(RV) Entretien - C’est un signe d’espoir pour que cessent les combats au Soudan du Sud : lundi 20 octobre à Arusha en Tanzanie le président Salva Kiir et son ancien bras droit Riek Machar ont signé un accord dans lequel ils reconnaissent leur responsabilité collective dans la guerre qui les oppose depuis dix mois. Le conflit a déjà coûté la vie à des milliers de Soudanais. Les deux belligérants ont décidé aussi la réunification des factions au sein du Mouvement populaire de libération du Soudan, au pouvoir à Juba qui avait mené la lutte pour l'indépendance contre Khartoum. Cet accord va-t-il mener à la paix ? Rien n’est moins sûr pour Gérard Prunier, consultant en affaires africaines et spécialiste de la question soudanaise, pour qui il faudrait changer la génération au pouvoir…
Il répond à Olivier Bonnel.
Toutes les tentatives de négociations et les accords de paix qui ont eu lieu depuis le mois de janvier n’avaient ni queue ni tête, en partie parce que la médiation des pays de l’Igad, c’est-à-dire essentiellement l’Éthiopie, le Soudan du Nord, le Kenya et l’Ouganda, était entachée de tout un tas de vices fondamentaux qui rendaient cette médiation totalement inopérante. Par exemple, l’armée ougandaise était au Sud Soudan et prenait part à la guerre. Et en même temps, l’Ouganda voulait être médiateur. Le résultat, c’est que l’Igad était complètement impuissante. Les Tanzaniens viennent d’opérer une espèce de brèche dans cette impuissance diplomatique et d’ouvrir un véritable dialogue. Ce qui ne veut pas du tout dire qu’on en est arrivé à la paix mais au moins, il y a quelque chose d’à peu près raisonnable qui se passe.
Les deux parties disent que l’SPLM (Sudan People’s Liberation Movement), un mouvement populaire de libération du Soudan visé risquait de fragmenter encore plus le pays sur des bases ethniques et régionales. Ces bases sont justement une des clefs du conflit. Selon vous, on se dirige dans une bonne direction ?
C’est-à-dire que c’est un peu le chien qui tourne en rond en poursuivant sa propre queue. Il faudrait effectivement arriver à une véritable ouverture parce qu’on a un problème de régionalisme. Quand on dit « tribal », c’est très vague parce que les deux grandes ethnies, Nuer et Dinka, sont tellement divisées qu’il y a des gens de chaque ethnie qui sont des deux côtés, aussi bien parmi les pro-gouvernementaux que parmi les rebelles. Mais ce problème de régionalisme peut-il être résolu par un parti unique, un vieux machin d’inspiration marxiste, léniniste fabriqué par les communistes éthiopiens il y a quarante ans ? Est-ce que c’est l’instrument d’une démocratisation et d’une ouverture vers un gouvernement plus efficace ? Le gouvernement actuel au Sud Soudan, c’est un ramassis de brigands et ce sont uniquement des gens qui ont gagné la guerre mais qui ne savent absolument pas faire la paix. Est-ce que d’essayer de recoller les morceaux du vase cassé va nous donner quelque chose d’effectivement utilisable ? Ce n’est pas du tout sûr !
Est-ce qu’on peut imaginer qu’une nouvelle génération politique s’impose au Soudan du Sud pour mener le pays vers plus de stabilité ?
Malheureusement pas. Les gens qui sont en train de négocier sont ceux de la guerre civile. Il y a bien une nouvelle génération mais on ne va absolument pas la laisser s’exprimer. Et ça pose aussi le problème de la société civile qui n’est pas partie prenante de cet accord. C’est un accord boiteux entre les vieux éléments de la vieille guérilla qui a amené le pays dans le problème. Donc, on prend les vieux morceaux cassés et on essaye de les recoller. Ca va être extrêmement difficile ! On va essayer de replâtrer pour cacher les fêlures. Et les fêlures, c’est notamment la place de la jeune génération et la place de la société civile. Tous ces messieurs là ont entre 55 et 70 ans. Ils ont volé tout l’argent qu’il a été possible de voler et le fait qu’ils se mettent d’accord pour s’embrasser gentiment n’est pas automatiquement un gage de paix et de concorde.
Avec quels yeux est-ce que le Soudan du Nord, Khartoum, regarde cet accord ? On sait que le Nord a évidemment aussi profité, joué sur les divisions des sudistes.
Vous me demandez avec quel regard est-ce que Khartoum voit tout cela. Je dirais le regard qu’un chat porte sur un moineau. C’est bon à manger. Le seul souci de Khartoum, c’est que le pétrole continue à couler. On est déjà tombé à peu près à 30 ou 40% de la production pétrolière suite aux destructions causées par la guerre. Le seul souci de Khartoum, c’est « pourvu que ça continue à marcher » ! Maintenant, quelle sera la couleur du moineau que l’on espère manger, c’est tout à fait secondaire.
De quoi a besoin le Soudan du Sud aujourd’hui pour aller dans la bonne direction ? Une nouvelle culture politique ? Un changement de génération ?
Il faut une nouvelle culture politique. Celle qui est au pouvoir à l’heure actuelle est un désastre. Ce ne sont que des ramassis de voleurs, de gens qui se sont disputés les uns avec les autres et qui cherchent à tirer la couverture à eux en méprisant complètement la population qui a pourtant porté le poids de la guerre puisque ce sont eux qui se sont battus. Ce sont des leaders voleurs qui ont profité de l’indépendance pour essayer de confisquer le produit de la lutte populaire contre Khartoum. Maintenant, le fait qu’ils s’embrassent et qu’ils s’appellent « mon cher ami, mon frère », ce n’est pas du tout un gage de paix parce que les gens qui pourraient avoir de véritables intérêts dans la paix n’ont pas eu voix à cette discussion.
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