2015-02-06 08:11:00

Le Golfe de Guinée sous la menace de la piraterie


(RV) Entretien - L’épicentre mondial de la piraterie maritime n’est plus à l’Est de l’Afrique. Les opérations militaires menées par les Etats-Unis, la Chine et certains pays de l’Union européenne ont permis une diminution substantielle du nombre des attaques recensées depuis 2010, dans l’Océan indien et à l’échelle mondiale. C’est vers l’Ouest de l’Afrique que se concentrent les inquiétudes, avec, à contre-courant de la tendance générale, une augmentation du nombre d’attaques dans le Golfe de Guinée, au-delà du seul delta du Niger.

Plusieurs exemples récents ont montré l’aggravation du phénomène. Un officier de marine grec a été tué et trois marins ont été pris en otage par des pirates qui ont attaqué un pétrolier mardi soir au large du Nigéria. Par ailleurs la marine togolaise a secouru dimanche 24 marins ghanéens et chinois dont l’embarcation avait été attaquée par des pirates dans les eaux internationales au large du Ghana.

Face à cette évolution, une coopération entre Etats traditionnellement antagonistes commence à émerger au sein de trois organes intergouvernementaux : la Cedeao (Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest), la Ceac (Communauté des Etats d’Afrique centrale) et la Commission du Golfe de Guinée. Un centre régional de coordination de la lutte contre la piraterie maritime vient d’être inauguré à Yaoundé, au Cameroun.

Michel Lutumbué, chercheur au Grip (Groupement de recherche et d’information sur la paix et la sécurité), explique à Cyprien Viet les évolutions en cours pour faire face à la piraterie en Afrique de l’Ouest.

 

Quelles sont les dernières évolutions en ce qui concerne la piraterie ? 
De manière globale, on a observé une baisse des actes de piraterie au niveau international, même une diminution de 40% entre 2011 et 2013. Cette baisse globale est liée à la baisse drastique des attaques en Golfe d’Aden. Au niveau mondial, on observe une tendance à la baisse dans le golfe d’Aden et par contraste, plutôt une augmentation dans le Golfe de Guinée. Un grand nombre d’attaques à l'origine n’était probablement pas documentée, car certains armateurs ont peur de voir augmenter les primes d’assurance. Mais de manière globale, l’épicentre se situe autour de la région du delta du Niger, dans le sud-est du Nigéria. La situation est plus contrastée. A la différence avec le Golfe d’Aden où la piraterie était structurée comme une véritable industrie de prise en otage des équipages contre rançon, dans le Golfe de Guinée, c’est essentiellement quelques biens de valeurs ou le pétrole brut qui est visé. La piraterie en Golfe de Guinée est directement adossée aussi à une véritable économie de détournement de pétrole, puisque le pétrole détourné au large des côtes du Nigéria se retrouve en contrebande, vendu dans les différents pays de la sous-région. Les prises en otage sont occasionnelles, lors de l’attaque de certains navires pétroliers et durent moins longtemps que dans le Golfe d’Aden.   

Il y a cinq ans, le gouvernement du Nigéria avait décrété une amnistie pour un certain nombre de militants impliqués dans ces prises d’otages. Est-ce que ça a été suivi d’effets positifs sur la stabilité de la région ou, au contraire, plutôt négatifs ?
L’amnistie proposée en 2009 a débouché sur la démobilisation de milliers d’activistes, essentiellement les leaders, contre un programme de réinsertion et de formation. Mais les résultats sont plutôt mitigés parce qu’il n’y a pas eu de réponses structurelles dans l’immédiat. La piraterie est essentiellement alimentée par une structure économique inégalitaire, justifiant l’orientation de toute une partie de la population dans des activités de contrebande ou d’activités illicites.

Evidemment, tout cela pose la question de la stabilité et du rôle des États d’Afrique de l’Ouest. Est-ce qu’ils coopèrent entre eux pour lutter contre la piraterie ou est-ce qu’au contraire, ils peuvent instrumentaliser certains groupes pour déstabiliser un voisin ? Quelle est la politique et la capacité des États à réagir par rapport à ce phénomène ?
La prise de conscience par rapport à la portée de la piraterie a varié dans le temps. Nous sommes seulement au début d’une approche régionale de la question de la piraterie. Il n’y a pas que les États comme acteurs à coordonner, il y a les organisations régionales : d'un côté la CEDEAO (Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest), la CEEAC (Communauté économique des États de l’Afrique centrale) et la Commission du Golfe de Guinée, ces structures n’intégrant pas exactement tous les mêmes États. Il faut donc de la cohérence au niveau de l’articulation des États de la région. On trouve des Etats francophones, anglophones. Il y a des méfiances historiques, parfois des tensions latentes, liées à des différends ou des délimitations des zones territoriales maritimes. Il y a donc un climat de méfiance parfois entre les États de la sous-région, et un cadre de coordination qui commence seulement à se mettre en place. Toute la côte a été divisée en zones opérationnelles dont les moyens et les politiques vont être affinés. 








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