2015-03-11 08:05:00

Affaire Nemtsov : la piste tchétchène


(RV) Entretien  - Islamiste, tchétchène… Dans l’affaire Nemtsov, l’opposant à Vladimir Poutine, le président russe, abattu fin février à Moscou, c’est la piste privilégiée par la police : l'hypothèse d'un assassinat en réponse au soutien de Boris Nemtsov à Charlie Hebdo. Mais l’un de ses proches ami et fondateur avec lui du mouvement d’opposition Solidarnosc n’y croit pas. Pour Ilia Iachine, elle est « absurde » et « répond à un ordre du Kremlin ».

L'ancien Premier ministre de Vladimir Poutine, Mikhail Kassianov, a lui aussi récusé la piste. « Nemtsov était un champion de la liberté de religion et un défenseur des droits des minorités en Russie, notamment ceux de la communauté musulmane », a-t-il affirmé mardi au cours d'une conférence de presse au Parlement européen.

Dans l’enquête toujours en cours, cinq suspects ont été arrêtés dimanche. Ils sont tous originaires de Tchétchénie et d’Ingouchie, deux républiques musulmanes de Russie. L’un d’eux a même reconnu avoir participé au meurtre.

Depuisl’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, il y a plus de 15 ans, la piste tchétchène a été privilégiée dans de nombreuses affaires. Est-elle crédible ? Silvia Serrano, maitre de conférence au Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen, répond à Antonino Galofaro.

La plupart des assassinats, des attentats terroristes qui ont été commis en Russie depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine ont, en très grande majorité, été imputés à des Tchétchènes. Donc, c’est là vraiment une réaction absolument classique des autorités russes et il faut rappeler que c’est d’ailleurs ce qui a permis à Vladimir Poutine de se hisser au pouvoir. Donc, très grande prudence quant à ces annonces ! Disons que la piste tchétchène est très régulièrement sollicitée depuis les attentats de 1999.

En quoi ça arrange les autorités russes que les Tchétchènes soient à chaque fois responsables de ces actes, du moins d’après les autorités elles-mêmes ?

En réalité, on a là une République qui a donc cherché à gagner son indépendance, dont le contrôle a été repris justement après l’arrivée au pouvoir de Poutine après 1999, au terme de guerres très sanglantes et qui en fait, depuis l’effondrement de l’Union soviétique, constitue une sorte de zone d’exception où les modalités d’exercice de la coercition et de la violence vont être différentes de ce qui s’exerce dans le reste de la Russie. Donc, ce régime d’exception permet des jeux d’instrumentalisation croisée qui sont, me semble-t-il, au cœur du système poutinien. On a là des forces de police qui ont été unifiées et qui sont, aujourd’hui, sous l’autorité du président tchétchène prorusse, mis en place par Moscou, Kadyrov mais qui bénéficie d’une certaine autonomie de facto par rapport au donneur d’ordres à Moscou. Donc, on a là un système de délégation de la violence avec une autonomie qui permet de détourner, en réalité, le régime d’impunité qui permet de s’écarter du cadre hiérarchique de l’État russe. Donc, du coup, ces groupes armés qui étaient auparavant illicites qui sont retournés sous le contrôle d’organisations bureaucratiques, en réalité, permettent un exercice de la violence par l’État en dehors des normes de l’État. Ils permettent un jeu très souple et peuvent être utilisables, instrumentalisables et être dénoncés. La personne qui a été accusée a probablement un passé assez trouble. Donc, il est probablement relativement aisé d’exercer des pressions sur lui. Donc on a là tout un personnel qui est disposé à exercer une violence en dehors de l’État qui peut aussi être une violence au service de l’État.

Dans le cas de l’opposant Nemtsov, quel avantage en tirerait Moscou ?

Ce qui est intéressant, c’est que ça n’est pas nécessairement que le commanditaire soit au sommet de l’État mais c’est que manifestement, un meurtre de cette nature ne peut pas être commis dans les conditions dans lesquelles il a été commis s’il n’y  a pas de complicité au sommet de l’État. Est-ce que ça renvoie à des luttes de clan ? Est-ce que ça renvoie justement à des logiques d’autonomie de certains groupes dans l’entourage de Poutine ? Est-ce que ça renvoie à une volonté, y compris effectivement des autorités tchétchènes, de montrer qu’ils sont capables de commettre ce type d’action contre, en réalité, ce que leur demande Poutine ? Il y a un certain nombre de scénarios qui sont envisageables. Ce qui est clair, c’est que ça ne peut pas être n’importe qui, qui tue sous les murs du Kremlin un des principaux opposants russes. C’est tout simplement impossible à moins d’être évidemment très bien introduit dans l’appareil coercitif russe. Et c’est en ce sens que l’assassinat et l’enquête qui est aujourd’hui en cours sont assez significatifs, me semble-t-il, de ces jeux qui sont permis par la situation très ambiguë de la Tchétchénie au sein de la Fédération de Russie aujourd’hui.   








All the contents on this site are copyrighted ©.