2014-08-25 17:25:00

Meeting Rimini : « le pouvoir du coeur », par le père Pizzaballa


(RV) Le père Pierbattista Pizzaballa est l’actuel Custode de Terre Sainte. Dimanche 24 août, lors de son intervention au Meeting de Rimini, ce témoin direct des évènements qui secouent le Moyen-Orient a proposé une vision éclairante sur le « pouvoir du cœur » dans ces pays en guerre, et la nécessité d’un projet qui évite le cycle sans fin du recours à la force.

« Nous avons besoin d’experts qui nous aident à comprendre les changements radicaux auxquels on assiste du point de vue politique, économique et social. Mais nous avons aussi besoin d’un regard haut, ample, libéré de toute crainte et de tout complexe ».  C’est avec ce regard éclairé et éclairant que le père Pizzaballa a livré son analyse des conflits qui ravagent le Moyen-Orient et de la difficile quête d’une solution pour rétablir la paix.

Des changements radicaux dans la région du vivre-ensemble

 Le Custode de Terre Sainte rappelle d’abord le contexte historique et social. Les dernières années ont été marquées par le « Printemps Arabe », un processus qui  « a été d’une certaine façon « fait prisonnier » par des mouvements et partis religieux qui en ont déformé la nature, en la transformant en une véritable lutte de pouvoir entre les différentes composantes religieuses et sociales du Moyen-Orient, en particulier à travers la lutte entre chiites et sunnites ». Par ailleurs, « le rapport avec les minorités a été fortement perturbé par des formes de persécution et d’instrumentalisation de natures diverses ». Et finalement, souligne le père Pizzaballa, « On n’a jamais assisté à un « nettoyage religieux » tel que celui qui arrive aujourd’hui ».

Cette attitude haineuse et violente, qui peut, malheureusement, nous sembler habituelle dans cette région du monde, n’est pourtant pas inscrite dans la mentalité collective. Le custode explique que le Moyen-Orient est un lieu de vivre-ensemble, « plus que dans toute autre partie du monde ». Au Moyen-Orient, chacun, quelle que soit sa religion, « reste lui-même ». « Les appartenances religieuses sont aussi des appartenances sociales et culturelles. La foi n’est pas seulement une expérience personnelle, mais elle définit aussi une identité personnelle et sociale », poursuit-il. Cela signifie que « la religion entre dans tous les aspects de la vie quotidienne, publique et privée, et la pénètre en profondeur». Mais cette prévalence de l’appartenance religieuse n’établit pas de barrières, elle « définit une relation à l’autre ». Pour le père Pizzaballa, « cette forme de vivre-ensemble interreligieux forme donc le caractère constitutif du Moyen-Orient ».

L’usage de la force empêchera-t-il l’accès au pouvoir de mouvements islamistes intégristes ?

Il est donc clair que « le nettoyage religieux va à l’encontre de l’histoire et du caractère du Moyen-Orient. » Mais le père franciscain s’étonne de la réaction des responsables musulmans : « Le monde islamique a commencé à réagir, enfin, mais honnêtement, on doit dire que sa dénonciation nous a semblée assez timide».

Concernant le recours à la force, le père Pizzaballa demeure prudent. Il affirme que « Ce type de fanatisme doit être arrêté, si nécessaire, aussi avec la force, avec toutes les garanties nécessaires. L’usage de la force, cependant, sans une perspective de reconstruction sur tous les plans, ne résoudra rien ». En effet, « le vide crée par l’usage de la force engendrera un plus grand extrémisme » . En d’autres termes,  « la force, sans une perspective de (re)construction sociale, économique, politique, ne mènera pas à une solution autre qu’un retour à l’usage de la force, comme une sorte de cercle vicieux ». Une analyse qui «vaut aussi pour le désormais vieux conflit israélo-palestinien ».

 Le Custode de Terre Sainte en est sûr, « la force n’est jamais le chemin. Elle peut parfois, si nécessaire, comme maintenant en Irak, ouvrir un chemin, mais jamais elle ne peut le construire» . Le Moyen-Orient a un « besoin dramatique de définir un nouveau chemin pour tracer les contours de son propre avenir, qui peut être construit seulement ensemble, avec toutes les différentes âmes qui le composent…toutes les communautés religieuses et ethniques font partie intégrante de la vie de ces pays ; elles ne disparaitront pas. Prétendre réussir à faire cela est une  pure illusion, et en ignorer l’existence relève de l’aveuglement», alerte-t-il.

En Syrie, des exemples de solidarité édifiants

Mais dans ce qui nous apparait comme un chaos sans fin, des moments de réelle solidarité redonnent espoir. Lors d’une visite à Alep, ville de Syrie dévastée, privée depuis des mois d’eau courante (seulement disponible dans des puits privés) et d’électricité, le père Pizzaballa a « vu des chrétiens et des musulmans faire la queue pour avoir de l’eau, et des chrétiens porter de l’eau à leurs voisins musulmans et vice-versa ».

Il évoque aussi les jésuites ; ces derniers travaillent dans les infrastructures des sœurs franciscaines d’Alep, où ils ont organisé un système de distribution de repas « pour des quartiers entiers de la ville. Plus de dix mille repas partent chaque jour de ce couvent pour être distribués à tous. Les vivres proviennent d’organisation islamiques, les sœurs s’occupent de l’organisation, et les volontaires, chrétiens et musulmans, apportent quotidiennement la nourriture aux nécessiteux ». Malgré le danger permanent dans les rues, « ils risquent leur peau pour faire quelque chose pour les autres ».

« Ces gestes et ceux de tant d’anonymes,  présents partout, constituent la force secrète et nécessaire pour aller de l’avant et ne pas rester dans l’obscurité actuelle, dans le pouvoir de Satan », résume le prêtre.

Le pouvoir du cœur, ou comment agir en chrétien

Pour le père Pizzaballa, « il ne suffit pas de dénoncer. Il faut indiquer une voie, la route ». Et les chrétiens ont tous dans cette tâche délicate, n’ont pas « un rôle à jouer » ; ils doivent « être chrétiens » . « C’est dans ces circonstances, explique en effet le Custode, que nous sommes appelés à vivre notre vocation chrétienne de manière complète, sans fuite et sans peur. Le mal ne doit pas effrayer un chrétien. »

Il rappelle que « le christianisme nait de la croix et ne peut pas se passer d’elle… Le christianisme nait finalement d’une faiblesse humaine, d’une défaite. Et d’un cœur transpercé […]. Nous devons regarder ce cœur, qui est la mesure de l’amour de Dieu, et du nôtre par conséquent. »

« J’ignore si les différentes stratégies occidentales et internationales peuvent aider, reconnait le père Pizzaballa.  Peut-être. Il faut de toute urgence rechercher les perspectives politiques. Mais ce ne seront pas elles qui sauveront le christianisme au Moyen-Orient. La barque de Pierre sera toujours agitée […] mais le commandement du Seigneur, et lui seul, sera toujours là pour calmer la tempête », affirme-t-il. Un Dieu qui agit et se fait présent d’abord dans l’homme :  « notre présence sera toujours sauvée par les petits, par ceux qui se mettent en jeu avec courage et défient la mort en aimant leurs frères gratuitement, même en se laissant transpercer. En étant finalement chrétiens jusqu’au bout ».

Ainsi, selon le père Pizzaballa, il est de notre devoir « de s’engager concrètement pour mettre fin à cette tragédie, qui nous concerne tous. Mais notre action doit être accompagnée par la conviction profonde et sereine que notre agissement doit être uni à celui du Christ pour porter du fruit. »

Deux images fortes pour conclure

L’intervention du Custode de Terre Sainte s’achève par le rappel de deux rencontres fortes et déterminants au cours de ces derniers. 

D’abord celle entre le patriarche Bartholomée et le Pape François au Saint-Sépulcre, à Jérusalem ; elle constitue « une rencontre entre deux réalités, l’une orthodoxe et l’autre catholique ». « Il est vrai que les divisions demeurent et que tout aujourd’hui, après ce moment, semble être devenu comme avant. Mais ce n’est plus comme avant, quand bien même nous le voudrions, note le prêtre. Ces signes sont puissants et impliquent ceux qui les font […]. Le chemin à parcourir est encore long, mais la route a été ouverte et indiquée. »

Puis il rappelle le moment de prière voulu par le Pape François au Vatican, en présence des  présidents israélien et palestinien. « Tout de suite après, une violence inouïe et inexplicable s’est déclenchée entre les deux parties, semblant presque vouloir nier ce moment historique. Mais dans ce cas aussi les signes ont été posés et la route indiquée… Ils nous disent que c’est possible. Ils nous aident à élever le regard. Ils nous réchauffent le cœur », souligne-t-il.

Enfin, le message conclusif du discours du père Pizzaballa invite lui aussi à cultiver la flamme de l’espérance : « Nous avons besoin de tout au Moyen-Orient […]mais surtout de croire encore qu’il est possible de s’aimer. Les témoignages nous disent que, malgré tout, grâce aux petits, cette force vit encore ».








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