DISCURSO DE CHEGADA DE BENTO XVI À FRANÇA (ORIGINAL)
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, Chers amis !
Foulant le
sol de France pour la première fois depuis que la Providence m'a appelé sur le Siège
de Pierre, je suis ému et honoré de l’accueil chaleureux que vous me réservez. Je
vous suis particulièrement reconnaissant, Monsieur le Président, pour l’invitation
cordiale que vous m’avez faite à visiter votre pays ainsi que pour les paroles de
bienvenue que vous venez de m’adresser. Comment ne pas me souvenir de la visite que
Votre Excellence m'a rendue au Vatican voici neuf mois ? A travers vous, je salue
tous ceux et toutes celles qui habitent ce pays à l'histoire millénaire, au présent
riche d'événements et à l'avenir prometteur. Qu'ils sachent que la France est très
souvent au cœur de la prière du Pape, qui ne peut oublier tout ce qu'elle a apporté
à l'Église au cours des vingt derniers siècles ! La raison première de mon voyage
est la célébration du 150e anniversaire des apparitions de la Vierge Marie, à Lourdes.
Je désire me joindre à la foule des innombrables pèlerins du monde entier, qui convergent
au cours de cette année vers le sanctuaire marial, animés par la foi et par l’amour.
C'est une foi, c’est un amour que je viens célébrer ici dans votre pays, au cours
des quatre journées de grâce qu'il me sera donné d'y passer.
Mon pèlerinage
à Lourdes devait comporter une étape à Paris. Votre capitale m'est familière et je
la connais assez bien. J'y ai souvent séjourné et j'y ai lié, au fil des ans, en raison
de mes études et de mes fonctions antérieures, de bonnes amitiés humaines et intellectuelles.
J'y reviens avec joie, heureux de l’occasion qui m'est ainsi donnée de rendre hommage
à l'imposant patrimoine de culture et de foi qui a façonné votre pays de manière éclatante
durant des siècles et qui a offert au monde de grandes figures de serviteurs de la
Nation et de l'Église dont l'enseignement et l'exemple ont franchi tout naturellement
vos frontières géographiques et nationales pour marquer le devenir du monde. Lors
de votre visite à Rome, Monsieur le Président, vous avez rappelé que les racines de
la France - comme celles de l'Europe - sont chrétiennes. L'Histoire suffit à le montrer
: dès ses origines, votre pays a reçu le message de l'Évangile. Si les documents font
parfois défaut, il n'en reste pas moins que l'existence de communautés chrétiennes
est attestée en Gaule à une date très ancienne : on ne peut rappeler sans émotion
que la ville de Lyon avait déjà un évêque au milieu du IIe siècle et que saint Irénée,
l'auteur de l'Adversus haereses, y donna un témoignage éloquent de la vigueur de la
puissante pensée chrétienne. Or, saint Irénée venait de Smyrne pour prêcher la foi
au Christ ressuscité. Lyon avait un évêque dont la langue maternelle était le grec
: y a-t-il plus beau signe de la nature et de la destination universelles du message
chrétien? Implantée à haute époque dans votre pays, l'Église y a joué un rôle civilisateur
auquel il me plaît de rendre hommage en ce lieu. Et de nouveau vous vous y avez-vous-même
fait allusion dans votre discours au Palais du Latran en décembre dernier. Transmission
de la culture antique par le biais des moines, professeurs ou copistes, formation
des cœurs et des esprits à l'amour du pauvre, aide aux plus démunis par la fondation
de nombreuses congrégations religieuses, la contribution des chrétiens à la mise en
place des institutions de la Gaule, puis de la France, est trop connue pour que je
m'y attarde longtemps. Les milliers de chapelles, d'églises, d'abbayes et de cathédrales
qui ornent le cœur de vos villes ou la solitude de vos campagnes disent assez combien
vos pères dans la foi ont voulu honorer Celui qui leur avait donné la vie et qui nous
maintient dans l'existence.
De nombreuses personnes en France se sont arrêtées
pour réfléchir sur les rapports de l'Église et de l'État. Sur le problème des relations
entre la sphère politique et la sphère religieuse, le Christ même avait déjà offert
le principe d’une juste solution lorsqu'il répondit à une question qu'on Lui posait
: « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mc 12,17). L’Église
en France jouit actuellement d’un régime de liberté. La méfiance du passé s'est transformée
peu à peu en un dialogue serein et positif, qui se consolide toujours plus. Un nouvel
instrument de dialogue existe depuis 2002 et j'ai grande confiance en son travail,
car la bonne volonté est réciproque. Nous savons que restent encore ouverts certains
terrains de dialogue qu'il nous faudra parcourir et assainir peu à peu avec détermination
et patience. Vous avez d'ailleurs utilisé, Monsieur le Président, l'expression de
«laïcité positive» pour qualifier cette compréhension plus ouverte. En ce moment historique
où les cultures s’entrecroisent de plus en plus, je suis profondément convaincu qu’une
nouvelle réflexion sur le vrai sens et sur l’importance de la laïcité est devenu nécessaire.
Il est en effet fondamental, d’une part, d’insister sur la distinction entre le politique
et le religieux, afin de garantir aussi bien la liberté religieuse des citoyens que
la responsabilité de l’État envers eux, et d’autre part, de prendre une conscience
plus claire de la fonction irremplaçable de la religion pour la formation des consciences
et de la contribution qu’elle peut apporter, avec d’autres instances, à la création
d’un consensus éthique fondamental dans la société.
Le Pape, témoin d'un Dieu
aimant et Sauveur, s'efforce d'être un semeur de charité et d'espérance. Toute société
humaine a besoin d'espérance, et cette nécessité est encore plus forte dans le monde
d’aujourd’hui qui offre peu d'aspirations spirituelles et peu de certitudes matérielles.
Les jeunes sont ma préoccupation majeure. Certains d’entre eux peinent à trouver une
orientation qui leur convienne ou souffrent d’une perte de repères dans leur vie familiale.
D’autres encore expérimentent les limites d’un communautarisme religieux. Parfois
marginalisés et souvent abandonnés à eux-mêmes, ils sont fragiles et ils doivent affronter
seuls une réalité qui les dépasse. Il est donc nécessaire de leur offrir un bon cadre
éducatif et de les encourager à respecter et à aider les autres, afin qu’ils arrivent
sereinement à l'âge responsable. L'Église peut apporter dans ce domaine sa contribution
spécifique. La situation sociale occidentale, hélas marquée par une avancée sournoise
de la distance entre les riches et les pauvres, me soucie aussi. Je suis certain qu'il
est possible de trouver de justes solutions qui, dépassant l'aide immédiate nécessaire,
iront au cœur des problèmes afin de protéger les faibles et de promouvoir leur dignité.
À travers ses nombreuses institutions et par ses activités, l'Église, tout comme de
nombreuses associations dans votre pays, tente souvent de parer à l'immédiat, mais
c'est à l'État qu'il revient de légiférer pour éradiquer les injustices. Dans un cadre
beaucoup plus large, Monsieur le Président, l'état de notre planète me préoccupe aussi.
Avec grande générosité, Dieu nous a confié le monde qu'il a créé. Il faudra apprendre
à le respecter et à le protéger davantage. Il me semble qu'est arrivé le moment de
faire des propositions plus constructives pour garantir le bien des générations futures.
L'exercice
de la Présidence de l'Union Européenne est l'occasion pour votre pays de témoigner
de l'attachement de la France aux droits de l'homme et à leur promotion pour le bien
de l'individu et de la société. Lorsque l'Européen verra et expérimentera personnellement
que les droits inaliénables de la personne humaine, depuis sa conception jusqu'à sa
mort naturelle, ainsi que ceux relatifs à son éducation libre, à sa vie familiale,
à son travail, sans oublier naturellement ses droits religieux, lorsque donc cet Européen
saisira que ces droits, qui constituent un tout indissociable, sont promus et respectés,
alors il comprendra pleinement la grandeur de la construction de l'Union et en deviendra
un artisan actif. La charge qui vous incombe, Monsieur le Président, n'est pas facile.
Les temps sont incertains, et c'est une entreprise ardue de trouver la bonne voie
parmi les méandres du quotidien social et économique, national et international. En
particulier, devant le danger de l’émergence d’anciennes méfiances, de tensions et
d’oppositions entre les Nations, dont nous sommes aujourd’hui les témoins préoccupés,
la France, historiquement sensible à la réconciliation des peuples, est appelée à
aider l’Europe à construire la paix dans ses frontières et dans le monde entier. À
cet égard, il est important de promouvoir une unité qui ne peut pas et ne veut pas
être une uniformité, mais qui est capable de garantir le respect des différences nationales
et des diverses traditions culturelles qui constituent une richesse dans la symphonie
européenne, en rappelant d’autre part que « l’identité nationale elle-même ne se réalise
que dans l’ouverture aux autres peuples et à travers la solidarité envers eux » (Exhortation
apostolique Ecclesia in Europa, n. 112). J’exprime ma confiance que votre pays contribuera
toujours plus à faire progresser ce siècle vers la sérénité, l'harmonie et la paix.
Monsieur
le Président, chers amis, je désire une fois encore vous exprimer ma gratitude pour
cette rencontre. Je vous assure de ma fervente prière pour votre belle Nation afin
que Dieu lui concède paix et prospérité, liberté et unité, égalité et fraternité.
Je confie ces vœux à l'intercession maternelle de la Vierge Marie, patronne principale
de la France. Que Dieu bénisse la France et tous les Français !