2015-02-11 15:15:00

Tragédies en Méditerranée : les failles de l'opération Triton


(RV) Entretien - A Lampedusa, les tragédies se succèdent encore et toujours. Ce lundi, deux bateaux chargés de migrants ont fait naufrage au large de la Libye. Plus de 300 personnes ont été englouties par les flots. 9 migrants ont pu être secourus par les garde-côtes italiens, et ont été débarqués sains et saufs sur l'île de Lampedusa.

Pour Stefano Liberti, journaliste italien spécialiste de l’immigration, ces drames sont le résultat de la fin de l’opération Mare Nostrum, décidée en novembre 2014, et aujourd’hui remplacée par l’opération Triton, au budget beaucoup plus limité :

Les tragédies dans la mer Méditerranée sont la conséquence de l’interruption de la mission Mare Nostrum au mois de novembre 2014. Le fait qu’il y avait la marine militaire qui allait chercher les migrants, qui les sauvait, même très loin des côtes italiennes vers la Libye, réduisait la possibilité des drames. L’Europe a décidé de mettre en place une mission qui est beaucoup moins importante, qui n’est pas une mission de recherche-secours mais plutôt une mission de patrouillement. Quand on voit le rayon d’action des deux missions, c’est très différent. Et même les navires qui sont employés sont très différents, comme les moyens financiers. Triton est une mission qui ne se déplace qu’à 30 milles marins des côtes italiennes et qui n’a pas les moyens pour porter secours aux migrants. On peut dire qu’on est revenu en arrière.

Aujourd’hui, quelle solution ? Triton va-t-il continuer ou faut-il changer ?

Il faut remettre en place une mission qui soit européenne, et pas qu’italienne, de secours en mer, parce que les flux migratoires vont continuer de la Libye, de l’Égypte. Cette année, c’est assez particulier parce que normalement, ces dernières 10 années, il y avait une sorte de pause d’hiver, c’est-à-dire qu’entre décembre et février, il n’y avait pas beaucoup de bateaux qui arrivaient. Là, on l’a vu l’année dernière et cette année, il y a encore des bateaux même si la mer est agitée, même s’il fait froid. Pourquoi ? Parce que les conditions dans les pays d’origine des gens sont très compliquées et surtout les conditions en Libye sont assez compliquées.

De quel côté faut-il chercher la responsabilité ?

C’est plutôt une responsabilité des politiques. La politique européenne a du mal à mettre en place des missions de secours en mer parce que l’idée derrière, c’est que la mission de sécurité en mer devient, comme on dit en anglais, un « push factor », c’est-à-dire qu’il va pousser les gens à partir. On peut se rappeler qu’en 2013, quand l’Italie a décidé toute seule de mettre en place l’opération Mare Nostrum, il y avait plusieurs pays qui étaient contre. Il y a même des pays comme le Royaume-Uni qui sont contre la mission Triton.

Le Haut-commissariat aux réfugiés demande un renforcement des capacités de secours, notamment après la mort par hypothermie de 29 personnes en début de semaine. Ils ne sont pas morts de noyade, mais de froid, parce que les secours ont mis 6 heures à arriver sur place. Comment interpréter ce fait ?

La mer était très agitée et donc, ils ont dû aller très doucement pour arriver à l’endroit où les gens étaient. En effet, ils ont sauvé 105 personnes qui voyageaient sur un zodiac. Ces 105 personnes étaient dans des conditions très difficiles et donc, 29 d’entre eux sont morts, pas dans leur zodiac mais sur les bateaux des gardes-côtes. Et qu’est-ce qui s’est passé ? Les moyens des gardes-côtes, ce sont de petits bateaux. Les gens n’étaient pas à l’intérieur des bateaux parce qu’il n’y avait pas la place et ils étaient à l’extérieur. Ils sont donc morts de froid. On revient à ce qu’on disait toute à l’heure : c’est-à-dire que s’il y avait des moyens plus importants, plus grands, mis en place par la marine militaire, les gens auraient pu être mis à l’intérieur, au chaud et ne seraient pas morts de froid.

Le Pape s’était rendu en personne à Lampedusa en juillet 2013. Il y avait un peu une attention du monde grâce à cette visite sur place. Aujourd’hui, où on est-on ? Est-ce que finalement les mots du Pape se sont perdus dans l’actualité ? Est-ce qu'on s’habitue doucement à l’enchaînement des drames dans la Méditerranée ?

En juillet 2013, le Pape avait parlé à Lampedusa de la globalisation de l’indifférence. Je pense que ce mot est très juste. En effet, un an et demi après, on voit que cette globalisation de l’indifférence est toujours là. On voit des drames qui s’enchaînent mais on ne voit pas beaucoup de réponses. Peut-être nos petits enfants, dans 30-40 ans vont lire dans les livres d’histoire qu’il y a eu dans les années 2000, 20.000-30.000 morts en mer. Ils vont se demander s'il y a eu une guerre dans la Méditerranée. 








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