(RV) Entretien - Au Yémen, la crise politique est majeure. Pourtant, mercredi soir, le président Abd Rabbo Mansour Hadi et les miliciens chiites ont conclu un accord de sortie de crise après plusieurs jours de violences meurtrières dans la capitale et la prise du palais présidentiel. Selon le texte, publié par l'agence de presse officielle Saba, les miliciens chiites se sont engagés à quitter le palais, où ils étaient entrés mardi et avaient saisi d'importantes quantité d'armes et équipement militaires, et à libérer le directeur de cabinet de M. Hadi, Ahmed Awad ben Moubarak, enlevé samedi. Plus tôt dans la journée, le Premier ministre Khaled Bahah avait pu quitter sa résidence après avoir négocié sa sortie. Il y était sequestré depuis deux jours par des miliciens houthistes.
Au-delà de Sanaa, la crise s’étend également au sud du pays. Les autorités ont fermé l'aéroport international et le port d'Aden pour dénoncer le « coup de force » des miliciens chiites. Une offensive qui était attendue depuis la progression des houthistes à Sanaa depuis le mois de septembre. Qui sont ces rebelles, quel est leur agenda ? La réponse de Franck Mermier, chercheur au CNRS et spécialiste du Yémen. Il répond à Olivier Bonnel :
Comment expliquer l'évolution de la situation au Yémen ?
Le coup d’État était déjà rampant depuis la prise de Sanaa le 21 septembre 2014. D’une
certaine façon, c’est l’achèvement d’un processus de prise de contrôle de l’État et
du pouvoir politique au Yémen et d’une marginalisation du président Hadi et aussi
la fin de la période de transition inaugurée par le début de sa présidence en 2012.
Cette transition devait s’achever en 2014. Il faut savoir qu’il y a eu un processus
de dialogue national, une conférence nationale. Les houthistes qui ont pris le pouvoir
depuis le 21 septembre sont en fait contre les résultats de ce dialogue national,
qui préconisait la création d’un État fédéral avec 6 provinces. Ils font aussi pression
sur le pouvoir au Yémen, sur la présidence, pour des revendications propres à leur
expansion territoriale. Il faut savoir qu’ils sont en train de se mobiliser pour attaquer
les provinces pétrolifères de Marib. Ils souhaitaient que l’armée leur vienne en aide
dans cette entreprise de conquête. C’est donc aussi pour toutes ces raisons qu’ils
faisaient pression sur le pouvoir et notamment sur le président Hadi.
Qu’en est-il de l’avenir du président Hadi aujourd’hui ?
Son avenir est très incertain. Déjà, on ne sait pas
où il se trouve, s’il est dans sa maison qui est encerclée, s’il est parti... On nie
qu'il soit arrivé à Aden parce qu'il faut savoir qu’il est originaire du Sud et que
les habitants du Sud sont très hostiles aux houthistes qui ont pris le pouvoir en
attaquant le palais présidentiel. Il est vrai qu’il a perdu tous ses alliés. Les houthistes
peuvent aussi compter sur la complicité de l’ex-président Saleh qui est contre l’actuel
président. Hadi a très peu de relais politique. Il ne peut surtout pas compter sur
le soutien des forces armées parce qu’on a vu que seule la garde présidentielle l’a
défendu. C’est un peu un président « démonétisé ». Peut-être qu’on conservera encore
cette façade pour éviter de la part des houthistes une guerre civile généralisée,
mais il est certain que ces derniers jours sont là.
Vous avez évoqué l’ancien président Saleh qui s’était accroché au pouvoir
avant de passer la main. Aujourd’hui, c’est un peu une revanche indirecte pour lui ?
Il a encore une force de nuisance si l’on peut dire ?
Il a une très grande force de nuisance. D'une part,
parce qu’il est toujours à Sanaa et d'autre part parce qu’il est toujours président
de son parti, qui compte de nombreux relais au sein des forces armées. Il faut savoir
que pendant ses plus de trente ans au pouvoir, il a installé aux postes clefs de l’appareil
sécuritaire des hommes-liges et notamment aussi des personnes de sa famille. Donc,
il a de nombreux relais au sein des forces de sécurité militaire, au sein des tribus. Il s’agit là d’une complicité objective entre l’ex-président
Saleh et les houthistes, pour se débarrasser finalement à la fois du président Hadi
mais aussi d’autres forces politiques tel que le parti islamiste Islah qui a été lui
aussi combattu par les houthistes, qui a été marginalisé, et dont un des représentants
militaires a été forcé de quitter le pays au mois de septembre. Donc on a là une conjoncture
où une nouvelle alliance est en train de se souder entre l’ex-président Saleh et les
houthistes mais il est certain que cette alliance est très fragile et que les houthistes
ne vont pas s’arrêter là. C’est d’ailleurs ce qu’a dit leur leader, Abdel Malek al-Houthi
lorsqu’il a dit que leur ambition était sans limite.
Le leader houthiste Abdel Malek al-Houthi s’est exprimé ce mardi dans un
discours. Qu’est-ce qu’il faut retenir de leurs ambitions ? Il a évoqué une feuille
de route, une cohésion nationale, un rassemblement de tous les Yéménites. Il a surtout
aussi dit que les ingérences de la communauté internationale et de l’ONU n’avaient
rien à faire là-dedans. On sait que le même jour, il y a eu une réunion de crise à
New York qui a condamné les violences et la prise de force. Quelle est la solution
et qu’est-ce que vous voyez dans les déclarations de Al-Houthi ?
Abdel Malek al-Houthi se porte en garant et en protecteur
de l’unité nationale. Il faut savoir que l'unité du Yémen date seulement de 1990 et
qu’aujourd’hui, on a un fort courant séparatiste dans les provinces du Sud qui veulent
la restitution de l’ex-Etat du Sud-Yémen. Adbel Malek al-Houthi était contre la Constitution
qui allait être établie au Yémen et qui posait le principe de l’État fédéral avec
une division en 6 provinces. Dans le même temps, il peut aussi, en défiant les sudistes
(si on peut dire puisqu’il est contre une autonomie du Sud) accroître leur rancœur.
On voit déjà des signes de mobilisation, militaire même, dans les provinces du Sud
contre une éventuelle avancée des houthistes. D’autre part, il défie aussi d’une certaine
façon la communauté internationale mais surtout les pays du Golfe qui ont parrainé
cette initiative de transition du pouvoir au Yémen en novembre 2011 lorsque l’ex-président
Saleh a renoncé au pouvoir. Il ne pourra donc certainement compter que sur l’appui
de l’Iran dans cette aventure. Dans le même temps, il est en train de voir se dresser
contre lui de nombreux ennemis, à la fois les pays riverains, la communauté internationale
et puis, au sein même du pays, de nombreuses régions qui n’acceptent pas la main mise
du pouvoir par les houthistes qui, il faut le rappeler, viennent du Nord du pays.
Ils sont donc ancrés régionalement et suscitent de l’hostilité de la part d’autres
acteurs politiques au Yémen.
Un mot sur l’AQPA, Al-Qaïda dans la péninsule arabique, très présente au
Yémen et qui est en embuscade : est-ce que cette prise de contrôle par les rebelles
houthistes ne risque pas, pour l’AQPA, d’être le prétexte à une guerre confessionnelle ?
AQPA était déjà en lutte contre les houthistes. Ce
sont deux ennemis mortels. L’avancée des rebelles houthistes renforcent d’une certaine
façon AQPA qui se pose aussi en défenseur de certaines régions attaquées par les houthistes.
On a vu récemment de nombreux attentats commis par AQPA, notamment par voiture piégée
au sein de Sanaa, la capitale. AQPA contrôle déjà plusieurs régions dans le Hadramaout,
à l’Est, dans le centre du pays autour de Rada, et ils peuvent s’allier avec des tribus
pour combattre l’avancée des houthistes. Donc d’une certaine façon, on peut craindre
effectivement, le renforcement d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique par ce coup de
force militaire des houthistes.
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