Les évêques de l’Outre-Mer réunis à Paris pour analyser la crise sociale
Loin de se calmer, la crise sociale aux Antilles pourrait se propager à la Réunion,
où un Collectif a appelé jeudi à la grève générale alors qu'en Guadeloupe les négociations
sont au point mort. Dans ce contexte, le Président français aNicolas Sarkozy annoncé
devant le Conseil des ministres la mise en place, "sans délai", d’un Conseil interministériel
de l’Outre-Mer. Préoccupés par les "difficultés extrêmes" auxquelles leur population
est confrontée les évêques des DOM se sont réunis les 11 et 12 février à Paris pour
analyser la situation. Jeudi soir, ils ont publié un message, « La force de l’Espérance »,
dans lequel ils interpellent les pouvoirs publics et économiques mais aussi la population
locale. Romilda Ferrauto a joint Mgr Gilbert Aubry, évêque de Saint-Denis de la
Réunion. Ecoutez
Voici le texte
intégral du message commun des évêques de l’Outre-Mer : La force de l’espérance
1.
Evêques des quatre départements français d’outre mer, nous venons de nous retrouver
à Paris. Les circonstances ne pouvaient être plus opportunes au vu des mouvements
sociaux qui se sont développés depuis quelques mois à la Réunion, puis en Guyane,
et maintenant en Guadeloupe et en Martinique. De plus, des débats sur une évolution
statutaire sont déjà engagés ou peuvent se faire jour dans nos départements.
2.
Conscients de notre responsabilité pastorale, nous portons sur la situation et les
débats en cours un regard rempli d’espérance pour inviter à l’engagement. Le Christ
lui-même nous y invite : « Sois sans crainte. Je suis le Premier et le Dernier,
je suis le Vivant » (Ap 1, 17-18).
3. Forts de cette espérance,
nous voulons dire tout d’abord que nous communions aux difficultés extrêmes dans lesquelles
nos peuples se débattent. La crise financière et économique a dans nos régions des
répercussions tragiques en raison de situations sociales très difficiles et d’une
vie chère désormais insupportable. Là se trouve la raison première des mouvements
sociaux actuels. Nous invitons tous les responsables à entendre et à prendre au sérieux
le cri qui s’élève.
4. Nous croyons que les turbulences actuelles invitent
à mieux appliquer le principe de subsidiarité déjà acté au niveau européen[1] :
gérer au plus près du terrain tout ce qui peut l’être sans recourir systématiquement
aux instances supérieures. Cela conduit à penser de nouveaux rapports entre nos régions
respectives, la France métropolitaine et l’Union Européenne. Il s’agit de confier
des responsabilités plus grandes à nos élus, afin d’adapter à la situation sociale,
culturelle et économique de nos peuples des règlements qui, pris à des milliers de
kilomètres, ne peuvent pas être appliqués tels quels. Tout ce qui peut faire croire
à un relent de colonialisme ou de néocolonialisme doit être définitivement aboli.
La relecture de notre histoire, marquée par l’esclavage, et la conscience des progrès
accomplis devraient aussi permettre de guérir les blessures de nos peuples. Il s’agit
enfin de prendre en compte l’environnement régional de nos départements dans les Caraïbes,
en Amérique du sud et dans l’Océan indien. Nos situations doivent être reconnues en
contexte de mondialisation comme une chance qui nous place au premier rang dans les
rapports de la France et de l’Union Européenne avec les pays qui nous entourent. Pour
permettre un meilleur exercice du pouvoir, un changement de statut peut être un levier
efficace. C’est pourquoi nous suivons avec attention le débat déjà engagé aux Antilles
– Guyane sur les articles 72, 73 et 74 de la Constitution, au sujet d’une évolution
institutionnelle.
5. Nous savons cependant qu’une évolution institutionnelle
ne peut seule tout résoudre. Il lui faut reposer sur des valeurs communes, enracinées
dans les traditions et les cultures de nos peuples, mais partiellement occultées aujourd’hui.
A vrai dire, il s’est produit une rupture de transmission des valeurs fondamentales
sans lesquelles aucune société ne peut tenir. Une identité régionale forte, ouverte
sur le monde, est un gage de fierté et de réussite pour l’avenir. Le bonheur n’est
pas dans l’amour de l’argent mais dans la solidarité humaine au sein des familles
et entre les familles. L’éducation au respect mutuel, au partage des biens, à la justice,
au respect de la nature sont essentiels. Pour nous chrétiens, tout cela puise sa source
dans l’amour de Dieu offert à chacun et garant réel de l’amour mutuel et du respect
de toute personne humaine.
6. Qui que nous soyons, nous sommes invités à prendre
notre place dans les débats en cours sur l’avenir de nos régions, par l’information
et par l’échange. Que nos frères et sœurs chrétiens puisent dans l’Evangile et dans
la doctrine sociale de l’Eglise l’inspiration nécessaire pour que leurs apports aux
débats soient empreints de la sagesse de Dieu. Qu’ils sachent qu’ils ont une contribution
essentielle à apporter humblement. Elle leur vient du Christ qui révèle à l’être humain
la source, le chemin et l’accomplissement de l’amour. Avec lui, « nous nous trouvons
face à une parole qui engage à vivre en abandonnant la tentation permanente de bâtir
la cité des hommes sans tenir compte de Dieu ou même contre lui. En effet, si cela
se vérifiait, ce serait la convivialité humaine elle-même qui essuierait, à plus ou
moins brève échéance, une défaite irrémédiable »[2].
Paris,
le 12 février 2009
† Mgr Michel Méranville Archevêque de Saint-Pierre
et Fort-de-France † Mgr Gilbert Aubry Evêque de Saint-Denis de la Réunion †
Mgr Emmanuel Lafont Evêque de Cayenne Mgr Jean Hamot Administrateur
diocésain de Basse-Terre