2014-08-11 09:34:00

Rêve d'une réconciliation intercoréenne lors de la visite du Pape


(RV) Entretien - Le Pape s'envole mercredi à la rencontre de l’Asie. C'est pour lui une priorité : le continent n’a pas été visité par un pape depuis 1999, date du dernier voyage de Jean-Paul II dans la région, en Inde. Du 13 au 18 août prochain, François sera en Corée du Sud. Ce sera son troisième déplacement hors d’Italie, après le Brésil et la Terre Sainte. La Corée du Sud a reçu par deux fois Jean-Paul II, d’abord en 1984, à l’occasion des 200 ans de l’Eglise coréenne, puis en 1989, pour assister au Congrès eucharistique mondial.

Ce sont les jeunes, principalement, qui attendent le plus le Pape ; ces 2'000 jeunes venus de 23 pays qui participent aux journées asiatiques de la jeunesse. Le Pape les rencontrera deux fois, le 15 août tout d’abord, puis le 17 lors de la messe de clôture de ces journées. Le Pape en profitera pour rencontrer les évêques d’Asie, donnant à ce voyage une dimension continentale indéniable, quinze ans après la dernière venue d’un Pape en cette région du globe.

Autre temps fort de ces quelques jours, la messe de béatification de 124 martyrs coréens, les catholiques de la première heure, des laïcs pour la plupart dont l’histoire a été redécouverte et réévaluée. Le Pape s’entretiendra également avec les communautés religieuses et les communautés laïcs si actives en Corée du Sud.

Deux Corées

Enfin,le 18 août, lors de son dernier jour en Corée du Sud, le Pape François célébrera une messe pour la réconciliation et la paix en Corée. Impossible en effet de se rendre dans la péninsule coréenne sans toucher du doigt les problèmes nés de la partition du pays à l’issue d’une guerre impitoyable. Malgré la chute du mur de Berlin, la fin du communisme en Union soviétique et dans les pays d’Europe orientale, et la fin de la Guerre Froide, ce territoire asiatique vit toujours à l’heure de l’opposition entre Est et Ouest, ou plutôt entre Nord et Sud.

Les relations entre Pyongyang et Séoul oscillent sans arrêt entre des moments d’extrême tension, où la rhétorique guerrière prend le pas, et des moments de relâchements, où les échanges, même minimes, laissent espérer sur le long terme une éventuelle réconciliation. C’est le cas de la zone économique spéciale de Kaesong où les entreprises sud-coréennes emploient des ouvriers nord-coréens. Ce fut le cas également dans le domaine touristique, dans la province du Gangwon, seule province à cheval sur la frontière, où il était possible de visiter certains sites pour les Sud-Coréens. Sans compter les échanges, certes très limités, entre familles séparées par la guerre.

Les relations intercoréennes sont surtout dépendantes des politiques menées aussi bien par les présidents au Sud que par les dirigeants du Nord. Qu’en est-il en ce moment avec la présidente sud-coréenne Park Geun-hye, au pouvoir depuis un an et demi et avec Kim Jung-un, maître de la Corée du Nord depuis décembre 2011 ? Xavier Sartre a posé la question à Barthélémy Courmont, chercheur à l’IRIS en poste à Taïwan

« Je vais simplement vous lire un petit extrait de la Constitution nord- coréenne qui est tout à fait éclairant à cet égard. C’est l’article 68 de la Constitution, qui est très court et qui dit “le citoyen jouit de la liberté de religion. Ce droit est assuré par la permission d’établir des édifices religieux et d’y tenir des cérémonies”. Vous avez une deuxième ligne qui dit “il est interdit de se servir de la religion pour introduire des forces étrangères ou perturber l’ordre étatique et sociale”.

Cela veut dire qu’officiellement, ou du moins en rhétorique, la Corée du Nord est comme la Corée du Sud, un pays qui permet à toutes les religions de s’épanouir. Le problème, c’est qu’il y a cette deuxième clause, cette interprétation qui est faite de manière permanente de la part du parti et qui effectivement accuse quasiment toutes les religions d’être des relais des forces étrangères, en particulier des États-Unis. On note une très forte présence de prisonniers qui sont liées aux questions religieuses. En Corée du Nord, il y a donc un véritable problème lié à la religion et à cette absence de liberté.

À côté des quatre cultes reconnus, à savoir les bouddhistes, les presbytériens et les catholiques qui sont néanmoins totalement coupés du monde, y a-t-il en Corée du Nord une autre forme de religion ?

Selon certains analystes, on peut assimiler le pouvoir politique nord-coréen à une forme de religion d’État. Cette religion a ses divinités qui sont bien évidemment les deux dirigeants successifs qui sont aujourd’hui décédés,  et le grand prêtre ou le grand représentant de cette religion est aujourd’hui le descendant, Kim Jong-Un.

Il faut savoir que cette religion a aussi ses ramifications puisqu’en Corée du Nord, vous avez plusieurs milliers de ce qu’on appelle les centres du « Juche ». C’est la manière dont on décrit le pouvoir ou l’autonomie du pouvoir en Corée du Nord. Et c’est aussi et surtout un moyen de légitimer cette dynastie Kim et le fait d’avoir, à la mort de chaque dirigeant, son fils, qui sans aucune forme de contestation, prend le pouvoir.

En Corée du Nord, vous avez aujourd’hui plusieurs milliers de centres d’étude du Juche et selon de nombreuses ONG, ces centres pratiquent finalement des méthodes qui sont très proches des groupes sectaires. On va endoctriner, non pas autour de préceptes politiques mais quasi religieux. Et là encore, on va diviniser les personnalités que sont Kim Il-sung et Kim Jong-il. Il y a un petit peu cette reproduction d’une pratique religieuse ou d’une pratique sectaire qui va se développer et qui nous permet effectivement de dire aujourd’hui que la Corée du Nord est un état officiellement athée mais qui, d’une certaine manière, a opté pour une autre forme de religion ou une religion d’état très fortement politisée.

Peut-on dire qu’il y a une vie spirituelle vraiment religieuse, authentique telle qu’elle peut être pratiquée n’importe où sur terre en Corée du Nord ou bien le régime, depuis plusieurs générations, est parvenu à vider de sa substance tous les cultes qui étaient existants et qui sont officiellement reconnus ?

Il y a effectivement des pratiques religieuses et aujourd’hui, vous avez beaucoup de détenus qui le sont pour des raisons religieuses. Alors, est-ce que ces raisons sont des justificatifs donnés par le régime ou de véritables raisons, il est difficile de le savoir mais toujours est-il qu’il y a effectivement cette réalité reconnue et avalisée par les gens qui sont passés par les camps de travail et qui ont réussi à fuir.

Visiblement, il y a donc une pratique religieuse qui se poursuit malgré le régime, avec toutes les difficultés et les risques que cela comporte pour ceux qui la pratiquent. Il y a malgré tout un besoin de pratique religieuse.

Dans un même temps, il faut bien évidemment reconnaître que la propagande du régime dure maintenant depuis près de 70 ans. Ce sont des générations entières qui ont été baignés dans cette propagande et qui n’ont que très peu d’informations sur ce qui se passe à l’extérieur. On peut malheureusement imaginer que cette pratique religieuse est souvent confondue ou assimilée à une forme de divinisation des pouvoirs publics et du clan Kim en particulier. Il y a donc d’un côté une ferveur religieuse qui va se transmettre de générations en générations et puis de l’autre côté, cette propagande qui vient totalement modifier la société et les comportements.

Et là encore, les différents récits des réfugiés sont tout à fait éclairants. Je vous donne simplement un exemple : vous avez de nombreux réfugiés qui viennent en Corée du Sud, qui généralement passent en Chine et puis parviennent à retrouver le chemin de la péninsule et sont hébergés en Corée du Sud. Ce sont des gens qui socialement, ont du mal à se reconstruire et à être acceptés dans la société. Ils parlent avec un accent qui les identifie immédiatement comme des nord-coréens et donc, ils sont un peu considérés comme des citoyens de seconde zone, des gens qui socialement ne parviennent pas véritablement à se reconstruire. En revanche, on note pour la grande majorité d’entre eux qu’ils vont très rapidement et très facilement se greffer à des groupes religieux.

Ils vont devenir des pratiquants très fervents de diverses religions, en majorité chrétiennes ou bouddhistes. Il est donc intéressant de voit qu’un de leur premier geste, de leur première attitude consiste à se tourner vers la religion dès lors qu’ils en ont la possibilité. »








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