2014-10-14 13:04:00

Mgr Bouchard, père synodal, canadien sur le sol tchadien


Deuxième semaine du synode des évêques sur la famille au Vatican. Au lendemain de la présentation de la Relatio post disceptationem les pères synodaux sont à nouveau réunis en cercles mineurs, des groupes linguistiques qui réfléchissent à d’éventuels amendements à apporter à cette synthèse des discussions tenues la semaine dernière, dans un climat de grande liberté. Ce texte provisoire a suscité ce lundi de vives réactions en salle du synode mettant en relief des divergences au sein de l’assemblée, en particulier en ce qui concerne les questions dites sensibles comme la communion des divorcés remariées

Parmi les nombreux pères synodaux venus de loin : Mgr Jean-Claude Bouchard, évêque de Pala au Tchad depuis trente-sept ans. Originaire du Canada il vit sur le sol tchadien depuis 46 ans…Il connait donc bien les problématiques africaines mais aussi occidentales, ayant conservé de nombreux liens avec son pays d’origine et avec l’Europe.

Mgr Bouchard, était présent lors du premier synode sur la famille en 1980. Il revient au micro de Xavier Sartre sur les évolutions qu’a connu cette assemblée d’évêques en 34 ans, et sur les vifs débats qui agitent les pères synodaux depuis une semaine.

On sent que les sujets ont beaucoup évolués depuis 1980. Les choses sont devenues plus urgentes et les problèmes se sont multipliés à cause de beaucoup de raisons socio-économico, politiques, religieuses, etc. C’est vrai qu’il y a beaucoup moins de pratiques religieuses qu’autrefois. Il y a aussi beaucoup moins de prêtres. L’Église a beaucoup évolué, comme la société. Le problème de la famille, du mariage, c’est quelque chose qui touche tout le monde, pas seulement les gens dans l’Église. C’est universel. Cela concerne tous les pays du monde et on le voit bien maintenant au synode. Donc, depuis 35 ans, depuis le synode de 1980, je dirais que les choses sont devenues beaucoup plus critiques, beaucoup plus urgentes. Les gens attendent aussi quelque chose et c’est mieux préparé. Il y a eu un instrument de travail qui a été publié et beaucoup de gens ont répondu, même des laïcs. Le Pape nous a donné une liberté totale de parole, ce qui fait que le synode est beaucoup plus mouvementé, agité et beaucoup moins formel que celui de 1980.

Et selon vous, c’est une bonne chose ?

C’est une très bonne chose. J’ai toujours été pour l’ouverture. D’ailleurs, si on regarde Jésus dans l’Évangile, ce qui frappe chez lui, c’est sa liberté et son ouverture. Et ça, je pense que ça se sent et il faut aussi reconnaître l’influence du Pape François. Il est fort proche des gens et il insiste constamment pour être proche des gens, pour répondre aux besoins des gens.  Une des difficultés qu’on sent actuellement dans le synode, ce sont des gens qui sont très attachés à la doctrine et les autres qui sont plutôt attachés à l’approche pastorale des gens. Donc, comment mettre ensemble pastorale et doctrine ? C’est un problème. Moi, j’arrive à solutionner ce problème en regardant Jésus dans l’Évangile. On ne peut pas accuser Jésus qu’il n’avait pas une bonne doctrine mais il a donné la priorité aux gens et c’est fondamental. Je pense qu’on trouve chez Jésus ce lien-là entre la fidélité à sa mission et en même temps, son ouverture aux gens. C’est très beau. Ca peut nous aider à nous mettre ensemble, à former une certaine unanimité parce que maintenant, on doit réaliser un document qui devrait avoir l’assentiment d’une grande partie de l’assemblée pour préparer le synode de l’an prochain. Au contraire, pendant les autres synodes, on proposait des choses au Pape et c’est lui-même qui écrivait un document.

Le rapport de mi-parcours qui a été présenté lundi par le cardinal Erdö a suscité pas mal de débats. On a bien senti qu’il y avait en effet un tiraillement entre ceux qui sont plus attachés à la doctrine et ceux qui sont peut-être plus attachés à la pastorale. Vous, en tant qu’évêque qui avez la double culture puisque vous êtes canadien, donc occidental mais ayant passé l’essentiel de votre vie en Afrique, est-ce que vous pouvez comprendre aussi les tiraillements entre ces deux approches ?

Je vois très bien. C’est vrai que moi, je demeure américain ou canadien ou européen. J’ai beaucoup de relations avec tout le monde mais je suis responsable d’une Église en Afrique et c’est les problèmes de l’Afrique qui me concernent d’abord. Je viens d’attirer l’attention sur un paragraphe qui parlait du mariage chrétien et qui parlait du concubinage. Moi, j’ai dit «  Et le mariage coutumier ? Le mariage traditionnel africain ? Où est-ce qu’il est là-dedans ? ». Il est réduit au concubinage ou bien il n’existe plus. Après, on va se lamenter qu’il y a une dichotomie entre le mariage coutumier et le mariage chrétien, le sacrement du mariage. Mais si on supprime le mariage coutumier, c’est vrai qu’on supprime la dichotomie mais on supprime aussi le mariage traditionnel que les gens font. Et d’ailleurs, on exige le mariage traditionnel pour pouvoir faire le mariage devant l’Église. Donc, mon cœur réagit tout de suite du côté de l’Afrique. C’est vrai que je suis évêque en Afrique, je ne suis pas africain mais ça ne fait rien.

Dans le rapport de mi-parcours, on a bien senti que les thèmes abordés et ceux qui ont le plus retenus l’attention sont des thèmes très européo-centrés. C’est vrai qu’ils sont communs à tous à travers le monde mais particulièrement sensibles en Europe et en Amérique du Nord. Est-ce que vous pensez que de ce point de vue là, le texte est un peu en décalage par rapport aux attentes, aux problèmes d’autres parties du monde ?

C’est presque inévitable dans le sens que les documents qui sont faits par l’Église sont très souvent d’inspiration occidentale. Ça, c’est vrai ! Là, on a déjà « la chance » d’avoir un Pape qui ne soit pas européen, qui est sud-américain. Et l’Église d’Amérique Latine, c’est déjà différent. C’est une image pour l’Église. Parfois je trouve que les évêques africains n’osent pas trop dire les choses. Mais on a vu ce matin que plusieurs sont intervenus sur le même sujet que je viens d’évoquer pour dire «  non, le mariage n’est pas traditionnellement réduit au concubinage. S’il y a un mariage traditionnel, ce mariage-là, on doit l’accompagner. Quelle valeur va t’on lui donner ? » C’est une question qu’on doit se poser et le problème qui se pose aussi, c’est « est-ce qu’on peut donner les sacrements, reconnaître les mariages coutumiers, bien faits, comme déjà un mariage valide, même si non sacramentel ?  Ca pose un problème parce que dans le droit canon, ça dit que pour un chrétien, il n’y a pas d’autre sacrement que le mariage. Est-ce qu’il faut s’arrêter là ? Pour les gens, c’est un vrai mariage. Il faut qu’il soit reconnu comme légitime et donc, pouvoir permettre d’accéder au sacrement. Mais moi je dis quand même que les gens attendent quelque chose. Il faudrait qu’on arrive même à la fin de ce synode à des ouvertures pour montrer au peuple de Dieu que l’Église se préoccupe d’eux, qu’on voit les problèmes et qu’on va essayer ensemble de chercher des solutions. 








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