2015-12-10 18:25:00

Frère Marcel et son amour des fleurs, «la consolation de Dieu»


(RV) Entretien - «On apprécie davantage la beauté de la vie quand on la trouve dans un milieu inhospitalier. Le chemin que l'on doit parcourir alors, véritable quête, nous ramène à l'essentiel.»  Marcel Blondeau est québécois, frère des écoles chrétiennes depuis plus de 60 ans. Sa congrégation l'a poussé à suivre un parcours administratif et d'économe mais sa passion, il la voue aux fleurs, «la consolation de Dieu». Son herbier personnel compte plus de 16.000 spécimens. 

A l'occasion de la COP 21, nous donnons la parole à ce fils spirituel de saint Jean Baptiste de La Salle et botaniste reconnu, auteur d'une quarantaine de publications dont un Atlas des fleurs du Grand Nord canadien. Il est interrogé par Marie Duhamel

À l’intérieur de la vie religieuse, il y a toujours un choix que l’on fait dans notre profession et les deux doivent bien s’intégrer, à la fois la vie de prière et la vie active. Le monde végétal qui fait partie de la création vient de Dieu. Donc, en étudiant les phénomènes naturels des plantes et des végétaux, on se retrouve très proche de Dieu qui nous parle par la création, et ce n’est pas automatique, l’un ne dispense pas de l’autre. Il faut à la fois la science et l’éthique, si l’on veut "la morale", comme dit le Pape François dans son encyclique Laudato Si', et alors on se trouve à créer un équilibre et Dieu peut nous parler.

Qu’est-ce que vous ont appris les plantes de Dieu et de votre relation avec Lui ?

La patience, puis la recherche, quand on a trouvé, on a encore le désir de trouver davantage. C’est une recherche et un intérêt. Photographier les plantes et les récolter en même temps, des fois l’un ne va pas toujours avec l’autre. Des plantes que j’avais photographiées, j’ai essayé de les reprendre pour avoir de meilleures photos. C’est plus facile de voir, quand on se retourne, les sentiers parcourus que de savoir ce qui nous attend. Au tout début, je ne pensais pas que je parviendrais à visiter tous les villages inuits. Je me disais : «je vais aller dans ce village et je vais trouver à peu près toutes les plantes». Mais je me suis aperçu que ça ne fonctionnait pas comme ça. Chaque région avait été influencé par la géologie, la géomorphologie, les glaciers, et puis savoir qu’aux limites de la forêt ou de la taïga, on arrive dans la toundra. Mais parfois cela se fait imperceptiblement, peu à peu.

Quelles sont les expériences les plus fortes que vous avez faites de vos expéditions ?

Que l’on peut découvrir quelque chose de neuf, quelque chose qui existait avant ailleurs, mais qu’on ne savait pas qui existait ici. Pour arriver à cela il faut nécessairement consulter les experts. Alors heureusement le bon Dieu à placé dans ma vie des personnes à qui j’ai pu référer les questions qui me posaient problème. Ce n’est toujours pas évident de trouver une plante, on peut faire des erreurs graves : des savants ont parfois fait de grosses erreurs, ça fait partie de l’apprentissage sur le sentier des connaissances.

Vous parlez aussi de chapelets que vous récitez en marchant dans la nature. Est-ce que vous pouvez m’expliquer en quoi vos expéditions sont un cheminement de prières ?

Parfois ces voix qui commençaient avec mon chapelet à prier ici et là, devant la beauté de la nature et parfois c’était comme ça un clin d’œil de Dieu. Je me souviens le 15 août à midi, dans un village très éloigné, j’avais trouvé le saule d’Alaska. Ce saule me séduisait, et puis je savais qu’il était rare et imaginez c’était le 15 août, j’étais ému humainement. Ça m’a travaillé et j’ai récité l’Angélus à la suite de cette dècouverte-là. C’était une grande joie pour moi.

Diriez-vous de vos expiditions que c’est de la contemplation ?

Oui, ça nous invite à la contemplation. Il faut parfois simplement s’arrêter puis regarder et jouer de cette beauté, parce que c’est le Créateur qui a mis ça en nous. Le désir de la beauté, le désir de la vérité. Alors quand on est dans un milieu comme ça, il faut s’arrêter, écouter, regarder comme il faut et parfois c’est juste à nos pieds. Je me souviens un jour, je cherchais une plante avec un ami, nous avions une liste de plantes à retrouver et puis j’ai dit «écoute, là, on va prendre le temps de s’asseoir et puis on va manger notre repas.» Alors on s’est assis et à mes pieds était la plante que je cherchais. C’est parfois des surprises que l’on a.

Vous dites que parfois la beauté de la vie, la beauté de Dieu, ne se trouve pas dans des milieux hospitaliers, mais plutôt inhospitaliers ?

Dieu se cache partout. Notre fondateur en particulier nous disait d’être attentif à la présence de Dieu, mais c’était Dieu présent dans l’église, Dieu présent dans nos frères, quand nous prions ensemble. Dieu est là dans l’eucharistie mais tout à coup le pape François nous dit et nous rappelle ce que Saint François d’Assises avait trouvé que Dieu est présent dans la Création et je pense que cela vient nous consoler un peu comme des fleurs que l’on offre à des personnes qui ont perdu la vie. Ce que nous avons vu à la télévision à la suite des massacres de Paris, les gens vont porter des fleurs. Il y a quelque chose de symbolique là-dedans. C’est une consolation que Dieu nous donne de voir des belles créatures, des fleurs qui nous invitent à nous élever, à nous consoler dans ce monde qui devient invivable.

Vous qui travaillez justement dans le sillon de Saint Jean-Baptiste de La Salle, est-ce que toutes vos expéditions vous ont aussi appris à transmettre votre foi autrement aux jeunes générations?

C’est parfois difficile de transmettre la foi, parce que l’on est dans un monde qui est laïcisé et qui est aseptisé, alors il faut patienter, il faut dire que Dieu attend le jeune qui ne croit pas et qu’un jour Dieu se révèle et ce n’est pas à nous de gérer ça, nous ne  convertissons pas les autres, c’est le Seigneur.

Mais dans votre rôle de transmission à vous ? Est-ce que par exemple vous avez cherché à parler de Dieu aux enfants en faisant des herbiers, en faisant des promenades ?

Oui, j’avais dans une de nos écoles l’activité de faire un herbier mais de nos jours même au plan humain c’est devenu de plus en plus rare parce que ça demande trop d’attention, trop de temps, pour récolter la plante : il faut la presser, il faut la sécher, il faut la fixer sur un carton et lui mettre un nom. Faire de l’herborisation sur une période intensive, implique aussi de sortir les plantes du séchoir qu’on a pressé la veille. Pour communiquer à l’intérieur des cours de catéchèse, il faut d’abord assurer la discipline et je me suis aperçu quand je suis retourné dans l’enseignement, que les élèves avaient beaucoup de peine à se concentrer. Ce n’est pas la faute des jeunes, c’est toute la société qui est comme ça. Les heures de silence, les heures de repos, de contemplations se font de plus en plus rares. Ça nous influence dans un monde qui est pollué. C’est difficile de prêcher l’ordre, la réserve et l’ascèse.

Vous étiez dans des villages inuits, avec eux, l’occasion d’expérimenter l’eucuménisme autrement ?

J’allais à l’église avec les anglicans autant que possible. Un jour j’ai été chez les pentecôtistes mais par erreur, car j’allais habituellement chez les anglicans. J'écoutais patiemment dans une langue que je ne comprenais pas mais en voyant la foi des gens, je pense qu’il y a eu une interaction. Je me souviens du jour où j’ai dit au pasteur inuit que je ne parle pas inuit mais que je venais ici parce qu’ensemble nous sommes à la recherche de Jésus-Christ. Et la dernière fois que le Pasteur a célébré les vêpres, il est venu me saluer d’une manière particulière avec une interprète. Alors simplement la présence durant leurs activités était déjà un pas vers la compréhension, vers l’eucuménisme. Des fois, ce n’est pas grand-chose mais ça témoigne de vouloir être un dans le Christ.  

(CC-CV-MD)








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