2014-12-08 19:25:00

Le Cardinal Barbarin revient sur son voyage en Irak


(RV) Entretien Ce fut une visite intense que celle menée auprès des réfugiés chrétiens du Kurdistan irakien par une soixantaine de pèlerins du diocèse de Lyon, emmenés par le cardinal Philippe Barbarin. Ce dernier, dans l’avion qui le ramenait dimanche soir vers la France, livre au micro de Cyprien Viet ses impressions au terme de ces deux jours de rencontres avec les réfugiés, de messes et de procession. Le Cardinal Barbarin aborde la question de la présence de djihadistes français parmi les djihadistes qui ont chassé les chrétiens de la plaine de Ninive. Alors que Lyon accueille les traditionnelles festivités de l'Immaculée conception, il évoque aussi la « Fête des Lumières » qui a réuni entre 5000 et 10 000 personnes samedi soir dans les rues d'Erbil afin de symboliser le jumelage entre Lyon et Mossoul :

Au terme de ce pèlerinage mené à Erbil auprès des réfugiés, le patriarche de Babylone des Chaldéens, Mgr Louis Sako, évoque au micro de Cyprien Viet sa joie d'avoir reçu un soutien réconfortant dans cette période de persécutions pour les chrétiens d'Irak.

Texte intégral de l'entretien avec le Cardinal Barbarin :

Ceux qui sont sortis, ce ne sont pas seulement les chrétiens, beaucoup de musulmans marchaient avec nous. Le fait de recevoir une autre visite et de proposer un acte qui soit un acte religieux a été posé bien sur par tous les chaldéens qui sont très contents. Ils savaient bien que c’était eux que nous venions visiter mais beaucoup de musulmans sont venus aussi et ils ont été très touchés par cette démarche. De fait, les chrétiens font des processions mais ils voyaient qu’il y avait quelque chose de spécial. On avait apporté dix milles petites bougies, ce qui donne l’idée qu’il y avait énormément de monde parce que justement, à la fin, il ne restait plus une seule de ces bougies. Ensuite, on a chanté l’Ave Maria de Lourdes. Ils chantaient en arabe et nous chantions en français. Donc, ça faisait un point de rencontre. Et puis, il y avait cette statue. Tout s’est terminé là. C’est là que nous avons entendu le message du Pape François. Et là, il y avait quelque chose de touchant. Je trouve qu’on a reçu tellement d’images violentes et horribles à propos de l’Irak que là, on a reçu une image de fraternité, de lumière et puis, de foi. Ce que j’admire le plus, ce pourquoi le Pape les a remerciés, c’est le fait qu’ils sont restés fidèles. Et donc, malgré les persécutions, aucun n’a renié le Christ. On leur avait dit : Ou bien, vous devenez musulman ou bien, vous prenez le statut de Dhimmi qui est une forme d’esclavage, ou bien vous partez ou bien, on vous tue. Ils sont tous partis. Donc, c’était une marque de fidélité au Christ. Bien sûr, ils ont maintenant les contrecoups parce qu’ils n’ont plus de maison, de travail et leurs enfants ne vont plus à l’école. Donc, on a le strict minimum : un endroit pour s’abriter du froid, de la pluie, etc. On a à manger et pour s’habiller mais il serait grand temps de vérifier qu’il y a bien tout ce qui est nécessaire du point de vue médical, sanitaire et puis, qu’on puisse remettre les enfants à l’école, c’est-à-dire qu’on puisse bâtir des écoles. Les professeurs sont là, continuent d’être payé par l’État à Bagdad mais les enfants, pour l’instant, ne vont pas à l’école parce qu’il n’y a pas de hangar pour les recevoir, il n’y a pas de classe. Il n’y a aucun matériel scolaire. Et puis, bien sûr, que tout le monde puisse retrouver un travail. Il y a beaucoup de vie à Erbil, beaucoup de travail. Ce qui est très beau aussi, c’est de voir toutes les associations qui viennent d’Europe et qui ne viennent pas avec du matériel. Ils viennent et ils font travailler les gens sur place selon leur métier d’avant. C’est quelque chose d’assez beau, bien sûr !

 

Il y a une question très douloureuse qui suscite beaucoup d’incompréhensions en France : c’est le fait que ce ne sont pas des Irakiens qui attaquent les réfugiés mais ce sont souvent des gens venus d’autre pays et parmi eux, beaucoup d’européens, beaucoup de Français. En tant que pasteur, en tant que prêtre, qu’est-ce que ça vous inspire et qu’est-ce que ça vous fait de voir autant de jeunes dont les âmes semblent perdues, séduites par des idéologies extrémistes ?

 

C’est une violence extraordinaire, extrême. C’est un peu comme un vent de folie qui souffle. Je pense à ces familles françaises dont un des enfants est parti, même des familles entières qui sont parties. Vous voyez comme c’est douloureux pour leurs proches. Parfois, on n’avait rien vu venir, comme ils disent. Et puis, c’est un grand vent de folie qui souffle sur le monde et qui est une blessure, bien sûr, pour ceux qui sont persécutés mais aussi pour beaucoup de musulmans en disant « Nous, on est des croyants. On est des hommes et des femmes ordinaires. On a notre foi simple, notre vie familiale, notre respect des autres. Et on est horrifié par ce qui se passe là-bas ». Moi, je me rappelle dans un colloque islamo-chrétien qu’on a eu à Lyon,  le seul mot d’État islamique nous donne la chaire de poule parce que c’est un titre qu’ils se sont donnés mais nous, on ne veut pas de cet adjectif pour eux. On a envie de dire « Un État de fou », ce n’est pas un État islamique. Eux-mêmes le revendiquent et donc, c’est une blessure tous azimuts pour l’ensemble de l’humanité.

 

Quand un vent de folie et de violence souffle, tout le monde perd un peu les pédales. C’est arrivé des quantités de fois dans l’histoire, malheureusement ! Premièrement, il faut empêcher cet ennemi de nuire, de continuer de faire du mal et donc,  le limiter évidemment. Par exemple, tout le monde est tout à fait décidé à ce que jamais, ils ne puissent entrer dans Erbil. Ils ont déjà occupé Mossoul. Ensuite, à partir de Mossoul, ils ont occupé Karakosh et essayé de mettre la main sur les puits de pétrole. Tout d’un coup, dès le lendemain du jour où ils ont occupé Karakosh, il y a eu les premières bombes américaines qui sont arrivées en disant « on va quand même arrêter cela » parce que sinon, ça va être sans fin. Quand quelqu’un a perdu la raison, vous ne pouvez pas le raisonner. Il ne faut pas trop croire qu’on va y arriver. En même temps, il faut prier. Il faut prier deux fois plus pour ceux qu’on aime moins et pour ceux qui sont violents. Jésus nous le demande. C’est très difficile objectivement. Moi, mon soucis, c’est premièrement qu’il y ait une coalition militaire et politique forte pour les empêchés de nuire. Deuxièmement, j’ai la certitude et l’espérance que ça ne pourra pas durer parce qu’ils sont complètement fous mais ils sont très intelligents, très puissants, très riches et très bien armés. Donc, c’est quand même un ennemi tout à fait redoutable.

 

Après, comment faire pour faire échapper les autres au désespoir ? Ce matin encore, dans un des baraquements d’Erbil, j’ai discuté avec un père de famille qui avait sept enfants et qui était dans une rage noire. Il disait « Pourquoi vous êtes venu ? On n’a pas besoin de vous. Vous pouvez repartir » alors qu’on avait toujours été si bien accueilli par tout le monde. Et au lieu de partir en me disant que c’était un mal luné, au contraire, je suis resté parce qu’il fallait que j’entende sa souffrance et qu’on voit comment on pourrait l’aider. Quand les gens sont au bord du désespoir, les abandonner, c’est un peu de la lâcheté. Je ne dis pas qu’il faut qu’il reste là-bas, je ne dis pas qu’il faut qu’il parte, il faut qu’il vive parce que c’est un père de famille, il a ses enfants à charge. Les enfants étaient là autour. Et ils voyaient leur père comme un volcan. Il fallait discuter avec ce papa. Là, ce sont vraiment de grandes choses qui nous dépassent et devant lesquelles nous nous sentons démunis mais précisément, au moment même où on est démuni, il y a quelque chose à faire, quelque chose à dire, des initiatives à prendre. Ce n’est pas parce qu’on est très pauvre que rien ne doit se passer. On se sent dépassé, c’est vrai mais en même temps, on doit agir !

 

Une dernière question pour conclure : est-ce que vous espérez y retourner ou faire en sorte que des visitations d’Église réciproques puissent se bâtir sur la durée entre vos frères chrétiens d’Irak et le diocèse de Lyon ?

 

Le patriarche sait qu’il est chez lui à Lyon, il peut venir quand il veut. Je ne vais pas chercher à faire des voyages. Favoriser ce qui peut être notre jumelage, oui ! Par exemple, nous sommes allés avec la fondation Mérieux, la fondation Saint Irénée. On a bien vu que le travail qu’on avait à faire maintenant, c’était celui de scolariser celui des enfants. C’est l’étape nouvelle. Est-ce que ça amènera des voyages ? Peut-être pour le responsable de l’enseignement catholique pour l’ouverture d’une école. Elle sera peut-être sommaire mais il y a une telle joie pour les enfants de pouvoir retourner à l’école qu’on va se battre pour cela. 

 

Le texte intégral de l'entretien de Mgr Sako:

Cela nous a apporté beaucoup : un soutien moral et spirituel extraordinaire. Vous avez vu combien de gens il y avait ? Il y avait plus de 5.000 personnes dans la rue, devant la statue de la Vierge Marie. Et aujourd’hui, j’ai vu les gens avec des larmes de joie et d’espoir. Ils sont très touchés par cette présence, pas seulement une présence de solidarité un peu lointaine mais une présence réelle, physique. Ils sont ici parmi nous pour partager avec nous notre souffrance et aussi nos espoirs.

 

Cette procession de samedi soir, c’est un signe que les chrétiens peuvent encore vivre leur foi librement, publiquement en Irak ?

Tout à fait. Vous avez remarqué que seulement par le fait de leur donner une bougie, c’était la fête.

Ils ont besoin d’un petit geste pour leur assurer qu’ils ne sont pas oubliés ou isolés. Cette visite a donné beaucoup à ces familles déplacées. 








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