2014-12-16 17:07:00

Climat : Nicolas Hulot de nouveau au Vatican en vue de Paris 2015


(RV) Entretien - Nicolas Hulot, l'envoyé spécial du président français pour la protection de la planète, était ce mardi au Vatican, pour sa troisième visite en treize mois. Il a notamment rencontré le cardinal secrétaire d'Etat Pietro Parolin, Mgr Vincenzo Paglia, président du Conseil Pontifical pour la Famille, ainsi que des membres du Conseil Pontifical Justice et Paix.

Alors que se profile la conférence sur le climat à Paris en décembre 2015 (COP 21), l'ancien animateur vedette s'est donné pour mission de convaincre le maximum d'Etats et d'organisations que la question climatique n'est pas un enjeu parmi d'autres, mais un enjeu qui conditionne tous les autres. « Il faut ramener l'humanité à la raison et à l'audace » exhorte Nicolas Hulot. Pour répondre à cette ambition, il estime que les différentes responsables religieux peuvent être des alliés. C'est ce qu'il explique au micro de Jean-Baptiste Cocagne (retranscription intégrale en fin d'article) :

 

Nicolas Hulot a notamment trouvé un écho particulier dans les discours et prises de position du Pape François. La publication au printemps 2015 d'une encyclique sur l'écologie humaine a été confirmée par le Vatican. Par ailleurs, le Pape François est également attendu en France en 2015 pour un voyage apostolique, quelques semaines avant la conférence de Paris sur le climat. A ce propos, Nicolas Hulot rêve à voix haute que le Saint-Père se rende au Mont Saint-Michel pour y prononcer un discours sur la question écologique. Ce lieu, « inhabituel et universellement connu » représente à ses yeux « un trait d'union entre nature et culture ». Ce qui serait un formidable symbole selon lui.

Depuis deux ans, Nicolas Hulot a constaté la mobilisation des différentes Eglises sur la prise de conscience écologique qui, auparavant, « n'étaient pas audibles. Je vois aujourd'hui l'Eglise catholique monter en puissance sur la question ». En témoigne le nombre de publications sur le sujet, de plus en plus nourries. Les autres Eglises chrétiennes sont également saluées par Nicolas Hulot, comme les prises de position du patriarche orthodoxe Bartholomée.

« Il faut une étincelle pour changer de mentalité »

L'envoyé spécial de François Hollande espère que les responsables religieux pourront incarner cette « étincelle de raison et de sagesse » contre la tentation du fatalisme et de la résignation : « l'humanité est prête à agir mais hésite encore sur l'intensité des efforts à produire ». Comme l'a montré le semi-échec de la conférence de Lima, la clé d'un nouvel accord mondial réside dans le dépassement des intérêts nationaux, ce qui, par définition, est le cas des grandes religions. Pour Nicolas Hulot, « l'humanité sera obligée de se réunir. Pour paraphraser Martin Luther King, "nous sommes condamnés à agir ensemble, sinon nous souffrirons ensemble comme des imbéciles" ». 

 

Retranscription de l'interview :

Nicolas Hulot : Je m’aperçois avec plaisir que franchement, l’Église catholique est maintenant audible, mobilisée sur l’enjeu climatique, se met en ordre de marche. D’abord dans la communication, dans l’expression, mais également dans la publication d’un certain nombre de documents. La publication confirmée d’une encyclique est pour moi un texte très important si on veut accentuer et, quelque part, préciser cette mobilisation. Lors de ma première visite au Vatican, j’avais exprimé ce souhait. Compte tenu que l’humanité va se réunir en 2015 à Paris pour « décider de son sort » et compte tenu des difficultés qu’on a à mettre en œuvre, des engagements, des objectifs et des moyens pour que l’humanité se sauve, il faut avoir un point de vue universel. Décider à 195, c’est difficile parce que chacun a son propre point de vue. Qui mieux que le Saint-Père peut aider à cette vision universelle ? Le Pape viendra en France en 2015. L’idée que le Saint-Père puisse faire un déplacement consacré, centré, sur l’enjeu climatique au moment où les choses vont se déterminer dans un sens ou dans un autre est évidemment, pour moi, une idée importante pour exhorter les responsables politiques à écrire l’histoire dans le bon sens et à ne pas la subir. Si ce voyage n’est pas une coïncidence, il est bien de le relier à ce grand rendez-vous de la communauté Internationale à Paris. Le Saint-Père, qui affirme déjà au quotidien ses convictions, ses inquiétudes et ses espoirs sur ces sujets-là, va profiter de son voyage en France pourrait sacraliser, quelque part, l’enjeu de la Conférence de Paris. A Lima, on a vu une montée des nationalismes, des égoïsmes. En tout cas, on n’a pas encore vaincu les arguments, les préjugés et les rancœurs.

 

RV : Il faut donc encore une prise de conscience écologique, qui n’est toujours pas là. Pourquoi ?

N.H. : Parce que culturellement, chaque État, dans la manière où les relations entre États s’établissent depuis de nombreuses années, raisonne dans le périmètre de ses propres intérêts, de ses propres prérogatives, de ses propres responsabilités en pensant que ses citoyens pourront échapper à l’effort, échapper aux conséquences. Tout le monde n’a pas conscience que nous serons tous gagnants ou tous perdants. Et puis, parce que c’est vrai que la responsabilité de ces phénomènes, quand on regarde l’histoire, n’est pas la même pour tout le monde. Les pays industriels ont une responsabilité historique plus importante. Ce sont eux qui ont saturé l’atmosphère de gaz à effet de serre. Donc, quelque part, même s’ils ne l’ont pas fait intentionnellement, ils sont responsables de cette situation. Est-ce que ça exonère pour autant d’un effort ceux qui, maintenant, aspirent à se développer ? Est-ce que le fait d’amplifier le phénomène est acceptable ? La réponse est non ! Donc il faut une notion de responsabilité partagée mais différenciée. Mais quelque part, il faut que chacun prenne sa part de contribution. Je crois qu’on n’a pas bien pris la mesure de ce que la menace climatique génère comme chaîne d’impact et que c’est un facteur multi-aggravant dans tout. Ça baisse les rendements agricoles, ça accroìt la désertification, ça déclenche des évènements climatiques de plus en plus impactants et une autre conséquence : chaque année, à cause des évènements climatiques, vous avez en moyenne 27 millions de personnes qui sont obligées de quitter leur territoire. C’est trois fois plus que pour les conflits. Rien que pour l’année 2010, ça représente 40 millions de personnes. Selon les projections, si on laisse les phénomènes climatiques se développer, en milieu de siècle, ce seront 250 millions de personnes qui devront quitter leur territoire. Pas simplement parce qu’ils sont attirés vers un monde meilleur mais parce que chez eux, ça ne sera plus vivable. La désertification accélérée par le changement climatique va apporter aux portes de l’Europe, entre 2000 et 2020, 60 millions de personnes. Je ne dis pas cela pour effrayer, c’est simplement pour comprendre qu’on ne pourra pas toujours construire des murs et que l’histoire est en train de s’inscrire maintenant. Les catastrophes de demain, les tragédies de demain, sont en train de se décider maintenant !

 

RV : En quoi l’Église catholique peut avoir sa responsabilité dans la prise de conscience écologique ?

N.H. : Elle peut porter la dimension universelle, la responsabilité universelle, l’enjeu universel et rappeler surtout que c’est un enjeu de solidarité dans le temps, parce que les victimes sont déjà les plus vulnérables ; et solidarité dans l’espace parce que quelque part, on est en train de sacrifier l’avenir de nos enfants. Il y a aussi une crise de civilisation et l’Église peut probablement porter cette analyse, cette critique, ce regard. Nous avons élaboré au fil du temps un modèle économique qui est un modèle qui épuise, qui détruit, qui concentre les richesses, qui pille, qui spolie. C’est important aussi, pas forcément pour s’en culpabiliser, de comprendre que ce modèle n’est plus tenable.








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