Messe à Villavicencio: le Pape exhorte les Colombiens à «laisser entrer la lumière
de l'Évangile»
(RV) Ce vendredi 8 septembre 2017, le Pape a rejoint la ville de Villavicencio,
située à 94 km au sud de Bogotà, la capitale colombienne. Elle se trouve à 460m d’altitude,
dans une zone très humide et chaude, après les 15 degrés ressentis dans la capitale.
Sur l’immense terrain de Catama à la sortie de la ville, au pied des montagnes
et aux portes de l’Amazonie, le Pape a présidé une célébration eucharistique en présence
de centaines de milliers de fidèles, dont de très nombreux indigènes venus de toute
la région. Le Pape François a même troqué sa calotte contre un chapeau Colomb et endossé
un collier indigène. Il s’est également vu remettre une lance avant la messe. Cette
célébration est toute particulière puisque deux serviteurs de Dieu ont été béatifiés.
Le compte rendu de Marie Duhamel.
Les portraits des deux nouveaux bienheureux ont été, tour à tour, dévoilés de chaque
côté de l’autel, au terme du rite de béatification. On a découvert le visage de Mgr
Jaramillo, tué en 1989 par la guérilla de l’ELN, 5 ans après avoir été nommé par Jean-Paul
II à la tête du diocèse d’Arauca, dans le nord-est du pays, à la frontière vénézuélienne,
une zone où sévissait les guérilleros et où a longtemps prospéré la contrebande d’armes
et le trafic de drogue. Infatigable promoteur de l’Evangile dans cette région pauvre,
Mgr Jaramillo effectuait une visite pastorale à Fortul lorsqu’il fut pris en otage
par des guerriers de l’ELN qui l’assassineront de quatre balles dans la tête.
L’autre visage est celui du père Ramírez Ramo, jeune curé d’Armero. Le 9 avril
1948, alors qu’il rend visite à un malade à l’hôpital, des émeutes éclatent, provoquées
par l’assassinat d’un candidat à la présidence de la République. La violence se répand
à Armero et des groupuscules s’acharnent sur le curé, qui se réfugie dans l’église. Le
père Ramos refuse de fuir en abandonnant le peuple. Accusé de cacher des armes dans
le couvent voisin, il sera tué et pendant dix jours les fidèles seront empêchés de
lui offrir une sépulture.
Ces deux martyrs des temps modernes sont le signe visible des blessures de l’Eglise
colombienne. Ils sont «l’expression d’un peuple qui veut sortir du bourbier de
la violence et de la rancœur».
Dans ce contexte, «comment faire entrer de la lumière ? Quels sont les chemins
de réconciliation ?», s’interroge François. «Comme Marie (dont on célèbre
la naissance ce vendredi), il faut dire oui à l’histoire dans sa totalité ; comme
Joseph, il faut laisser de côté les passions et les orgueils ; comme Jésus, il faut
prendre sur nous, assumer, embrasser cette histoire» qui est la nôtre. Le Pape
invite à remplir nos histoires pleines de péché, de violence et de désaccord, de la
lumière de l’Évangile.
«La réconciliation n’est pas un mot abstrait», souligne-t-il. «Se
réconcilier, c’est ouvrir une porte à chaque personne», notamment celles ayant
vécu la réalité dramatique du conflit. Le Pape rappelle que lorsque les victimes surmontent
la tentation «compréhensible» de vengeance, elles deviennent «des protagonistes
plus crédibles des processus de construction de la paix». Il invite chacun à
faire le premier pas en ce sens, sans attendre que les autres le fassent. Ainsi naîtra
l’espérance.
«Se réconcilier ne signifie pas ignorer ou dissimuler les différences et les
conflits. Ce n’est pas légitimer les injustices.» D’ailleurs, le Pape précise
que «le recours à la réconciliation ne peut servir à s’accommoder de situations
d’injustice». Citant Jean-Paul II, il estime que c’est plutôt «une rencontre
entre des frères disposés à surmonter la tentation de l’égoïsme et à renoncer aux
tentatives de pseudo justice ; c’est un fruit de sentiments forts, nobles et généreux,
qui conduisent à instaurer une cohabitation fondée sur le respect de chaque individu».
La réconciliation se concrétise et se consolide donc par l’apport de tous, et le Pape
exige de la sincérité car, prévient-il, «tout effort de paix sans un engagement
sincère de réconciliation sera voué à l’échec».
Enfin, cette rencontre avec les habitants de Villavicencio, capitale du département
du Meta, lui a offert l’occasion de revenir sur la nécessité de protéger la Création.
Face à de nombreux habitants de l’Amazonie, le Pape a appelé à protéger la nature
contre «nos passions possessives» et «notre volonté de domination».
Le Pape a rappelé que «la violence qu’il se trouve dans le cœur humain se manifeste
aussi à travers les symptômes de maladie que nous observons dans le sol, l’air et
les êtres vivants». Ainsi, la protection de la Création s’inscrit dans le processus
de réconciliation, dans lequel le pays est engagé. (CV-MD)
La vidéo de la messe (avec commentaires en français) :
Traduction
complète de l'homélie du Pape :
Villavicencio
Vendredi,
8 septembre 2017
Ta naissance,
Vierge Mère de Dieu, est la nouvelle aube qui a annoncé la joie au monde entier, car
de toi est né le soleil de justice, le Christ, notre Dieu (cf. Antienne du Benedictus) !
La fête de la naissance de Marie projette sa lumière sur nous, comme rayonne la douce
lumière de l’aube sur la vaste plaine colombienne, très beau paysage dont Villavicencio
est la porte, tout comme dans la riche diversité de ses peuples indigènes.
Marie est la
première splendeur qui annonce la fin de la nuit et surtout la proximité du jour.
Sa naissance nous fait pressentir l’initiative amoureuse, tendre et compatissante
de l’amour avec lequel Dieu s’incline vers nous et nous appelle à une merveilleuse
alliance avec lui que rien ni personne ne pourra rompre.
Marie a su être
la transparence de la lumière de Dieu et a reflété les rayonnements de cette lumière
dans sa maison, qu’elle a partagée avec Joseph et Jésus, et également dans son peuple,
sa nation et dans cette maison commune à toute l’humanité qu’est la création.
Dans l’Évangile,
nous avons entendu la généalogie de Jésus (Mt 1, 1-17), qui n’est pas une ‘‘simple
liste de noms’’, mais une ‘‘histoire vivante’’, l’histoire d’un peuple avec lequel
Dieu a marché. Et, en se faisant l’un de nous, ce Dieu a voulu nous annoncer que dans
son sang se déroule l’histoire des justes et des pécheurs, que notre salut n’est pas
un salut aseptique, de laboratoire, mais un salut concret, de vie qui marche. Cette
longue liste nous dit que nous sommes une petite partie d’une histoire vaste et nous
aide à ne pas revendiquer des rôles excessifs, elle nous aide à éviter la tentation
de spiritualismes évasifs, à ne pas nous détacher des circonstances historiques concrètes
qu’il nous revient de vivre. Elle intègre aussi, dans l’histoire de notre salut, ces
pages plus obscures ou tristes, les moments de désolation ou d’abandon comparables
à l’exil.
La mention des
femmes – aucune de celles citées dans la généalogie n’a le rang des grandes femmes
de l’Ancien Testament - nous permet un rapprochement spécial : ce sont elles, dans
la généalogie, qui annoncent que dans les veines de Jésus coule du sang païen, qui
rappellent des histoires de rejet et de soumission. Dans des communautés où nous décelons
encore des styles patriarcaux et machistes, il est bon d’annoncer que l’Évangile commence
en mettant en relief des femmes qui ont marqué leur époque et fait l’histoire.
Et dans tout
cela, Jésus, Marie et Joseph. Marie avec son généreux ‘oui’ a permis que Dieu assume
cette histoire. Joseph, homme juste, n’a pas laissé son orgueil, ses passions et les
jalousies le priver de cette lumière. Par la forme du récit, nous savons avant Joseph
ce qui était arrivé à Marie, et il prend des décisions, révélant sa qualité humaine,
avant d’être aidé par l’ange et de parvenir à comprendre tout ce qui se passait autour
de lui. La noblesse de son cœur lui fait subordonner à la charité ce qu’il a appris
de la loi ; et aujourd’hui, en ce monde où la violence psychologique, verbale et physique
envers la femme est patente, Joseph se présente comme une figure d’homme respectueux,
délicat qui, sans même avoir l’information complète, opte pour la renommée, la dignité
et la vie de Marie. Et, dans son doute sur la meilleure façon de procéder, Dieu l’aide
à choisir en éclairant son jugement.
Ce peuple de
Colombie est peuple de Dieu ; ici aussi nous pouvons faire des généalogies remplies
d’histoires, pour beaucoup, d’amour et de lumière ; pour d’autres, de désaccords,
de griefs, et aussi de mort… Combien d’entre vous ne peuvent-ils pas raconter des
exils et des désolations ! Que de femmes, dans le silence, ont persévéré seules et
que d’hommes de bien ont tenté de laisser de côté la colère et les rancœurs, en cherchant
à associer justice et bonté ! Comment ferons-nous pour laisser entrer de la lumière ?
Quels sont les chemins de réconciliation ? Comme Marie, dire oui à l’histoire dans
sa totalité, non à une partie ; comme Joseph, laisser de côté les passions et les
orgueils ; comme Jésus Christ, prendre sur nous, assumer, embrasser cette histoire,
car nous tous les Colombiens, vous êtes impliqués dans cette histoire ; ce que nous
sommes s’y trouve… ainsi que ce que Dieu peut faire avec nous si nous disons oui à
la vérité, à la bonté, à la réconciliation. Et cela n’est possible que si nous remplissons
nos histoires de péché, de violence et de désaccord, de la lumière de l’Évangile.
La réconciliation
n’est pas un mot abstrait ; s’il en était ainsi, cela n’apporterait que stérilité,
plus d’éloignement. Se réconcilier, c’est ouvrir une porte à toutes les personnes
et à chaque personne, qui ont vécu la réalité dramatique du conflit. Quand les victimes
surmontent la tentation compréhensible de vengeance, elles deviennent des protagonistes
plus crédibles des processus de construction de la paix. Il faut que quelques-uns
se décident à faire le premier pas dans cette direction, sans attendre que les autres
le fassent. Il suffit d’une personne de bonne volonté pour qu’il y ait de l’espérance !
Et chacun de nous peut être cette personne ! Cela ne signifie pas ignorer ou dissimuler
les différences et les conflits. Ce n’est pas légitimer les injustices personnelles
ou structurelles. Le recours à la réconciliation ne peut servir à s’accommoder de
situations d’injustice. Plutôt, comme l’a enseigné saint Jean-Paul II : c’est «une
rencontre entre des frères disposés à surmonter la tentation de l’égoïsme et à renoncer
aux tentatives de pseudo justice ; c’est un fruit de sentiments forts, nobles et généreux,
qui conduisent à instaurer une cohabitation fondée sur le respect de chaque individu
et des valeurs propres à chaque société civile» (Lettre aux Évêques du Salvador,
6 août 1982). La réconciliation, par conséquent, se concrétise et se consolide par
l’apport de tous, elle permet de construire l’avenir et fait grandir l’espérance.
Tout effort de paix sans un engagement sincère de réconciliation sera voué à l’échec.
Le texte évangélique
que nous avons entendu atteint son sommet en appelant Jésus l’Emmanuel, le Dieu-avec-nous.
C’est ainsi que Matthieu commence, c’est ainsi qu’il termine son Évangile : «Et
moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde» (Mt 28, 20). Cette
promesse se réalise également en Colombie : Mgr Jesús Emilio Jaramillo Monsalve, Évêque
d’Arauca, et le Père Pedro Maria Ramirez Ramos, en sont des signes, une expression
d’un peuple qui veut sortir du bourbier de la violence et de la rancœur.
Dans ce décor
merveilleux, il nous revient de dire oui à la réconciliation. Que le oui inclue également
notre nature ! Ce n’est pas un hasard si, y compris contre elle, nous avons déchaîné
nos passions possessives, notre volonté de domination. Un de vos compatriotes le chante
admirablement : «Les arbres pleurent, ils sont témoins de tant d’années de violence.
La mer est brune, mélange de sang et de terre» (Juanes, "Minas piedras"). La
violence qu’il y a dans le cœur humain, blessé par le péché, se manifeste aussi à
travers les symptômes de maladies que nous observons dans le sol, dans l’eau, dans
l’air et dans les êtres vivants (cf. Lettre encyclique Laudato si’, n. 2).
Il nous revient de dire oui comme Marie et de chanter avec elle les «merveilles
du Seigneur», car comme il l’a promis à nos pères, il aide tous les peuples et
chaque peuple, il aide la Colombie qui veut se réconcilier aujourd’hui et sa descendance
pour toujours.