Le pape François était ce vendredi après-midi reçu au Palais présidentiel à Ankara. Après un entretien privé avec le président Recep Tayyip Erdogan, le Pape s'est adressé aux autorités du pays, pour un premier discours depuis son arrivée à midi. L'occasion pour le Pape de rappeler que la liberté religieuse était un droit fondamental.
Le compte rendu de Romilda Ferrauto, envoyée spéciale de Radio-Vatican :
En parlant de paix et de dialogue, le Pape François a prononcé les mots que de nombreux Turcs voulaient entendre, les autorités politiques comme les chrétiens orientaux. Aussi bien au palais présidentiel que lors de sa visite au Diyanet, le département pour les affaires religieuses, il a su trouver les mots pour ne pas heurter la sensibilité de ses hôtes sans pour autant passer sous silence ce qui lui tient à cœur.
Tout en rendant hommage à la vitalité et au rôle de la Turquie, tout en rappelant que la communauté internationale avait l’obligation morale d’aider ce pays à prendre soin des réfugiés, le Pape François a abordé les questions qui fâchent. Il a demandé que soient garantis les mêmes droits à tous les citoyens, qu’ils soient musulmans, juifs ou chrétiens, tant dans la disposition des lois que dans leur application concrète. Ce qui n’est pas encore le cas, ni en Turquie, ni dans la plupart des autres pays de la région.
Car le Saint-Siège en est convaincu : c’est par le respect de la liberté religieuse et par le dialogue interreligieux que passe la solution des guerres fratricides qui ensanglantent le Moyen-Orient.
Dès ces toutes premières étapes, il apparait clairement que le Pape François visite la Turquie en ayant le regard tourné vers l’Irak et la Syrie où des communautés entières, a-t-il martelé, ont été chassés de force de leurs maisons par un groupe extrémiste, à cause de leur identité ethnique et religieuse. La violence a frappé aussi les édifices sacrés, des symboles religieux, comme si on voulait effacer toute trace de l’autre. Pour le Saint-Père, il est urgent de bannir les phobies irrationnelles qui encouragent le fanatisme et les discriminations.
Et devant le Diyanet, où Benoît XVI avait reçu un accueil glacial en 2006, deux mois après le discours de Ratisbonne, le Pape François n’a pas eu peur de rappeler solennellement à tous les chefs religieux qu’ils ont l’obligation de dénoncer les violations de la dignité et des droits humains. Le monde l’attend. La violence qui cherche une justification religieuse mérite la plus forte condamnation, a-t-il insisté. Chrétiens et musulmans doivent développer leur communauté spirituelle.
Le discours intégral du Pape François lors de sa rencontre avec le président turc :
Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre,
Distinguées Autorités,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux de visiter votre pays, riche de
beautés naturelles et d’histoire, rempli de traces d’antiques civilisations et pont
naturel entre deux continents et entre différentes expressions culturelles. Cette
terre est chère à tout chrétien pour avoir donné le jour à saint Paul, qui a fondé
ici diverses communautés chrétiennes ; pour avoir hébergé les sept premiers Conciles
de l’Église, et pour la présence, près d’Éphèse, de ce qu’une vénérable tradition
considère comme la « maison de Marie », le lieu où la Mère de Jésus a vécu pendant
quelques années, but de la dévotion de beaucoup de pèlerins, non seulement chrétiens
mais aussi musulmans, venus de partout dans le monde.
Cependant, les raisons de la considération et de l’estime pour la Turquie ne sont
pas à chercher uniquement dans son passé, dans ses antiques monuments, mais elles
se trouvent dans la vitalité de son présent, dans l’ardeur au travail et la générosité
de son peuple, dans son rôle dans le concert des nations.
C’est pour moi un motif de joie d’avoir l’opportunité
de poursuivre avec vous un dialogue d’amitié, d’estime et de respect, dans le sillage
de celui entrepris par mes prédécesseurs, le bienheureux Paul VI, saint Jean-Paul
II et Benoît XVI, dialogue préparé et favorisé à son tour par l’action de celui qui
était alors Délégué Apostolique, Mgr Angelo Giuseppe Roncalli, devenu saint Jean XXIII,
et par le Concile Vatican II.
Nous avons besoin d’un dialogue qui approfondisse la connaissance et valorise avec
discernement les nombreuses choses qui nous unissent, et en même temps nous permette
de considérer les différences avec un esprit sage et serein, pour pouvoir aussi en
tirer un enseignement.
Il faut poursuivre avec patience l’engagement à
construire une paix solide, fondée sur le respect des droits fondamentaux et des devoirs
liés à la dignité de l’homme. De cette manière, les préjugés et les fausses craintes
peuvent se dépasser et s’ouvre au contraire un espace à l’estime, à la rencontre,
au développement des énergies les meilleures au bénéfice de tous.
A cette fin, il est fondamental que les citoyens musulmans, juifs et chrétiens – tant
dans les dispositions des lois que dans leur application concrète –, jouissent des
mêmes droits et respectent les mêmes devoirs. De cette manière, ils se reconnaîtront
plus facilement comme frères et compagnons de route, en éloignant toujours davantage
les incompréhensions et en favorisant la collaboration et l’entente. La liberté religieuse
et la liberté d’expression, efficacement garanties à tous, stimuleront la floraison
de l’amitié, en devenant un éloquent signe de paix.
Le Moyen-Orient, l’Europe et le monde attendent
cette floraison. Le Moyen-Orient, en particulier, est depuis trop longtemps le théâtre
de guerres fratricides, qui semblent naître l’une de l’autre, comme si l’unique réponse
possible à la guerre et à la violence devait toujours être une nouvelle guerre et
une autre violence.
Pendant combien de temps le Moyen-Orient devra-t-il encore souffrir du manque de paix ?
Nous ne pouvons pas nous résigner à la continuation des conflits comme si une amélioration
de la situation n’était pas possible ! Avec l’aide de Dieu, nous pouvons et nous devons
toujours renouveler le courage de la paix ! Cette attitude conduit à utiliser avec
loyauté, patience et détermination tous les moyens de négociation, et à atteindre
ainsi des objectifs concrets de paix et de développement durable.
Monsieur le Président, pour atteindre un objectif
si haut et urgent, une contribution importante peut venir du dialogue interreligieux
et interculturel, de manière à bannir toute forme de fondamentalisme et de terrorisme,
qui humilie gravement la dignité de tous les hommes et instrumentalise la religion.
Il faut opposer au fanatisme et au fondamentalisme, aux phobies irrationnelles qui
encouragent incompréhensions et discriminations, la solidarité de tous les croyants,
ayant pour piliers le respect de la vie humaine, de la liberté religieuse qui est
liberté de culte et liberté de vivre selon l’éthique religieuse, l’effort de garantir
à tous le nécessaire pour une vie digne, et la protection de l’environnement naturel.
C’est de cela qu’ont besoin, avec une urgence particulière, les peuples et les États
du Moyen-Orient, pour pouvoir finalement « inverser la tendance » et poursuivre avec
succès un processus de pacification par le rejet de la guerre et de la violence, ainsi
que par la recherche du dialogue, du droit et de la justice.
Jusqu’à aujourd’hui, en effet, nous sommes malheureusement
encore témoins de graves conflits. En Syrie et en Irak, en particulier, la violence
terroriste ne semble pas s’apaiser. On enregistre la violation des lois humanitaires
les plus élémentaires à l’encontre des prisonniers et de groupes ethniques entiers
; il y a eu, et ont lieu encore, de graves persécutions aux dépens de groupes minoritaires,
spécialement – mais pas seulement –, les chrétiens et les yazidis : des centaines
de milliers de personnes ont été contraintes à abandonner leurs maisons et leur patrie
pour pouvoir sauver leur vie et rester fidèles à leur credo.
La Turquie, en accueillant généreusement un grand nombre de réfugiés, est directement
impliquée à ses frontières par les effets de cette dramatique situation, et la communauté
internationale a l’obligation morale de l’aider à prendre soin des réfugiés. Avec
la nécessaire assistance humanitaire, on ne peut pas rester indifférent face à ce
qui a provoqué ces tragédies. En répétant qu’il est licite d’arrêter l’injuste agresseur,
cependant toujours dans le respect du droit international, je veux aussi rappeler
qu’on ne peut confier la résolution du problème à la seule réponse militaire.
Un engagement commun fort, fondé sur la confiance
réciproque, est nécessaire, qui rende possible une paix durable et permette de destiner
finalement les ressources, non aux armements, mais aux vraies luttes dignes de l’homme :
contre la faim et les maladies, pour le développement durable et la sauvegarde de
la création, au secours de nombreuses formes de pauvreté et de marginalité qui ne
manquent pas dans le monde moderne.
La Turquie, par son histoire, en raison de sa position géographique et à cause de
l’importance qu’elle revêt dans la région, a une grande responsabilité : ses choix
et son exemple possèdent une portée spéciale et peuvent être d’une aide importante
en favorisant une rencontre de civilisations et en indiquant des voies praticables
de paix et d’authentique progrès.
Que le Très-Haut bénisse et protège la Turquie et l’aide à être un artisan de paix efficace
et convaincu !
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