(RV) Entretien - L’ancien Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker
est le nouveau président de la Commission européenne. Il succède au portugais José
Manuel Barroso. Il a été élu mardi par les députés à Strasbourg sans faire l’unanimité,
avec 422 voix contre 250. Une soixantaine d'élus britanniques, français ou espagnols
ont voté contre lui ou se sont abstenus.
Sa marge de manœuvre pour conduire
sa politique risque d’être faible entre la perte d’influence de sa fonction et les
crises économiques. Mais son expérience au cœur des institutions européennes, pourrait
lui donner un avantage. C’est le point de vue de Philippe Poirier, coordinateur
du programme gouvernance européenne à l’Université du Luxembourg. Il est interrogé par
Audrey Radondy
Monsieur Juncker a été habitué, par sa très longue expérience
de premier ministre du Luxembourg, à établir des compromis entre différents gouvernements
au sein du Conseil Européen et au sein de l’Eurogroupe. Donc, c’est plutôt sa capacité
de synthèse et de recherche de compromis qui permettra d’avoir une vraie marche de
manœuvre, non seulement pour lui mais la commission entière. C’est une des qualités
qu’on attend d’un président de la Commission Européenne. Ce n’est pas simplement quelqu’un
qui dirige et qui d’ailleurs, n’a pas cette fonction de diriger une sorte de gouvernement
avec des commissaires qui obéiraient au président de la Commission. Non, il doit chercher
des équilibres entre commissaires ,endosser les réformes proposées par les commissaires
et avoir à la fois une propre ligne politique et un respect de quelques exigences,
notamment élaborer et proposer par les principaux gouvernements de l’Union Européenne.
En quoi peut-il se différencier de son prédécesseur, José Manuel Barroso
? Il veut réaffirmer le rôle de la Commission Européenne comme initiatrice
de la législation européenne. Deuxièmement, une forte capacité à proposer des nouveautés,
à la fois dans le domaine de l’Union Économique et Monétaire mais on peut s’attendre
aussi, dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune. Et ce qui
le différencie, c’est aussi son positionnement par rapport à différents groupes d’intérêts,
à la fois du patronat ou des entrepreneurs et des syndicats. Monsieur Juncker aura
plus tendance à rechercher des solutions ou des compromis avec ses différents partenaires
économiques et sociaux. Et puis, Monsieur Juncker a toujours eu une position légèrement
en retrait par rapport aux États-Unis et à toutes les politiques qu’ils ont mené ces
dernières années dans le domaine de la sécurité, de la politique étrangère, des conflits,
etc. Donc, il veut maintenir le partenariat privilégié avec l’OTAN et l’Union Européenne
mais avec un degré de plus grande autonomie.
Jean-Claude Juncker est depuis
des années sur la scène européenne. Peut-il vraiment incarner une nouvelle Europe
? L’un des défis de Monsieur Juncker sera toujours de retenir l’attention
de tous ces chefs d’États et de gouvernements qui sont beaucoup plus jeunes politiquement
que lui. Le deuxième aspect, c’est que Monsieur Juncker incarne le canal historique
de la démocratie chrétienne au sein du parti populaire européen. Or, le parti populaire
européen a aussi beaucoup changé. D’abord, il s’est plutôt converti vers un conservatisme
et un libéralisme économique qui ne l’était auparavant et en plus, il est très fortement
concurrencé avec les dernières élections sur sa droite avec l’émergence, non seulement
de partis eurosceptiques mais d’une multitude de partis plus à droite que le parti
populaire européen, ce qui pose une question d’environnement politique qui a changé.
Et puis, il y a un troisième aspect, si on prend l’exemple de 2009. L’investiture
de Monsieur Barroso avait été relativement rapide. En revanche, la composition de
la Commission et surtout, le programme de la Commission Européenne qui normalement
aurait du être adopté fin juillet, in fine a été adopté fin octobre voire début novembre
pour certaines parties. Le centre-gauche et la gauche européenne vont peser fortement
pour innover dans certaines politiques. Donc, Monsieur Juncker, bien qu’il ait cette
majorité plutôt solide au Parlement européen, elle sera d’autant plus vigilante sur
la composition des commissions et sur les politiques que Monsieur Juncker mènera.
Photo: le nouveau président de la commission européenne