trouve pas à bon marché, il peut même être très exigeant.
Il oppose résistance au mal, pour conduire l’homme vers le bien véritable. Si nous
devenons un avec le Christ, nous apprenons à Le reconnaître dans ceux qui souffrent,
dans les pauvres, dans les petits de ce monde ; alors nous devenons des personnes
qui servent, qui reconnaissent les frères et sœurs du Christ et qui en eux le rencontrent
Lui-même.
« Consacre-les par la vérité » - c’est la première partie de cette
parole de Jésus. Mais il ajoute après : « Pour eux, je me consacre moi-même, afin
qu’ils soient, eux aussi, consacrés par la vérité » - c’est-à-dire authentiquement
(Jn 17,19). Je pense que cette deuxième partie a une signification particulière.
Il existe dans les diverses religions dans le monde de multiples modes rituels de
« sanctification », de consécration d’une personne humaine. Mais tous ces rites peuvent
rester à un niveau purement formel. Le Christ demande pour ses disciples la vraie
sanctification, qui transforme leur être, qui les transforme eux-mêmes ; que cela
ne reste pas purement rituel, mais soit une véritable appropriation par le Dieu saint.
Nous pourrions dire encore : le Christ a demandé pour nous le Sacrement qui nous touche
dans les profondeurs de notre être. Mais il a prié aussi pour que cette transformation
qui s’accomplit jour après jour en nous se traduise en vie ; il a prié pour que dans
notre vie quotidienne, dans le concret de notre vie de chaque jour, nous soyons vraiment
envahis par la lumière de Dieu. A la veille de mon Ordination sacerdotale, il
y a 58 ans, j’ai ouvert la Sainte Écriture, parce que je voulais encore recevoir une
Parole du Seigneur pour ce jour et pour le chemin que j’aurai à parcourir comme prêtre.
Et mon regard est tombé sur ce passage : « Consacre-les par la vérité : ta parole
est vérité ». Alors j’ai su : le Seigneur est en train de parler de moi, et il est
en train de me parler. C’est exactement ce qui arrivera pour moi demain. En dernière
analyse, nous ne sommes pas consacrés par des rites, même s’il y a besoin de rites.
Le bain dans lequel le Seigneur nous plonge, c’est Lui-même – la Vérité en personne.
Ordination sacerdotale, veut dire : être immergés en Lui, dans la Vérité. Je lui appartiens
d’une manière nouvelle et de cette manière j’appartiens aux autres, « pour que ton
règne vienne ». Chers amis, au moment du renouvellement des promesses, nous voulons
prier le Seigneur afin qu’il fasse de nous des hommes de vérité, des hommes d’amour,
des hommes de Dieu. Prions-le de nous attirer toujours plus en lui, afin que nous
devenions véritablement prêtres de la Nouvelle Alliance. Amen.