2015-04-22 18:11:00

Les Erythréens, l'exil permanent


(RV) Entretien- Les chefs d’Etat et de gouvernement des 28 pays de l’Union européenne se réunissent le 23 avril pour discuter des mesures à adopter face à l’afflux de migrants, quelques jours après le naufrage qui a fait plus de 800 morts au large des côtes libyennes.

Parmi les nombreux migrants qui tentent de traverser la mer Méditerranée, les Erythréens représentent l’un des contingents les plus importants. Ce petit pays d’Afrique de l’Est, qui a fait sécession de l’Ethiopie en 1992, compte plus d’un quart de ses ressortissants à l’extérieur de ses frontières. Ils fuient la dictature d’Issayas Afewerki, qui impose aux habitants des conditions de vie très dures et a beaucoup isolé le pays par rapport aux autres Etats africains.

Le journaliste Léonard Vincent, auteur du livre « Les Erythréens » paru en 2012 aux éditions Payot et Rivages évoque l’importance de cette diaspora de plus d’un million d’hommes et de femmes, souvent soumis à l’insécurité, à la violence et à un contrôle politique qui dépasse les frontières du pays.

 

L’Érythrée, c’est un petit pays d’Afrique de l’Est qui est coincé entre Djibouti, le Soudan et l’Éthiopie sur les bords de la Mer Rouge. C’est un pays qui est indépendant de facto depuis 1991, après trente ans de guerre de libération. C’était anciennement le rivage de l’Éthiopie. Ils ont combattu une guerre extrêmement cruelle dans la solitude. C’est un tout petit pays d’environ cinq à six millions d’habitants mais on estime depuis dix ans que les Érythréens fuient en masse l’enfer totalitaire qui règne dans leur pays. On estime qu’il y a plus d’un million d’Érythréens qui vivent aujourd’hui à l’étranger.

Et qui sont du coup plutôt en Europe ou il y en a qui sont partis aussi vers d’autres pays d’Afrique ?

Il  y a un peu de tout. Il y a des camps de réfugiés au Soudan qui sont surpeuplés. Il y a aussi environs 100.000 Érythréens qui sont en Éthiopie, donc le long de l’ancienne ligne de front dans plusieurs camps qui ouvrent au fur et à mesure qu’ils arrivent dans le Tigré éthiopien et en pays Afar. Il y a aussi beaucoup d’Érythréens qui sont en Égypte, dans les bidonvilles autour du Caire ou détenus dans le Sinaï par des mafias de bédouins qui les rançonnent, les rackettent, les torturent et les tuent souvent. Il y a en a aussi beaucoup qui sont coincés en Libye. Il y a aussi une importante diaspora qui est allée en Europe, aux États-Unis et au Canada. C’est un pays dont le peuple est atomisé aux quatre coins de la planète avec une diaspora organisée et souvent puissante. Et puis, un régime extrêmement soupçonneux qui les surveille au-delà de ses frontières puisque les ambassades sont extrêmement puissantes et il est requis de payer un impôt révolutionnaire, faute de quoi on ne peut plus envoyer de courriers, on ne peut pas communiquer avec le pays. C’est une diaspora qui est toujours aussi tourmentée, même après avoir fui la dictature.

On présente parfois l’Érythrée comme la Corée du Nord de l’Afrique. Est-ce que c’est une définition juste ?

C’est un slogan qui est efficace et qui permet de comprendre que le système qui règne à l’intérieur des frontières de l’Érythrée est totalitaire. Maintenant, il y a bien sûr des points communs avec la Corée du Nord : une extrême militarisation de la société, une extrême centralité du pouvoir autour du président et de ses conseillers mais les rues de Pyongyang et les rues d’Asmara ne se ressemblent pas. Il n’y a pas de culte de la personnalité autour du président qui est au contraire un homme extrêmement austère. J’aurais plutôt tendance à comparer le mode de gouvernance érythréen à la Roumanie de Ceausescu dans les années 1970 ou à l’Albanie d’Enver Hoxha aussi. C’est un régime fondé sur les trafics maoïstes avec un parti qui serait l’avant-garde du peuple, un peuple en armes, une société structurée autour de l’armée et puis, un culte des martyrs et des vétérans de la guerre de libération qui a été extrêmement cruelle pour le peuple érythréen.

Aujourd’hui, il y a toujours une situation de guerre latente avec l’Éthiopie ou les relations se sont normalisées ?

La situation entre les deux pays est toujours extrêmement tendue. Officiellement, il y a un traité de paix qui a été signé après une guerre désastreuse qui a été menée entre 1998 et 2000, qui a tué environs 100.000 jeunes des deux côtés de la frontière. C’est une guerre de tranchées. Donc, il y a eu des fantassins montés à l’assaut des mitrailleuses d’en face. Aujourd’hui, la situation n’est pas normalisée. On est dans une espèce de guerre froide. La frontière est encore une ligne de front patrouillée par les deux armés. L’Érythrée se considère toujours assiégée et faisant face à une razzia imminente de troupes éthiopiennes qui sont dix fois, vingt fois plus nombreuses que les troupes érythréennes sur leur petit pays qui, par ailleurs, a eu le droit pour lui puisqu’un arbitrage international  a donné un certain nombre de villages toujours occupés par l’Éthiopie à l’Érythrée et que l’Éthiopie ne s’est toujours pas retirée. 








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