(RV) Entretien - Les déplacés d’Irak ont désormais leur radio : Radio al-Salam (« radio de la paix », en arabe), qui a commencé d’émettre dimanche 5 avril, jour de Pâques, depuis le quartier d’Ankawa, à Erbil, là où vivent de nombreux chrétiens originaires de la plaine de Ninive, chassés de leurs terres par l’Etat islamique.
Cette toute jeune radio, qui émet en trois langues, - arabe, kurde et syriaque -, veut être un pont entre les populations réfugiées au Kurdistan, et celles qui les accueillent. Sa programmation ? Celle de n’importe quelle radio avec flash d’informations, météo, émissions culturelles, musique ; mais aussi des programmes spécifiquement consacrés à la vie dans les camps de réfugiés, par le biais de reportages, de témoignages, etc.
Vincent Gelot est le coordinateur de Radio al-Salam. Ce jeune Français de 27 ans connaît bien la région que ces réfugiés chrétiens ont dû quitter. Son périple en 4L entre 2012 et 2014, à la rencontre des chrétiens d’Orient et d’Asie centrale, l’avait porté en Irak et, justement, dans la plaine de Ninive.
Interrogé par Manuella Affejee, il revient sur les origines de la radio et le message qu’elle propose aux populations réfugiées.
Comment est née Radio al-Salam ?
Cette idée est née en fait de la combinaison de plusieurs acteurs. Tout d’abord, en
octobre dernier, il y a eu une mission exploratoire organisée par la Guilde européenne du Raid, une association française d’utilité
publique et puis une autre organisation, la
Radios Sans Frontières. Elles sont venues à Erbil, en Irak, pour rencontrer les
déplacés. Ils se sont rendus compte, en fait, qu’il n’existait pas de radio locale
ici, une radio qui soit vraiment consacrée aux déplacés et aux réfugiés. Or il y avait
vraiment une demande de la part des déplacés d’un média qui leur soit proche, dans
leurs langues et auquel ils puissent s’adresser. Donc cette idée est née de là. Elle
s’est renforcée avec l’association de l’Œuvre
d’Orient pour donner une voix à ces déplacés du Kurdistan.
Quelle est la nature des programmes de
Radio Al-Salam ?
Radio Al-Salam, 95.5 est complètement dédiée aux déplacés
et réfugiés du Kurdistan irakien. Une partie de ces programmes est le « fonds normal
» d’une radio avec des news, la météo, l’horoscope, etc. Les réfugiés, les déplacés
sont des gens comme les autres. Ils ont envie de savoir un peu ce qui se passe dans le monde, avec de la musique locale dans
plusieurs langues. La radio est donc née en trois langues : en arabe, la langue la
plus comprise dans notre rayon d’actions (60 km) ; le kurde, qui est la langue parlée
par les gens d’ici ; et enfin, le syriaque, qui est la langue de la communauté chrétienne
importante ici, les syriaques. Il y a donc cette partie qui est le fonds d’une radio
normale, et des programmes concrètement dédiés aux déplacés, des programmes de témoignages,
comme par exemple « Le tour de la table », avec la réunion de déplacés venant de plusieurs
villes, de religions et communautés différentes, des programmes d’informations utiles
sur l’aide humanitaire. Récemment, on a eu un programme sur les naissances, l’enregistrement
pour les bébés qui naissent ici et qui sont apatrides. On a un programme qui s’appelle
« la voix du camp » avec l’intervention de responsables de camps, des responsables
d’ONG mais également des déplacés. Le but est vraiment de faire un pont entre les
déplacés. Chaque camp vit ici un peu dans sa bulle et le but, c’est de faire un lien
entre les déplacés de ces différents camps, de ces différentes communautés, qui sont
d’origines différentes, etc. Et enfin, de créer aussi un pont avec les gens qui les
accueillent ici : la population kurde, d’où le fait qu’on émette en plusieurs langues.
Notre équipe reflète un peu la diversité des déplacés et des réfugiés qui sont arrivés
ici. On a quatre journalistes locaux : deux Chaldéens (Ryan et Fabien) qui sont d’Erbil,
une Syro-russe (Sevin) et enfin, Samir, un Kurde.
Est-ce que le but de cette radio est aussi
de donner à ces déplacés un semblant de normalité dans une vie qui ne l’est pas forcément ?
Oui, pour être franc, cette radio est une petite pierre
à d’édifice. Les gens ont des priorités sûrement autres que de recevoir une radio
et de l’écouter. Mais c’est vrai qu’avoir un média qui leur soit propre, qui leur
apporte un peu d’humanité dans une situation précaire. On veut essayer d’être proches
des gens. On est une radio locale. On va régulièrement dans les camps. Ça va être
aussi un travail de se faire peu à peu connaître. Ce sera un travail de proximité,
de confiance également auprès de ces gens-là.
De quels moyens disposez-vous pour cette
radio ? Est-ce que vous avez des soutiens financiers ?
Le projet est piloté par la Guilde du Raid. Notre
partenaire technique est Radio Sans Frontière, une association qui aide à monter des
radios un peu partout dans le monde, dans les pays d’Afrique, etc. Nos plus gros apports
financiers sont l’Œuvre d’Orient et la Fondation Raoul Follereau, qui nous aident
à financer ce projet. Maintenant, avec ce grand lancement qui a eu lieu il y a deux
jours, on espère trouver des fonds pour, d’abord, trouver des postes de radios et
les distribuer dans les camps, pour permettre à ces déplacés de pouvoir nous écouter
avec toutes les campagnes pour faire connaître la radio.
Vous qui vous rendez régulièrement dans
ces camps de déplacés, est-ce que vous pouvez nous dire quelle est la situation aujourd’hui ?
Quel est l’état d’esprit de ces populations ?
Il y a des gens qui sont arrivés il y a près de deux
ans déjà, comme des réfugiés arrivés du Kurdistan syrien. Donc certains camps comptent
plus de douze mille personnes, ce sont presque de petites villes qui se sont organisées
depuis deux ans. Après, il y a eu l’arrivée des populations déplacées en juin de Mossoul
et puis, l’été dernier, de la plaine de Ninive. Là, ce sont des situations beaucoup
plus précaires. Les gens qui sont arrivés pensaient initialement rester assez peu
de temps en arrivant, ils pensaient que le problème de Daech allait vraiment se résoudre
rapidement. Et la situation s’éternise, les conditions se sont précarisées. Les gens
sont nerveux. C’est une déchirure un déplacement pour tout le monde, quelque soit
la communauté ou la religion d’où l’on vienne, quitter sa terre, sa maison, avoir
tout perdu. Certains veulent partir, d’autres sont prêts à revenir dans leurs villages.
L’Irak ayant connu à peu près trente années successives, ou bien de guerres, ou bien
de dictatures, ou bien d’un non-État, il est difficile de donner une perspective d’avenir
à ces gens-là.
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