2015-01-16 15:17:00

Tacloban après Haiyan : l'espérance reprend ses droits


(RV) Témoignage- Un déplacement du pape aux Philippines était envisagé en 2016, à l’occasion du Congrès eucharistique mondial qui sera organisé à Cebu, mais François a anticipé sa venue. Répondant à l’appel de l’évêque de Palo, le diocèse le plus touché par le Typhon Hayan, François souhaite réconforter les 15 millions de sinistrés  par sa présence. Samedi 17 janvier, il se rendra sur place, présidera une messe à Tacloban, déjeunera avec une trentaine de victimes et rencontrera le clergé, lui aussi durement frappé par la catastrophe naturelle...

Il y a un peu plus d’un an, 7 300 personnes étaient tuées, 500 000 maisons détruites... Sœur Sophie a tout vu de ses yeux. Aux Philippines depuis 17 ans, la fondatrice d'ACAY, une mission dédiée aux jeunes en difficulté de Manille (filles de la rue, et mineurs sortant de prison), s’est rendue au plus vite sur place 14 membres de son équipe, pour écouter les victimes de deux centres d’évacuation,(en partenariat avec le département des Affaires sociales Philippines) et d’un village qui avait perdu un tiers de sa population, le village de Santa Cruz, en bord de mer.

Elle décrit à Marie Duhamel ce qu’elle y a découvert :

C’est la première fois que je voyais un tel désastre. Honnêtement, j’avais écouté beaucoup d’horreurs pendant 17 ans dans le cœur de nos jeunes, j’avais écouté, comme j’aime à dire, beaucoup de « yolandas » intérieurs. Mais là, c’était un drame sans précédant parce que tout était vraiment dévasté, dans tous les sens, surtout dans la région de Tanauan, là où il y a le village de Santa Cruz. Tout était vraiment réduit à néant. Au niveau de notre équipe, nous étions tous sans voix. Dans mon équipe, j’ai bien vu que cela a réveillé beaucoup d’insécurité, de souffrances et de craintes. Donc, nous avons commencé à parler avec la maire du village, à découvrir la situation et nous mettre à l’écoute des gens. D’un côté, il y avait les enfants avec lesquels nous faisions d’abord des dessins et ensuite, les enfants racontaient leurs dessins. Et puis, les adolescents avec lesquels nous avions un entretien, une introduction plus générale. Pour certains, c’était en groupe et pour d’autres, c’était plus personnel. Le mot est passé de maisonnée en maisonnée (si on peut dire cela car il ne restait plus grand-chose) ou plutôt de tente en tente qu’il y avait des personnes qui venaient écouter. C’est vrai qu’un mois après le drame, les gens avaient besoin de parler. Donc, de plus en plus de jeunes venaient par eux-mêmes nous demandant de pouvoir parler et de partager leur souffrance. D’un autre côté, il y avait tous les parents qui étaient aussi désemparés face à cette situation où tout était à recommencer. C’est vrai que même moi, personnellement devant un tel désastre je me disais que cette force intérieure qu’il faut avoir pour repartir de zéro, pour tout recommencer est héroïque. J’avoue que nous étions tous admiratifs d’un tel courage et en même temps, nous partagions leur souffrance. Ils étaient dans une telle détresse.

Est-ce qu’écouter, ça veut dire aussi conseiller, prendre par la main et agir ?

Dans un premier temps, il nous avait été demandé simplement d’écouter et de laisser parler. C’est ce que nous avons fait. Moi, de mon côté, je ne pouvais pas simplement les laisser parler et raconter ces histoires et puis en rester là parce qu’on ouvrait une plaie. Il fallait aussi trouver un moyen, quelque part, de refermer cette plaie. J’ai un petit peu essayé de trouver une solution. Ce que je faisais, c’est que je demandais aux enfants, une fois qu’ils avaient dessiné, qu’ils avaient raconté leur vécu du typhon avec tout ce que cela supposait de sentiments, de prendre le dessin et de l’écraser dans leurs mains, de le déchirer . Ensuite, ils amenaient cette boule de papier dans laquelle ils avaient mis tout ce qu’il avait de peur, de colère, d’angoisse auprès de l’icône comme pour donner, pour dire au Christ : « Voilà, maintenant, c’est à toi ! ».

Dans un premier temps, nous avons écouté. Nous sommes revenus un mois plus tard, au mois de janvier pour faire davantage un état des lieux du village. Nous étions décidés de vraiment adopter ce village. Pendant une semaine, nous sommes allés dans toutes les familles du village avec un questionnaire pour arriver à mettre en place des projets d’aide, comme par exemple les bicycles.

Avec nos partenaires, nous avons acheté des bicycles, des petits tricycles où les gens pouvaient gagner de l’argent et puis retrouver vite un travail. C’est un projet générateur de revenus.

Nous avons aussi acheté un van pour la maire du village. Nous avons rencontré des difficultés au mois de janvier. Il y a eu l’annonce d’un nouveau typhon. Les habitants paniquaient, ils n’avaient plus de voiture. Nous avons acheté un van pour qu’ils puissent évacuer les gens plus rapidement. Par ailleurs, cela donnait la possibilité aux gens malades de vite se rendre aux hôpitaux ou à la rencontre des médecins.

Nous avons aussi acheté cinquante cochons parce que c’est vrai qu’aux Philippines, le cochon est une source de revenus. C’était des femelles pour qu’elles puissent avoir des petits. Nous avons en même temps mis en place une stratégie. Tous ceux qui auraient plus de cinq cochons devaient donner et partager leur surplus avec d’autres personnes. C’est la maire du village qui avait la responsabilité de cela. Et puis, elles partagent non seulement avec les familles qui n’auraient pas eu de l’aide mais aussi avec des personnes des villages voisins, tout particulièrement ceux dont les responsables sont des « ennemis politiques ». Malheureusement, pendant le temps du typhon, dès que vous n’étiez pas un ami politique du maire de Tacloban et du maire des villes avoisinantes, vous n’aviez pas beaucoup de dons par rapport à d’autres villages. Donc, nous avons voulu enrayer cette mentalité-là. Le partage de ces petits cochons, ce serait pour les ennemis politiques, pour que des ponts puissent se créer et enrayer cette mentalité qui dit « si tu es de mon camp, je partage avec toi. Si tu ne l’es pas, tu n’auras rien ».

Actuellement, nous sommes en train de construire un bâtiment. Nous avons acheté un terrain sur place et un bâtiment pour les cas de détresse, en cas de nouvelles intempéries. Et en même temps, ce sera un centre de formation puisque depuis maintenant un an, nous avons développé beaucoup de formations comme nous le faisons ici à Manille, dans notre mission. Nous partageons ces formations pour les villages, les enfants, les adolescents, les parents.

Quelle réaction ont eu les populations sur place ? On imagine qu’ils vous doivent beaucoup. Est-ce que c’est de la reconnaissance ? Est-ce que ça se limite au partage et peut-être à la joie de reconstruire ensemble ?  

Nous avons adopté le village mais eux nous ont aussi adoptés. Ca a été vraiment mutuel. Ils ont très vite compris que notre approche n’était pas une approche ponctuelle. On n’était pas en train de donner quelque chose et puis de repartir. Nous leur avons dit que nous nous installions dans le temps. Nous avons pris la décision d’adopter ce village. C’est vrai que cela fait partie intégrante de notre mission, ici, aux Philippines. Donc, ils nous ont revus régulièrement et c’est plus que de la reconnaissance. A un certain moment, nous avons eu tout un séminaire des familles et un temps de prière le vendredi soir. Tout le village, plus de 400 personnes étaient rassemblées pour un temps de prière. A la fin de ce temps de prière, la maire du village exultait de joie et de reconnaissance du fait de voir que son village était rassemblé pour la première fois et autour de Dieu, autour de ce temps de prière. Elle disait « On en arrive presque à remercier le typhon Yolanda ».  Même si cela peut paraitre scandaleux, en disant cela, je sais que chez elle, c’était aussi une telle reconnaissance qui débordait, non pas pour les dons qu’on a fait mais pour la présence constante que l’on apporte et le soutien, la consolation à laquelle ils ont pu goûter. Au fils des mois, elle voit bien que les jeunes évoluent.  Au sein de « l’école de ville », notre programme à Manille, nous avons accueilli trois jeunes filles. Et ce sont ces trois jeunes filles qui vont prier pendant la rencontre du Pape avec les familles. Donc, elles représenteront toute la présence de Tacloban, ici, à Manille.

Cette venue du Pape à Tacloban, à Palo, c’est probablement pour délivrer une parole de consolation. Est-ce que c’est important pour toutes ces personnes que vous avez vous-mêmes avez côtoyées ?

Oui, bien sûr que c’est important. C’est une immense consolation d’autant plus qu’il y a un mois, ils ont dû subir une nouvelle angoisse de voir arriver un nouveau typhon. Je pense que c’est comme tout enfant. Lorsque le père ou la mère arrive, il y a comme un sentiment de sécurité qui se réinstalle intérieurement. Je pense qu’ils en ont besoin. Ils ont besoin de sentir le Père à leurs côtés parce qu’ils seront sujets à bien d’autres typhons. De sentir la présence du Pape sera une consolation sans nom. C’est une grande joie. C’est vrai que nous ne pourrons pas être là-bas. Notre évêque nous a offert des places pour que nous puissions être auprès du Pape, ici, pour la rencontre avec les familles et pour la dernière messe. Mais je pense qu’ils seront parmi la foule pour accueillir le Pape. 

 

Pour plus d’informations sur le travail d’ACAY,  pour leur faire un don,  RDV sur le site : www.acaymission.com. Il est également possible de leur envoyer un mail à cette adresse : info@acaymission.com.








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