2015-01-05 17:03:00

Le cardinal Tagle évoque le voyage du Pape aux Philippines


(RV) Entretien - À 10 jours de la visite du Pape François aux Philippines, pays le plus catholique d'Asie, le cardinal Luis Antonio Tagle, archevêque de Manille, a répondu aux questions de Sean-Patrick Lovett, responsable du service anglophone de Radio-Vatican.

Cardinal Tagle, archevêque de Manille, vous êtes en train de préparer activement la visite du Pape François aux Philippines, la quatrième visite d'un Pape dans votre pays.

Oui ce sera la quatrième fois. La première fois c'était en 1970 avec le Bienheureux Paul VI, ensuite Jean-Paul II est venu en 1981 puis il est revenu en 1995 pour les JMJ. Et c'est donc maintenant, la quatrième fois, avec le Pape François.

45 ans se sont écoulés depuis la visite de Paul VI, et 20 ans depuis la dernière visite de Jean-Paul II. En 1970, il y avait un jeune homme de 13 ans relevant sa tête au-dessus de la foule en essayant d'apercevoir l'homme en blanc. Quels sont vos souvenirs de cette visite de Paul VI?

Les Philippines se remettaient tout juste d’un typhon, et ma mémoire est encore pleine d’arbres qui avaient été émondés, sans plus aucune feuille, des rues qui avaient été nettoyées rapidement pour la venue du Pape, des rues qui avaient été repavées… Donc, tout comme pour la visite du Pape François, les Philippines avaient été ravagées par un typhon. Et les gens étaient enthousiastes. Ils ont reçu Paul VI comme une grâce du Paradis. Et Paul VI assura qu’il venait pour les pauvres aussi : il a visité des familles pauvres dans le quartier de Tondo à Manille, connu pour être l’un des plus pauvres de l’aire métropolitaine. Et ils se souviennent encore de cette visite. Quand je suis venu dans cette paroisse, le curé et les responsables m’ont montré où se situait la maison que Paul VI avait visité. Quand le Pape effectue une visite, la mémoire, les images et les effets de visite sont encore là 45 ans plus tard.

Il y a des liens claires entre ces visites pontificales : le thème de la miséricorde et de la compassion passe  à travers chacune d’entre elles. Donc il y a une magnifique continuité.

Oui, c’est cela. Nous devons rappeler aux gens que quand Paul VI est venu en 1970, les évêques d’Asie venaient le rencontrer. Et ici à Manille, avec les encouragements de Paul VI, la Fédération des évêques d’Asie est née. C’était le début. Le Pape a aussi inauguré Radio Veritas Asia, donc, en 1970, l’évangélisation pouvait passer à travers la radio. Ce sont des choses qui demeurent. D’une certaine façon, nous considérons sa visite comme la réception asiatique de Vatican II, avec la figure du Pape nous appelant au dialogue, et le document Ecclesiam Suam. Trois ans plus tard, à Taipei, en 1974, la première assemblée plénière de la Fédération des Conférences épiscopales d’Asie s’est tenue sur le thème « l’évangélisation dans l’Asie moderne ». Et en accord avec Paul VI, le chemin pour évangéliser était à travers le dialogue. Donc ces évènements sont vraiment reliés.

Et vous avez un lien particulier avec Paul VI, n’est-ce pas?

Oui, en commençant avec ce jeune garçon de 13 ans qui était juste curieux à propos de ce qu’est un Pape. Ensuite, j’ai été envoyé par mon diocèse, mon évêque, pour faire des études en ecclésiologie, spécialement Vatican II, à Washington à la Catholic University of America. J’ai discuté le programme d’études avec mes professeurs, le cardinal Avery Dulles et le père Komonchek, et je leur ai dit que ma raison de venir était d’étudier l’Église et Vatican II. Ils m’ont dit que de nombreux travaux avaient déjà été publiés sur le sujet. Donc ils m’ont dit qu’ils allaient chercher à trouver une porte pour me faire entrer dans Vatican II et l’ecclésiologie, mais une porte qui est rarement utilisée. Et un jour, ils m’ont dit : pourquoi vous n’étudiez pas Paul VI ?

Est-ce qu’il avait aussi une vocation, dans ce jeune garcon de 13 ans?

Non, pas clairement. A cette époque, cependant, nous apprenions comment prier et lire la Parole de Dieu, donc, dans un sens, j’étais déjà en train de méditer et de prier la lectio divina, bien que je ne connaissais pas cela. Je me rappelle comment la visite du Pape a créé et évoqué en moi une expérience religieuse. Un professeur qui nous avons fait écrire quelques journaux m’a dit plus tard : c’est comme si vous aviez une expérience religieuse avec cette visite du Pape. Je ne savais pas, je ne comprenais pas, ce qu’était une expérience religieuse. En travaillant sur Vatican II et à travers Paul VI, j’étais capable de comprendre. Quand il est venu aux Philippines je ne savais toujours pas, je ne réalisais pas que j’allais devoir faire un voyage hors de moi-même. J’allais devoir voyager dans son cœur, dans son esprit.

Peu de gens font des liens entre Paul VI et le Pape François. Vous, vous en faites ?

Oh oui, j’en fait ! Quand les gens disent, que ce soit positivement ou négativement : “Le Pape François est en train de faire une revolution, il est en train de dialoguer, d’embrasser les pauvres”, je répond que j’ai déjà vu cela en Paul VI, avec sa propre manière de faire, sa propre personnalité. Cette intuition, ce regard que le Pape François à l’air de refaire, je l’ai constaté dans toutes mes études et ma rencontre avec Paul VI là-bas aux Philippines. Les gestes symboliques de Paul VI semblent avoir pavé la voie pour le Pape François.

Le Pape François a dit qu’il venait pour apporter un message de compassion aux pauvres, aux victimes du typhon et du tremblement de terre et il veut leur donner une place privilégiées dans ses meetings publics. Il est aussi question d’économiser l’argent.

Ouis cela a été un marqueur de ses visites papales. C’était pareil en Corée. Les évêques coréens nous ont dit, à nous les Philippins qui étaient en Corée pour la visite, que le Pape ne serait pas content s’il voyait des préparations ostentatoires. Même le plan de l’autel devait parler de la sobriété qui est la marque de ce Pape, de sa simplicité.

Les habitants des Philippines sont très généreux dans l’expression de leur affection. Est-ce que cela a été difficile de les retenir ?

Dans un sens, oui. Mais ensuite nous avons expliqué aux gens, pas seulement les désirs du Pape, mais les signes des temps. Nous ne voulons pas causer du scandale. Chacun peut trouver une excuse pour lui donner un accueil fastueux, après tout, c’est le Pape. Cependant, nous devons être attentifs de tous ceux que nous avons besoin d’accueillir dans notre milieu sur une base quotidienne : les pauvres et les affamés. Donc toutes les économies que nous faisons pour le voyage pontifical, ira à la charité, aux pauvres. Et le Pape est très clair à propos de tout cela.

Il y a eu beaucoup d’attention mondiale sur les Philippines après le typhon, mais vous avez souvent parlé des typhons quotidiens qui affectent les Philippines.

Oui, nous avons l’habitude d’avoir des typhons, en moyenne de 20 à 22 par an. Nous avons l’habitude des séismes, de différentes magnitudes. Ils attirent l’attention du monde en raison de l’étendue de la dévastation. Mais comme je l’ai dit à de nombreuses occasions, nous ne devrions pas oublier les typhons de tous les jours, les seismes quotidiens causés par la pauvreté, la corruption, les business indécents et les pratiques malhonnêtes. Même quand le soleil brille, l’obscurité arrive encore dans la vie de tellement de gens.

Même durant le Synode des évêques sur la Famille, je rappelais aux gens dans les petits groupes que pour nous, en Asie, la pauvreté n’est pas quelque chose d’extérieur à la famille. Elle coupe à travers le cœur, le tissu de la famille. Quand j’ai visité un refuge pour les enfants et les adolescents qui sont attrappés en vagabondant dans la rues la nuit, j’ai réalisé que les parents tolèrent cela quand ils savent qu’il y a des agences gouvernementales qui peuvent y prendre leurs enfants et les nourrir dans les refuges. Ce ne sont pas des parents qui négligent leurs enfants. Ce sont des parents qui n’ont rien pour nourrir leurs enfants. Donc ils disent : Pourquoi ne sortez-vous pas et quand la police vous emmène au refuge, allez avec eux. Vous serez en sécurité là pour la nuit. Vous aurez un toit et de la nourriture pour la nuit.

Le Pape François a dit qu’il veut que l’attention ne soit pas focalisée sur lui, mais sur Jésus dans les visages des pauvres. Quelles sont les autres lignes de conduite qu’il vous a donné pour cette visite ?

Comment dire… Il ne veut pas perdre du temps sur des choses qui pourraient le distraire de sa mission, du cœur de sa mission qui est vraiment de rencontrer les pauvres et d’écouter les pauvres. Durant les visites pontificales, beaucoup de gens demandent : "est-ce que nous pouvons passer une minute avec le Pape ? Est-ce qu’on doit lui offrir ceci ou cela ?" Ce sont des bonnes choses, mais quand vous avez seulement trois jours, vous devez choisir.

Et il doit aussi conserver son énergie. Ces longs vols, ce changement de climat, d’heure, de nourriture, etc, cela peut épuiser une personne qui a dépassé les 78 ans et qui doit se concentrer sur sa mission. Donc nous allons l’aider à se concentrer. Une chose que nous préparons attentivement concerne ses rencontres avec les familles et avec les jeunes à Manille. Mais même dans ces rencontres il va écouter des histoires de familles en difficulté, ceux qui ont souffert différents typhons dans la vie, et il va écouter les jeunes. Il y a un type de typhon, comme le l’ai dit, qui n’arrive pas seulement dans un endroit, qui arrive partout. Le Pape va les écouter et leur donner un mot de réconfort. Mais j’espère plus : j’espère que lui, le Pape, sera renforcé dans sa propre foi par ces pauvres gens.

Est-ce que c’est l’un des plus grands défis pour vous, en tant qu’archevêque de Manille, d’organiser quelque chose d’aussi complexe que cette visite ?

Cela ramène vraiment les gens ensemble. Nous avons rassemblé une magnifique équipe venant du gouvernement, du monde économique, de l’Eglise. C’est déjà un fruit de la visite papale. Le Pasteur universel crée un sens de la famille. Et je suis très heureux. Je suis sûr que même après la visite, ce sens de la communion, du travail collaboratif, va continuer. Je veux soutenir cette collaboration.

Qu’est-ce qui va caractériser cette visite, selon vous ?

Des rencontres avec beaucoup de souffrance. Mais le message chrétien ne s’arrête pas avec la souffrance, Il y a toujours une Résurrection. Et j’espère que le Saint-Père va voir cela à travers ceux qui ont souffert et continuent à souffrir.

 

 








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