(RV) Entretien - Après « Luxembourg Leaks » et son mécanisme d’optimisation fiscale à grande échelle, est arrivé le scandale « Swissleaks », qui démontre comment une filiale d’HSBC permettait à ses clients une évasion fiscale garantie par le secret bancaire suisse.
Une perquisition a eu lieu mercredi au siège de HSBC à Genève, et la justice suisse a lancé une enquête pénale pour blanchiment d'argent aggravé contre l'établissement et contre X. Les chiffres publiés dans la presse témoignent de l’industrialisation de la fraude : 106 000 personnes sont concernées, preuve que les paradis fiscaux font partie intégrante du système bancaire et financier.
Pourtant, l’enchaînement dans la révélation de ces scandales permet petit à petit un changement de pratique, même si la transparence bancaire est encore loin d’être acquise. C’est l’avis de Lucie Watrinet, chargée de plaidoyer sur les questions de financement du développement au sein de CCFD-Terre solidaire, et coordinatrice de la plateforme « Paradis fiscaux et judiciaires » :
Que révèle le scandale Swissleaks ?
De la même manière que pour le scandale qu’on a appelé du "Luxembourg Leaks", ça montre
l’ampleur de ces pratiques d’évasion fiscale. Luxleaks concernait l’évasion fiscale
des entreprises multinationales ou plutôt, des pratiques d’optimisation fiscale. plutôt
légales. Là, nous avons des exemples de pratiques qui sont de l’ordre de l’illégalité
puisque ces comptes qui étaient cachés en Suisse n’avaient pas été déclarés au fisc
français. De la même manière, ce qui est intéressant de souligner, c’est le rôle joué
dans le cas du Swissleaks par la banque HSBC et dans le cas du Luxleaks par le cabinet
de conseil de PricewaterhouseCoopers : on a effectivement des intermédiaires qui organisent
la fraude et l’évasion à grande échelle. C’est quelque chose qu’il faut rappeler et
prendre, sans aucun doute, des mesures pour justement punir ces activités qui sont
de l’ordre du démarchage, qui favorisent et rendent possible l’évasion fiscale à grande
échelle.
Quelles peuvent-être les conséquences concrètes de telles révélations ?
C’est sûr que cela ouvre des fenêtres d’opportunité
pour réguler les activités de ces acteurs. Là, on a la Belgique qui a annoncé qu’ils
étaient prêts à émettre des mandats d’arrêt contre les dirigeants d’HSBC. Nous, on
pose la question aussi de savoir si c’est normal que des banques dont les pratiques
sont révélées de cette ampleur-là, puissent continuer à avoir des licences bancaires
au niveau européen ? Est-ce qu’il faut se contenter de leur demander de payer une
amende, somme toute assez réduite, par rapport aux milliards qui sont perdus par les
pays à cause de leurs pratiques ? Il faut vraiment se poser la question d’encadrer
les activités de ces acteurs et de punir extrêmement sévèrement, pas seulement les
particuliers ou les entreprises qui profitent de ces conseils, mais vraiment les intermédiaires
eux-mêmes.
Les scandales s’enchaînent dans la question de l’évasion fiscale. Mais
est-ce que vous constatez une évolution dans ce dossier ?
Effectivement, les choses ont pas mal changé depuis
la période qu’on évoque, puisque le Swissleaks parle de la période 2006-2007. Après,
ce n’est pas du simple fait de la bonne volonté de la banque que les choses changent,
mais c’est parce qu’aujourd’hui, il y a une pression de plus en plus forte de la part
des pays du G20, de l’OCDE et de ceux de l’Union Européenne. On est quand même dans
une période de crise budgétaire et savoir qu’il y a ces milliards-là qui échappent
aux caisses des États, ça commence quand même à leur poser un sérieux problème ! Du
coup, la Suisse a été un peu forcée de faire amende honorable et de se plier à de
nouveaux standards d’échange d’informations fiscales qui devraient limiter la possibilité
pour les fraudeurs de, justement, cacher avec autant de facilité leur argent dans
des comptes en Suisse. Après, de là à conclure que c’est la fin du secret bancaire
suisse, je n’irai pas jusque là ! Mais effectivement, avec la nouvelle norme qui a
été proposée par l’OCDE et adoptée par 93 pays à la fin du mois d’octobre dernier,
on a des pratiques qui vont changer en matière d’échanges automatiques d’informations
: désormais, il sera plus compliqué pour les banques suisses de ne pas transmettre
des informations concernant leurs clients. Donc il y a des choses qui bougent, des
choses qui avancent, même si tout est loin d’être réglé.
Nous, ce qui nous intéresse particulièrement aussi dans cette histoire, c’est que parmi les noms des personnes qui ont été révélés, figurent certaines hautes personnalités politiques de pays en développement, voire de pays pauvres. Du coup, ça interroge aussi sur la manière dont on inclut les pays en développement dans ces nouvelles normes d’échange parce que pour le moment, l’échange automatique d’informations, ce qui nous inquiète, c’est que les pays en voie de développement sont un peu laissés de côté. On a peur que la Suisse décide d’échanger de l’information seulement avec les pays de l’Union Européenne et des États-Unis et que, par exemple, les Nigérians ne pourraient pas savoir si certains de leurs compatriotes ont des comptes en Suisse. Pour l’instant, il n’y a pas d’accord spécifique entre la Suisse et les pays pauvres. C’est vraiment quelque chose qui nous inquiète.
Vous aviez réalisé en 2010-2011 une campagne qui avait eu un certain écho
: « Aidons l’argent à quitter les paradis fiscaux ». Est-ce que trois, quatre ans
après, vous voyez quand même des évolutions positives ou finalement, ça reste, si
on caricature, des coups d’épée dans l’eau ?
Non, on voit clairement dans tous ces sujets-là des
évolutions extrêmement positives à plusieurs niveaux. Le premier, c’est la prise de
conscience des citoyens de ces mécanismes qui semblent, et qui sont, réellement complexes.
Mais il y a une meilleure compréhension du problème. Aujourd’hui, on voit bien que
les gens ont compris qu’il ne s’agissait pas simplement d’un problème d’Iles Caïman
ou des Bahamas, que les paradis fiscaux sont un concept assez mobile et que le problème,
il est plutôt sur les utilisateurs de ces paradis fiscaux, multinationales et particuliers.
Du coup, c’est plus sur les utilisateurs qu’il faut essayer d’agir et de mettre des
règles pour les empêcher de placer leur argent où bon leur semblent pour éviter de
payer l’impôt.
Le second niveau est politique. Il y a quand même eu énormément d’évolution depuis 2010-2011, des évolutions liées, par exemple, aux obligations de transparence des banques puisque c’est arrivé en 2013. C’est une vraie avancée et une vraie victoire pour la transparence. Des évolutions au sein de l’OCDE également puisqu’aujourd’hui, l’OCDE a lancé un plan d’action pour lutter contre les pratiques fiscales agressives, comme ils les appellent, et qui se concentre vraiment sur un problème que nous, on soulève depuis 10 ans : se dire qu’en fait, les entreprises ne paient pas les impôts là où elles ont une activité réelle. Elles se débrouillent pour transférer leurs bénéfices dans des pays à fiscalité plus faible, via tout un tas de montages assez complexes que l’OCDE a listés. Il s’emploie à essayer de combler les vides qui existent dans le système fiscal mondial aujourd’hui. Après, notre bémol sur les propositions de l’OCDE, c’est que ça reste un club de pays riches et que du coup, ils ont tendance à trouver des réponses aux problèmes que se posent les pays riches et à laisser de côté les pays en développement, alors que ces pays-là subissent de manière extrêmement grave ces mêmes pratiques. C’est autant d’argent qui manque au développement et aux caisses de ces États-là aussi.
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