2016-10-03 10:44:00

Les Jésuites en « conclave »


(RV) La 36e Congrégation générale de la Compagnie de Jésus (CG36) a débuté le dimanche 2 octobre 2016 par une célébration eucharistique présidée à 17 heures (heure de Rome) en l’église de Gesù de Rome par le Maître de l’Ordre des Prêcheurs ou Dominicains, le Père Bruno Cadoré, qui avait à ses côtés le Préposé général de la Compagnie de Jésus, le Père Adolfo Nicolás et le Père Federico Lombardi, assistant ad Providentiam. Les prêtres délégués à la CG36 ainsi que les jésuites présents à Rome ont concélébré à cette messe.

Dans son homélie, le Père Cadoré, partant des lectures choisies pour cette célébration, a fait référence aux disciples qui demandaient au Maître d’augmenter en eux la foi. Cette demande pressante au Seigneur, a-t-il indiqué, était la plus belle prière qu’on puisse imaginer pour ouvrir la célébration de la Congrégation générale des jésuites.

Le Maître de l’Ordre des Prêcheurs a fait aussi remarquer aux jésuites qu’une assemblée comme la leur, enracinée dans une tradition d’évangélisation si riche, et porteuse de tant d’expériences des uns et des autres, se déploiera sans doute entre le devoir d’appeler sans cesse la Compagnie à oser l’audace de l’improbable, et la volonté évangélique de le faire avec l’humilité de ceux qui savent que, dans ce service où l’humain engage toute son énergie, tout dépend de Dieu.

Cependant, le Père Cadoré s’est demandé s’il était possible d’avoir cette audace de l’improbable, cette audace de l’Evangile, audace d’Ignace qui fonda sa Compagnie, petite comme un grain de moutarde, en un temps de crise, de besoin de fraternité et face à des défis immenses. C’est, selon lui, la question qui tourmente le prophète Habacuc (première lecture de la messe) : « Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? Crier vers toi “Violence !”, sans que tu sauves ? ».

Pour le Père Cadoré, nombreux parmi les jésuites présents à la célébration eucharistique pourraient énoncer les malédictions du prophète qui expliquent la force avec laquelle il interpelle son Dieu. Aujourd’hui encore, a-t-il poursuivi, le monde est défiguré par ceux qui accumulent ce qui n’est pas à eux, qui poursuivent d’abord leurs propres intérêts, construisent un monde sur le sang d’une multitude d’oubliés qu’on manipule, inventent sans cesse de nouvelles idoles.

Le dominicain a aussi soutenu qu’il faudrait oser chercher comment retisser ce qui est déchiré. Et pour cela, la véritable audace de l’improbable serait de faire entendre, au cœur de ce travail de « retissage », la voix de Celui qui, envers et contre tout, conduit son peuple et lui donne la force de vivre par sa fidélité. Un autre aspect soulevé par le Père Cadoré était celui de trouver la force et la créativité de la fidélité dans le souffle en lequel tient l’Esprit qui conduit dans la rencontre et l’écoute de l’autre, qui creuse au cœur de l’homme le puits de compassion, qui consolide l’alliance indéfectible avec ceux qui nous sont confiés.

Ce qui peut donner comme un feu intérieur à la recherche passionnée, a en outre relevé le Maître de l’Ordre des Prêcheurs, c’est l’expérience concrète, parfois si banale et souvent si difficile, du pardon. Cette expérience de dépasser l’offense pour donner, à nouveau, sans condition, la vie en abondance.

Avant de se demander si la prière de Saint Ignace n’était pas encore de nos jours une invitation à nous mettre tous au service de cette table, le Père Cadoré a rappelé justement cette prière du fondateur de la Compagnie de Jésus :  « Seigneur Jésus, apprenez-nous à être généreux, à vous aimer comme vous le méritez, à donner sans compter, à combattre sans souci des blessures, à travailler sans chercher le repos, à nous dépenser sans attendre d’autre récompense que celle de savoir que nous faisons votre Sainte Volonté ».

Pour marquer l’universalité de la Compagnie de Jésus, les intentions de prières universelles ont été faites en marâthî (une langue indienne), kiswahili, français, italien, portugais et anglais.

Avant la bénédiction finale, le Père Nicolás a remercié le Père Cadoré d’avoir accepté de présider cette célébration eucharistique. La tradition veut par contre que le Maître de l’Ordre préside les funérailles du Préposé général de la Compagnie de Jésus, et à la fin on lui offre des chocolats. Mais pour cette circonstance, c’est plutôt l’ouverture d’une congrégation générale.

Le Père Nicolás s’est ensuite tourné vers l’arc contenant les reliques des saints de la Compagnie pour prier pour l’Eglise, la Compagnie et le monde. A sa suite, les présidents des conférences de la Compagnie ont présenté aux Seigneur des invocations en plusieurs langues, dont en zulu, par le Père Michael Lewis, Président du Jesam.

Signalons que la première séance formelle de cette 36e Congrégation générale est programmée pour la matinée du lundi 3 octobre 2016, avec notamment une adresse du Père Général Adolfo Nicolás et la présentation de sa démission aux membres de la Congrégation générale.

(JPB)

 

Voici l’intégralité de l’homélie du père Bruno Cadoré :

Pour la prédication à la Congrégation générale des Jésuites (2 octobre 2016) (Ha 1, 2-3 ; 2, 2-4 ; Ps 94 ; 2Tm 1, 6-8.13-14 ; Lc 17, 5-10)

 

Seigneur, augmente en nous la foi !

Cette demande pressante au Seigneur est la plus belle prière qu’on puisse imaginer pour « ouvrir » la célébration de votre Congrégation générale. Et, dans l’Evangile qui vient d’être proclamé, Jésus souligne deux raisons pour lesquelles cette prière est si juste. Cette foi est nécessaire – même si elle reste aussi modeste en apparence qu’un grain de moutarde – parce qu’il s’agit d’oser viser l’improbable : « vous auriez dit à l’arbre que voici, va te planter dans la mer, et il vous aurait obéi ». Elle est nécessaire, de plus, parce qu’il s’agit de comprendre que, même si l’on vise l’incroyable, il s’agit d’oser dire : « nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir » ! Une assemblée comme la vôtre, enracinée dans une tradition d’évangélisation si riche, et porteuse de tant d’expériences des uns et des autres, se déploiera sans doute entre le devoir d’appeler sans cesse la Compagnie à oser l’audace de l’ « improbable », et la volonté évangélique de le faire avec l’humilité de ceux qui savent que, dans ce service où l’humain engage toute son énergie, « tout dépend de Dieu ».

Mais est-il possible pour nous d’avoir cette audace de l’improbable, cette audace de l’Evangile, audace de votre fondateur Ignace qui fonda sa Compagnie, petite comme un grain de moutarde, en un temps de crise, de besoin de fraternité et face à des défis immenses ? C’est, me semble-t-il, la question qui tourmente le prophète Habacuc « Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler, sans que tu entendes ? crier vers toi “Violence !”, sans que tu sauves ? ». Nombreux parmi vous pourraient énoncer les malédictions du prophète qui expliquent la force avec laquelle il interpelle son Dieu. Aujourd’hui encore le monde est défiguré par ceux qui accumulent ce qui n’est pas à eux, qui poursuivent d’abord leurs propres intérêts, construisent un monde sur le sang d’une multitude d’oubliés qu’on manipule, inventent sans cesse de nouvelles idoles. Violences, qui défigurent le visage de l’humain dans les personnes, les sociétés et les peuples. Le plus improbable, dans ce contexte, n’est peut-être pas de renverser, avec nos mains humaines et dans la limite de nos intelligences et de nos capacités, ces violences pour remettre le monde un peu plus à l’endroit. Il faut, bien sûr, oser chercher comment retisser ce qui est déchiré. Mais la véritable audace de l’improbable n’est-elle pas de faire entendre, au cœur de ce travail de « retissage », la voix de Celui qui, envers et contre tout, conduit son peuple et lui donne la force de vivre par sa fidélité ? Que le Seigneur vous fasse la grâce, au long de vos réflexions et discernements, de vous laisser guider, engendrer, dans cette audace de faire entendre à travers vos engagements, vos paroles, vos solidarités, la voix toujours inattendue de Celui qui espère le monde, renverse la mort et établit la vie, Celui à qui vous cherchez à rendre la plus grande gloire.

Loin d’être naïve, cette audace est réaliste. L’apôtre Paul, dans sa seconde lettre à Timothée, nous aide à comprendre pourquoi. C’est une audace réaliste, d’abord, parce qu’elle s’appuie sur un don premier : « Ravive le don gratuit de Dieu », invitation qui fait écho à d’autres formulées par l’apôtre « Ne brisez pas l’élan de votre générosité, mais laissez jaillir l’Esprit ; soyez les serviteurs du Seigneur » (Rm 12, 11). « N’éteignez pas l’Esprit » (1Th 5, 19), « Ne le contristez pas » (Ep 4, 29). C’est probablement la tâche principale d’une Congrégation comme celle qui s’ouvre pour vous aujourd’hui : puiser l’audace de l’improbable dans la fidélité à l’œuvre de l’Esprit. Trouver la force et la créativité de la fidélité dans le souffle en lequel nous tient l’Esprit qui nous conduit dans la rencontre et l’écoute de l’autre, qui creuse au cœur de l’homme le puits de compassion, qui consolide l’alliance indéfectible avec ceux qui nous sont confiés. Mais cette audace de l’improbable est réaliste, aussi, parce qu’elle cherche sans cesse à se mettre à l’unisson de Celui dont Paul, endurant ses souffrances, est établi hérault, apôtre et docteur, le Sauveur Jésus-Christ qui a réalisé l’improbable quand Il a détruit la mort et fait briller la vie et l’immortalité par l’Evangile (v. 9-12). L’audace de l’évangélisation est orientée vers le visage de ce Sauveur dont elle cherche à faire entendre la voix et percevoir le mystère. Le mystère de cette voix est qu’elle a comme seule prétention celle d’affirmer que c’est dans l’humble affrontement de l’absurde que la vie donnée ouvrira en ce monde le chemin d’une naissance nouvelle à la vie.

Augmente en nous la foi, demandaient les apôtres. Mais, comment leur vient cette demande ? Comment, en notre temps, allons-nous répondre à l’urgente nécessité de vivre comme des hommes de foi, des contemplatifs en action, des hommes dont la vie sera vraiment donnée pour les autres ? Vous vous souvenez que, dans l’Evangile de Luc, le passage que nous avons entendu aujourd’hui fait suite à un enseignement de Jésus sur la vie entre les frères. Il est inévitable qu’arrivent des scandales, et il faut vous tenir sur vos gardes pour ne pas entraîner au péché un seul de ces petits. Puis vient l’enseignement sur le pardon sans relâche donné au frère, une fois, sept fois… Et là vient la demande des apôtres ! Au fond, c’est toujours la même chose : comme le Royaume, l’improbable n’est jamais loin de toi. Oui, bien sûr, c’est la recherche passionnée d’ouvrir en ce monde des voies pour la sagesse, des chemins où la parole et les projets humains prendront sens en tâchant de construire un monde hospitalier pour l’homme. Mais ce qui peut donner comme un feu intérieur à cette recherche passionnée, c’est l’expérience concrète, parfois si banale et souvent si difficile, du pardon. Cette expérience de dépasser l’offense pour donner, à nouveau, sans condition, la vie en abondance. Cette expérience qui fait découvrir qu’on a en soi-même une vie tellement plus forte, tellement plus belle, que celle qu’on croyait posséder, une vie qui trouve sa pleine vérité lorsqu’elle se déprend d’elle-même pour s’offrir à l’autre. Expérience de la vie fraternelle, dont le témoignage est si important aujourd’hui. Il me semble que ce n’est pas pour rien que, dans l’Evangile d’aujourd’hui, Jésus poursuit par l’évocation de ce simple serviteur. De quoi est-il, précisément, le serviteur ? D’une table, table des pécheurs, table de l’accueil de tous où sont invités aveugles et boiteux, pharisiens et publicains, adultères et hommes de bien. Votre fondateur, Ignace, priait ainsi: « Seigneur Jésus, apprenez-nous à être généreux, à vous aimer comme vous le méritez, à donner sans compter, à combattre sans souci des blessures, à travailler sans chercher le repos, à nous dépenser sans attendre d’autre récompense que celle de savoir que nous faisons votre Sainte Volonté » ? N’est-ce pas une invitation, aujourd’hui encore, à nous mettre tous au service de cette table ?

Table d’Emmaüs, où le simple serviteur apprend son métier en se laissant guider par son premier compagnon, le Sauveur, Jésus-Christ.

Seigneur, augmente en nous la foi !








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