2015-02-26 08:00:00

Est de la Libye : le général Haftar, nouveau chef de l'armée


(RV) Entretien- La Libye serait-elle en train de devenir une nouvelle Syrie ? Comparaison n’est pas raison, mais avec ses deux gouvernements, ses deux Parlements, ses différentes milices en guerre les unes contre les autres, la situation rappelle tragiquement ce qu’a vécu la Syrie il y a quatre ans, au début du conflit.

Dans ce contexte, le Parlement de Tobrouk, reconnu par la communauté internationale, a décidé de nommé le général Khalifa Haftar comme chef général de l’armée. Une décision qui appuie la probabilité d’une guerre ouverte contre les islamistes, alors que l’Onu appelle à un dialogue national.

Le général Haftar se présente comme le chef officieux de l'Armée nationale libyenne (ANL), une force paramilitaire qui combat les islamistes dans l’Est de la Libye. Ces forces sont formées notamment d'anciens officiers qui avaient quitté l'armée de Kadhafi, et d'autres brigades de l'est libyen.

Kader Abderrahim, maître de conférence à Sciences Po Paris et chercheur à l’IRIS, revient sur le nouvel homme fort de l’Est de la Libye, au micro de Jean-Baptiste Cocagne : 

Le général Haftar est un peu l’homme fort du gouvernement de Tobrouk. Il a lancé son offensive contre les différents groupes terroristes au début de l’été dernier. Donc, il s’est imposé sur le terrain et aujourd’hui, il est le seul interlocuteur capable de faire face à l’expansion et à la poussée, d’abord à l’installation de l’État islamique et des différents groupes terroristes qui sévissent aujourd’hui en Libye. Il bénéficie pour cela notamment du soutien assez ouvert et assez explicite de l’Égypte. Les différentes brigades qui combattent sous ses forces, les forces spéciales sont en grande partie formées et armées par l’Égypte. D’ailleurs, il se verrait aujourd’hui volontiers un destin à la Sissi. Ça va être beaucoup plus compliqué. D’abord parce qu’il y a un émiettement militaire, des dizaines de milices qui combattent dans le pays et puis maintenant, une tentative. C’est un peu tôt pour parler de manière définitive mais une implantation, en tout cas, de l’État islamique. Aujourd’hui, la situation libyenne, ce n’est pas seulement le chaos mais c’est également une grande confusion politique avec deux parlements, deux gouvernements, des institutions qui n’ont pas une grande légitimité aujourd’hui parce qu’aucune des deux ne parvient à rétablir la sécurité ou l’ordre là où elle est présente. La seule ville dans laquelle les milices ont accepté de se désarmer, c’est la ville de Beni Walit, la ville d’origine du colonel Kadhafi.

Concrètement, que reste-t-il de l’armée libyenne aujourd’hui ?

Rien du tout. Je dirais que l’armée libyenne s’est un peu cassée en mille morceaux. On peut faire un parallèle avec la situation en Irak, au moment de l’intervention étrangère, en tous cas américaine de 2003, des différentes insurrections qu’a connues le pays. Il y a un certain nombre de militaires, notamment après la pendaison de Saddam Hussein, des militaires de haut rang qui s’étaient préparés à une guérilla de longue haleine. La Libye, c’est un peu la même chose. Il y a une grande partie de l’armée libyenne qui s’est totalement disloquée après les bombardements anglo-français mais elle est toujours présente. Elle a des moyens considérables et avait quand même énormément d’armes qui avaient été achetées par le colonel Kadhafi et par le régime libyen qui aujourd’hui servent à combattre ou à se combattre entre Libyens. Chacun a des visées politiques qui sont très différentes et qui sont même parfois contradictoires. On trouve de tout : des nostalgiques du régime de Kadhafi, des monarchistes, des libéraux, des djihadistes, des islamistes. Donc, c’est extrêmement compliqué de s’y retrouver mais l’armée du colonel Kadhafi est aujourd’hui complètement disloquée et en fonction des intérêts ou des appartenances tribales, elle est soit dans un camp, soit dans l’autre.

Il y a un embargo sur la vente d’armes pour la Libye depuis 2011. Qu’est ce que ça pourrait changer la levée de cet embargo que certains réclament ?

Oui, je ne pense pas que ce soit une très bonne idée mais en même temps, c’est aussi une grande hypocrisie parce que les armes continuent de circuler. Je me rappelle que des pays comme l’Arabie saoudite ou le Qatar approvisionnent les différentes factions, en général par l’Arabie saoudite via l’Égypte, les autres groupes djihadistes via le Qatar. Donc, oui, il y a un embargo officiel et de fait théorique mais dans les faits, les armes continuent à entrer et sortir du pays. Encore une fois, on est dans une région dans laquelle, aujourd’hui, les frontières n’ont plus beaucoup de significations et on est plus dans une logique de confins que dans une logique d’État et de territoire. Je crois qu’il va falloir s’habituer à cette idée parce qu’elle est durablement installée et on va devoir faire face à cela. On ne sait pas encore très bien comment mais il va falloir trouver les moyens, notamment en ce qui concerne la Libye, à la fois de rétablir un peu la sécurité et l’ordre et puis, de revenir à une stabilité institutionnelle qui est absolument nécessaire pour que le pays puisse à nouveau organiser des élections qui soient incontestables.

Et dans ce contexte qui change, l’État islamique risque de s’implanter durablement lui aussi ?

C’est trop tôt pour le dire. Mon analyse est qu’il ne faut pas faire les mêmes erreurs en Libye que celle qu’on commise les Occidentaux au Moyen-Orient. Le piège de l’État islamique, c’est d’entraîner à nouveau les Occidentaux dans une nouvelle guerre en Libye, ce qui provoquerait  une sorte de réflexe pavlovien et tout le monde se rallierait à l’Etat islamique, derrière son drapeau, au nom de la lutte de l’Islam contre les croisées, etc…selon la rhétorique de Daesh. Ce serait une grosse erreur, notamment de la part de la France, qui a des velléités de déclencher une nouvelle guerre en Libye parce qu’effectivement, cela provoquerait une implantation durable de l’État islamique au Maghreb qui n’existe pas encore ou qui existe mais marginalement. 








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