2014-08-12 08:08:00

Irak : « l'Occident doit jouer la carte des acteurs locaux »


(RV) Entretien - Dans le nord de l'Irak, les avions et drones américains continuent de cibler des positions djihadistes pour aider les peshmergas kurdes dans les combats au sol contre les combattants de l'Etat islamique. Ces bombardements sont accompagnés de largage de vivres et d’aide humanitaire destinés aux réfugiés. Mais cette opération ne fait pas l'unanimité sur place. Mgr Louis Sako, le patriarche de l'Eglise chaldéenne, s'est dit déçu de la portée de l'intervention américaine, qui ne vise selon lui qu'à protéger la capitale du Kurdistan irakien, et offre peu d'espoir d'une défaite des jihadistes et d'un retour des déplacés. Dans une lettre ouverte, il souligne que les politiciens à Bagdad ne pensent qu’à se battre pour le pouvoir, alors que le pays est à feu et à sang.

De son côté, l’observateur du Saint-Siège auprès des Nations unies à Genève, Mgr Silvano Tomasi, a estimé lui aussi qu'il fallait intervenir maintenant, si nécessaire militairement, avant qu'il ne soit trop tard. Pour l’instant, l’Europe refuse toute idée d’intervention militaire mais l'UE veut elle aussi soutenir les peshmergas, ce qui pourrait passer par la livraison directe d’armes aux Kurdes.

Pour Olivier Roy, professeur à l’institut européen de Florence, l’attitude occidentale en Irak est pour l’instant la plus pertinente. Il est interrogé par Jean-Baptiste Cocagne.

« L’avantage de l’Irak par rapport à la situation en Afghanistan en 2001 ou en Irak en 2003, c’est que tous les acteurs politiques officiels reconnus sont pour une forme d’intervention occidentale, aussi bien le gouvernement Maliki que les autorités religieuses chiites, que les kurdes. D’un point de vue légal et diplomatique, la situation est nettement meilleure. Elle donne une plus grande légitimité à une action occidentale.

Le deuxième point, c’est qu’il faut éviter d’envoyer des troupes au sol parce qu’on va se retrouver exactement dans la même situation qu’en Irak ou en Afghanistan il y a quelques années. Il faut donc faire jouer les acteurs locaux et avant tout les kurdes. Il faut les armer, les soutenir et les défendre par frappe aérienne.

L’Occident doit-il se limiter à cela ?

Oui parce que si l’Occident envoie des troupes, cela permettra à l’armée islamique de se présenter comme l’héritière de Ben Laden et comme ceux qui combattent les occidentaux dans le monde entier. Cela renforcera les risques d’un nouveau terrorisme globalisé. Je crois qu’il faut effectivement mettre en avant les acteurs locaux et abandonner toute velléité de redessiner le Moyen-Orient par des grandes conférences menées avant tout par les occidentaux. Il faut mettre les acteurs locaux devant leurs responsabilités mais en les aidants, évidemment.

On a parlé des peshmergas et kurdes. Maintenant, regardons un peu de l’autre côté. Quelles sont les ressources financières de l’État islamique ?

Aujourd’hui, ils se paient sur la bête. Dans les villes qu’ils ont conquises comme Mossoul, ils ont trouvé des armes, de l’argent, des vivres, etc. D’autre part, ce sont des combattants volontaires et ce ne sont pas des gens qui demandent de l’argent ou d’être payés. Pour le moment, l’armée islamique n’a pas de problème de logistique ou de financement. Cela peut évidemment changer sur le long terme et c’est à la communauté internationale d’assurer un embargo sur les armes et sur l’argent.

De ce point de vue-là, il faut également impliquer les Saoudiens. Tout le monde sait que même si le gouvernement saoudien n’aide pas l’armée islamique, ils ont leur entrés dans un certain nombre de milieux religieux du Golfe. C’est un problème qui dure depuis 30 ans.

Justement, quel est le rôle précis de l’Arabie Saoudite vis-à-vis de l’État islamique ?

De schizophrène, comme d’habitude. C’est-à-dire que d’un côté, l’Arabie Saoudite sait parfaitement que les djihadistes ne demandent qu’une chose, c’est de renverser la famille royale quand ils en auront l’occasion. Mais d’autre part, les djihadistes combattent l’ennemi par excellence des Saoudiens, les chiites. En gros, tant que les islamistes radicaux combattent les chiites, c’est bon pour l’Arabie Saoudite. Ils ne voient pas les conséquences sur le long terme de cette politique. Ils sont dépassés.

L’Arabie Saoudite est en état de dépassement permanent. Ils se croient grand acteur géostratégique de la région mais ils font à chaque fois les mauvais choix. Ils n’anticipent jamais les évènements. Si l’on veut anticiper le futur, il est clair que la stabilité de la région sera possible seulement s’il y a un accord entre Saoudiens et Iraniens. Alors que je pense que les Iraniens sont prêts à discuter, les Saoudiens ne le sont pas. Ils ne veulent absolument pas discuter avec les Iraniens.

Sur la question du pétrole, l’État islamique a proclamé un califat qui recouvre à peu près tous les plus grands champs pétrolifères de la région. Est-ce qu’on peut penser au pétrole comme financement direct au service de l’État islamique ?

L’État islamique ne peut pas commercialiser le pétrole. Ils peuvent effectivement faire de la contrebande mais dans ces cas-là, il s’agit de vendre les camions citernes dans le pays d’à côté. Mais tous les oléoducs passent par les zones contrôlées par les ennemis de l’État islamique : le Kurdistan, la Turquie et les zones chiites du sud de l’Irak.

Je ne crois pas à l’arme économique du pétrole. Paradoxalement, ça doit plutôt profiter aux kurdes qui avaient un problème légal de vendre le pétrole de leur zone en passant par la Turquie parce qu’officiellement, c’est du pétrole irakien et pas kurde mais maintenant, avec l’affaiblissement de l’état central irakien, les kurdes vont pouvoir vendre leur pétrole plus facilement. »








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