Après avoir visité l'Institut de France, le Pape a présidé une Messe aux Invalides.
L'esplanade était baignée de soleil et de monde. Plus de 200 000 personnes se
sont déplacées pour l'événement. 50 000 pèlerins, arrivés tardivement, ont suivi la
Messe depuis la Place Vauban, site de secours qui a été équipé d’un écran géant mobile
au dernier moment. Le compte-rendu de Romilda Ferrauto
Ecoutez l'homélie
de Benoît XVI
Nous vous
proposons ci-dessous le texte de l'homélie du Pape. Monsieur le Cardinal Vingt-Trois, Messieurs
les Cardinaux et Chers Frères dans l'Épiscopat, Frères et sœurs dans le Christ,
Jésus-Christ
nous rassemble en cet admirable lieu, au cœur de Paris, en ce jour où l'Église universelle
fête saint Jean Chrysostome, l'un de ses plus grands Docteurs qui par son témoignage
de vie et son enseignement, a montré efficacement aux chrétiens la route à suivre.
Je salue avec joie toutes les Autorités qui m'ont accueilli en cette noble cité, tout
spécialement le Cardinal André Vingt-Trois, que je remercie pour ses aimables paroles.
Je salue aussi tous les Évêques, les Prêtres, les Diacres qui m'entourent pour la
célébration du sacrifice du Christ. Je remercie toutes les Personnalités, en particulier
Monsieur le Premier Ministre, qui ont tenu à être présentes ici ce matin ; je les
assure de ma prière fervente pour l'accomplissement de leur haute mission au service
de leurs concitoyens.
La première Lettre de saint Paul, adressée aux Corinthiens,
nous fait découvrir, en cette année paulinienne qui s'est ouverte le 28 juin dernier,
à quel point les conseils donnés par l'Apôtre restent d'actualité. « Fuyez le culte
des idoles »(1 Co 10, 14), écrit-il à une communauté très marquée
par le paganisme et partagée entre l'adhésion à la nouveauté de l'Évangile et l'observance
de vieilles pratiques héritées de ses ancêtres. Fuir les idoles, cela voulait dire
alors, cesser d'honorer les divinités de l'Olympe et de leur offrir des sacrifices
sanglants. Fuir les idoles, c'était se mettre à l'école des prophètes de l'Ancien
Testament qui dénonçaient la tendance humaine à se forger de fausses représentations
de Dieu. Comme le dit le Psaume 113 à propos des statues des idoles, elles ne sont
qu’« or et argent, ouvrages de mains humaines. Elles ont une bouche et
ne parlent pas, des yeux et ne voient pas, des oreilles et n'entendent pas, des narines
et ne sentent pas »(4-5). Hormis le peuple d'Israël, qui avait reçu la
révélation du Dieu unique, le monde antique était asservi au culte des idoles. Très
présentes à Corinthe, les erreurs du paganisme devaient être dénoncées, car elles
constituaient une puissante aliénation et détournaient l'homme de sa véritable destinée.
Elles l'empêchaient de reconnaître que le Christ est le seul (vrai) Sauveur, le seul
qui indique à l'homme le chemin vers Dieu.
Cet appel à fuir les idoles reste
pertinent aujourd'hui. Le monde contemporain ne s'est-il pas créé ses propres idoles
? N'a-t-il pas imité, peut-être à son insu, les païens de l'Antiquité, en détournant
l'homme de sa fin véritable, du bonheur de vivre éternellement avec Dieu ? C'est là
une question que tout homme, honnête avec lui-même, ne peut que se poser. Qu'est-ce
qui est important dans ma vie ? Qu'est-ce que je mets à la première place ? Le mot
« idole »vient du grec et signifie « image », « figure
», « représentation », mais aussi « spectre », « fantôme », «
vaine apparence ».L'idole est un leurre, car elle détourne son serviteur
de la réalité pour le cantonner dans le royaume de l'apparence. Or n'est-ce pas une
tentation propre à notre époque, la seule sur laquelle nous puissions agir efficacement
? Tentation d'idolâtrer un passé qui n'existe plus, en oubliant ses carences, tentation
d'idolâtrer un avenir qui n'existe pas encore, en croyant que, par ses seules forces,
l'homme réalisera le bonheur éternel sur la terre ! Saint Paul explique aux Colossiens
que la cupidité insatiable est une idolâtrie (Cf. 3,5) et il rappelle à son disciple
Timothée que l'amour de l'argent est la racine de tous les maux. Pour s'y être livrés,
précise-t-il, « certains se sont égarés loin de la foi et se sont infligés à eux-mêmes
des tourments sans nombre » (1 Tm 6,10). L'argent, la soif de l'avoir,
du pouvoir et même du savoir n'ont-ils pas détourné l'homme de sa Fin véritable ?
Chers
frères et sœurs, la question que nous pose la liturgie de ce jour trouve sa réponse
dans cette même liturgie, que nous avons héritée de nos Pères dans la foi, et notamment
de saint Paul lui-même (Cf. 1 Co 11, 23). Dans son commentaire de ce texte,
saint Jean Chrysostome fait remarquer que saint Paul condamne sévèrement l'idolâtrie,
qui est une « faute grave »,un « scandale »,une véritable
« peste »(Homélie 24 sur la première Lettre aux Corinthiens,
1). Immédiatement, il ajoute que cette condamnation radicale de l'idolâtrie n'est
en aucun cas une condamnation de la personne de l'idolâtre. Jamais, dans nos jugements,
nous ne devons confondre le péché qui est inacceptable, et le pécheur dont nous ne
pouvons pas juger l’état de la conscience et qui, de toute façon, est toujours susceptible
de conversion et de pardon. Saint Paul en appelle à la raison de ses lecteurs : « Je
vous parle comme à des gens réfléchis : jugez vous-mêmes de ce que je dis »(1 Co 10, 15). Jamais Dieu ne demande à l'homme de faire le sacrifice de
sa raison ! Jamais la raison n'entre en contradiction réelle avec la foi ! L'unique
Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, a créé notre raison et nous donne la foi, en proposant
à notre liberté de la recevoir comme un don précieux. C'est le culte des idoles qui
détourne l'homme de cette perspective, et la raison elle-même peut se forger des idoles.
Demandons donc à Dieu qui nous voit et nous entend, de nous aider à nous purifier
de toutes nos idoles, pour accéder à la vérité de notre être, pour accéder à la vérité
de son être infini ! Comment parvenir à Dieu ? Comment parvenir à trouver ou
retrouver Celui que l'homme cherche au plus profond de lui-même, tout en l'oubliant
si souvent ? Saint Paul nous demande de faire usage non seulement de notre raison,
mais surtout de notre foi pour le découvrir. Or, que nous dit la foi? Le pain que
nous rompons est communion au Corps du Christ ; la coupe d'action de grâce que nous
bénissons est communion au Sang du Christ. Révélation extraordinaire, qui nous vient
du Christ et qui nous est transmise par les Apôtres et par toute l'Église depuis deux
millénaires : le Christ a institué le sacrement de l'Eucharistie au soir du Jeudi
Saint. Il a voulu que son sacrifice soit de nouveau présenté, de manière non sanglante,
chaque fois qu'un prêtre redit les paroles de la consécration sur le pain et le vin.
Des millions de fois, depuis deux mille ans, dans la plus humble des chapelles comme
dans la plus grandiose des basiliques ou des cathédrales, le Seigneur ressuscité s'est
donné à son peuple, devenant ainsi, selon la formule de saint Augustin, « plus intime
à nous-mêmes que nous-mêmes » (cf. Confessions III, 6. 11). Frères et sœurs,
entourons de la plus grande vénération le sacrement du Corps et du Sang du Seigneur,
le Très Saint-Sacrement de la présence réelle du Seigneur à son Église et à toute
l'humanité. Ne négligeons rien pour lui manifester notre respect et notre amour !
Donnons-lui les plus grandes marques d'honneur ! Par nos paroles, nos silences et
nos gestes, n'acceptons jamais de laisser s'affadir en nous et autour de nous la foi
dans le Christ ressuscité présent dans l'Eucharistie ! Comme le dit magnifiquement
saint Jean Chrysostome lui-même : « Passons en revue les ineffables bienfaits de
Dieu et tous les biens dont il nous fait jouir, lorsque nous lui offrons cette coupe,
lorsque nous communions, lui rendant grâce d'avoir délivré le genre humain de l'erreur,
d'avoir rapproché de lui ceux qui en étaient éloignés, d'avoir fait, des désespérés,
et des athées de ce monde, un peuple de frères, de cohéritiers du Fils de Dieu »(Homélie 24 sur la Première Lettre aux Corinthiens, 1). En effet,
poursuit-il, « ce qui est dans la coupe, c'est précisément ce qui a coulé de son
côté, et c'est à cela que nous participons »(ibid.). Il n'y a pas
seulement participation et partage, il y a « union », dit-il. La Messe est
le sacrifice d'action de grâce par excellence, celui qui nous permet d'unir notre
propre action de grâce à celle du Sauveur, le Fils éternel du Père. En elle-même,
la Messe nous invite aussi à fuir les idoles, car, saint Paul insiste, « vous ne
pouvez pas en même temps prendre part à la table du Seigneur et à celle des esprits
mauvais »(1 Co 10, 21). La Messe nous invite à discerner ce qui,
en nous, obéit à l'Esprit de Dieu et ce qui, en nous, reste à l'écoute de l'esprit
du mal. Dans la Messe, nous ne voulons appartenir qu'au Christ et nous reprenons avec
gratitude le cri du psalmiste : « Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu'Il
m'a fait ? »(Ps 115, 12). Oui, comment rendre grâce au Seigneur
pour la vie qu'Il nous a donnée ? Là encore, la réponse à la question du psalmiste
se trouve dans le psaume lui-même, car la Parole de Dieu répond miséricordieusement
elle-même aux questions qu'elle pose. Comment rendre grâce au Seigneur pour tout le
bien qu'il nous fait sinon en se conformant à ses propres paroles : « J'élèverai
la coupe du salut, j'invoquerai le nom du Seigneur »(Ps 115,13) ? Élever
la coupe du salut et invoquer le nom du Seigneur, n'est-ce pas précisément le meilleur
moyen de « fuir les idoles »,comme nous le demande saint Paul ? Chaque
fois qu'une Messe est célébrée, chaque fois que le Christ se rend sacramentellement
présent dans son Église, c'est l’œuvre de notre salut qui s'accomplit. Célébrer l’Eucharistie
signifie reconnaître que Dieu seul est en mesure de nous offrir le bonheur en plénitude,
de nous enseigner les vraies valeurs, les valeurs éternelles qui ne connaîtront jamais
de couchant. Dieu est présent sur l'autel, mais il est aussi présent sur l'autel de
notre cœur lorsque, en communiant, nous le recevons dans le Sacrement eucharistique.
Lui seul nous apprend à fuir les idoles, mirages de la pensée. Or, chers frères et
sœurs, qui peut élever la coupe du salut et invoquer le nom du Seigneur au nom du
peuple de Dieu tout entier, sinon le prêtre ordonné dans ce but par l'Évêque ? Ici,
chers fidèles de Paris et de la région parisienne, mais aussi vous tous qui êtes venus
de la France entière et d'autres pays limitrophes, permettez-moi de lancer un appel
confiant en la foi et en la générosité des jeunes qui se posent la question de la
vocation religieuse ou sacerdotale : n'ayez pas peur ! N'ayez pas peur de donner votre
vie au Christ ! Rien ne remplacera jamais le ministère des prêtres au cœur de l'Église
! Rien ne remplacera jamais une Messe pour le Salut du monde ! Chers jeunes ou moins
jeunes qui m'écoutez, ne laissez pas l'appel du Christ sans réponse. Saint Jean Chrysostome,
dans son Traité sur le sacerdoce,a montré combien la réponse
de l'homme pouvait être lente à venir, cependant il est l'exemple vivant de l'action
de Dieu au cœur d'une liberté humaine qui se laisse façonner par sa grâce.
Enfin,
si nous reprenons les Paroles que le Christ nous a laissées dans son Évangile, nous
verrons qu'Il nous a lui-même appris à fuir l'idolâtrie, en nous invitant à bâtir
notre maison « sur le roc »(Lc 6, 48). Qui est ce roc, sinon
Lui-même ? Nos pensées, nos paroles et nos actions n'acquièrent leur véritable dimension
que si nous les référons au message de l'Évangile. « Ce que dit la bouche, c'est
ce qui déborde du cœur »(Lc 6, 45). Lorsque nous parlons, cherchons-nous
le bien de notre interlocuteur ? Lorsque nous pensons, cherchons-nous à mettre notre
pensée en accord avec la pensée de Dieu ? Lorsque nous agissons, cherchons-nous à
répandre l'Amour qui nous fait vivre? Saint Jean Chrysostome dit encore : « maintenant,
si nous participons tous au même pain, et si tous nous devenons cette même substance,
pourquoi ne montrons-nous pas la même charité ? Pourquoi, pour la même raison, ne
devenons-nous pas un même tout unique ? …ô homme, c'est le Christ qui est
venu te chercher, toi qui étais si loin de lui, pour s'unir à toi ; et toi, tu ne
veux pas t'unir à ton frère ? »(Homélie 24 sur la Première Lettre
aux Corinthiens, 2).
L'espérance demeurera toujours la plus forte ! L'Église,
bâtie sur le roc du Christ, possède les promesses de la vie éternelle, non parce que
ses membres seraient plus saints que (tous) les autres hommes, mais parce que le Christ
a fait cette promesse à Pierre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai
mon Église, et la puissance de la mort ne l'emportera pas sur elle. »(Mt
16, 18). Dans cette espérance indéfectible de la présence éternelle de Dieu à chacune
de nos âmes, dans cette joie de savoir que le Christ est avec nous jusqu'à la fin
des temps, dans cette force que l'Esprit donne à tous ceux et à toutes celles qui
acceptent de se laisser saisir par lui, je vous confie, chers chrétiens de Paris et
de France, à l'action puissante et miséricordieuse du Dieu d'amour qui est mort pour
nous sur la Croix et ressuscité victorieusement au matin de Pâques. À tous les hommes
de bonne volonté qui m'écoutent, je redis comme saint Paul : Fuyez le culte des idoles,
ne vous lassez pas de faire le bien ! Que Dieu notre Père vous conduise à Lui
et fasse briller sur vous la splendeur de sa gloire ! Que le Fils unique de Dieu,
notre Maître et notre Frère, vous révèle la beauté de son visage de Ressuscité ! Que
l'Esprit Saint vous comble de ses dons et vous donne la joie de connaître la paix
et la lumière de la Très Sainte Trinité, maintenant et dans les siècles des siècles !
Amen !