(RV) Entretien- C’est une décision qui était attendue depuis longtemps : 35 ans après son assassinat, et à bientôt 2 ans du centenaire de sa naissance, Mgr Oscar Romero sera prochainement béatifié. Le Pape François a en effet signé ce mardi le décret reconnaissant le martyre de l’ancien archevêque de San Salvador, assassiné en 1980, en pleine messe. Mgr Oscar Romero, figure emblématique d’une Eglise persécutée parce que défenseur des pauvres, dénonçait avec force les injustices sociales, les assassinats et les violences commises impunément par les escadrons de la mort, lesquelles mettaient le pays en coupe réglée.
Cette décision du Pape François, fervent admirateur de Mgr Romero, met ainsi fin à des années de blocage ; un blocage essentiellement dû aux risques, craints par certains, de récupérations politiques de la figure de Mgr Romero et de son engagement.
La réaction du père Luc Lalire, prêtre du diocèse de Dijon et responsable du CEFAL, le pôle Amérique latine de la conférence des évêques de France. Il est interrogé par Manuella Affejee
Quelle est votre réaction après la publication du décret par le Pape François
?
Tout d’abord, c’est une heureuse surprise que vous m’apprenez. D’autre part, ce n'est
pas complètement une surprise dans la mesure où un travail s’était déjà établi depuis
quelques années de façon très active de la part de l’épiscopat salvadorien puisque
Mgr. Romero était l’archevêque de San Salvador à des moments dramatiques de son histoire,
en 1980. Aujourd’hui, ça veut dire que l’ensemble de l’épiscopat salvadorien est en
faveur et « derrière » cette canonisation.
Le processus de béatification de Mgr Romero a été au « point mort » pendant
des années. Quelles ont été les difficultés principales qu’à présenté ce dossier ?
C’est un assassinat à la fois politique et en même
temps religieux - on pourrait dire « en haine de la foi » - puisque Mgr. Romero célébrait
la messe alors qu’il avait demandé aux militaires la veille d’arrêter l’œuvre de mort.
J'oserai dire que c'est un procès qui est à la fois politique, sans doute, mais en
tout cas canonique aussi, dans la mesure où il s’agissait de le reconnaître réellement
comme martyr. Là était la vraie difficulté, pour des raisons politiques. Ensuite,
l’épiscopat salvadorien n’était pas très unanime, au départ, sur cette canonisation,
ou en tout cas cette reconnaissance du martyr de Mgr Romero, et il a fallu du temps
pour unifier cette unanimité dans l’épiscopat.
En 2007, le Pape Benoît XVI s’était rendu au Brésil. Il avait expliqué
qu’il était personnellement pour la béatification de Mgr Romero mais il avait soulevé
toutefois des risques d’instrumentalisation politique, des risques de récupération.
Pensez-vous qu’il y a toujours un risque de récupération ou bien ce danger est-il
dépassé ?
Ce qui est intéressant, c’est que Benoît XVI lui-même
se soit prononcé personnellement, en sachant les difficultés qui existaient, de fait,
pour des raisons politiques. Il faut savoir aussi que du temps a passé et je pense
à un évènement très important - la raison justement de la venue de Benoît XVI au Brésil
en 2007 : la V° conférence de la Conférence Épiscopale latino-américaine qui a donné
naissance aux documents d’Aparecida. Ce document d’Aparecida manifeste aujourd’hui
une certaine « pacification » des conflits fondamentaux de l’Église latino-américaine.
Il faut rappeler aussi que le document d’Aparecida a eu comme principal rédacteur,
comme président de la commission de rédaction, le cardinal Bergoglio, actuel Pape.
Voilà les évènements qui ont changé depuis bientôt dix ans.
Mgr Romero est une figure emblématique d’une Église persécutée parce qu’elle
est aux côtés des pauvres. Est-ce cela le message de sa béatification prochaine ?
Est-ce sur ce point que le Pape voudrait insister en autorisant la béatification de
Mgr Romero ?
D’une part, cela braque les regards sur l’Amérique
latine et cette période très difficile des années 80-90 qui a marqué non seulement
le Salvador, mais on peut aussi rappeler ce qui s’est passé au Guatemala, en Argentine
même, où un évêque a été assassiné et où on a mis du temps à le reconnaître, Mgr.
Angelelli. Je pense que ce sont tous ces éléments-là qui font qu’effectivement, il
y a eu une « prise de contact » de relations plus apaisées avec l’histoire récente
de l’Amérique Latine et de son Église.
C'est le Pape François, premier Pape latino-américain de l’Histoire, qui
va probablement béatifier Mgr Romero. Qu’évoque pour vous cet évènement prochain ?
Si je me permets une comparaison grammaticale, c’est
une « concordance des temps ». Comme une sorte de manifestation aux yeux de tous et
de toute l’Église, de ce qu’est l’Église latino-américaine : à savoir une Église très
importante dans son histoire, qui a connu de vraies difficultés, avec des martyrs
- récents - et beaucoup d’anonymes. D’autre part, cette Église est aussi donnée pour
toute l’Église universelle comme un témoignage de foi. J’oserai dire que cela accentue
encore plus sa responsabilité aujourd'hui puisqu’on la regarde avec davantage d’attention. C'est se
demander quel témoignage elle peut nous offrir aujourd’hui, avec les défis de ce monde,
à savoir la violence, la question de la drogue, la pauvreté, qui sont des défis énormes
que l’Amérique Latine connaît et que notre monde connaît en général.
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