(RV) Entretien- C’est un changement aussi profond qu’inattendu : le Premier
ministre britannique David Cameron a créé la surprise ce mardi en remaniant son gouvernement.
Rajeuni, féminisé, ce cabinet se teinte également d’une couleur eurosceptique, avec
la nomination de Phillip Hammond, ancien ministre de la Défense, aux Affaires étrangères.
Ce même Hammond qui s’était targué de faire sortir le Royaume-Uni de l’Union européenne,
si les institutions bruxelloises refusaient de se réformer. Ce remaniement, en
vue des prochaines élections générales, laisse certains commentateurs perplexes. La
nomination de Hammond à ce poste clé annonce, selon eux, une radicalisation du gouvernement
Cameron vis-à-vis de la question européenne. Un avis que tempère Agnès Alexandre-Collier,
professeur de civilisation britannique à l’université de Bourgogne, interrogée par
Manuella Affejee :
C’est bien
ce message clair qui a été envoyé par le premier ministre, c’est-à-dire de renouveler
sa base, de poursuivre dans la voie de la modernisation qu’il avait engagé, en fait,
dès le départ, lors de son élection à la tête du parti en décembre 2005 et avant les
élections de 2010. Il avait pour but de transformer le parti conservateur, d’en faire
un parti beaucoup plus moderne, plus ouvert aux femmes et aux minorités ethniques
et un parti rajeunit aussi. Là, effectivement, je crois qu’avec son remaniement, il
est en train de lancer le point de départ de la campagne électorale avant les élections
de mai 2015.
Autre fait marquant de ce remaniement, c’est le départ de
William Hague, le chef de la diplomatie britannique qui est remplacé par Philip Hammond
qui est lui, un eurosceptique assumé. Que pensez-vous de ce choix ? Très sincèrement,
après avoir lu la presse et les commentaires des uns et des autres, je pense que c’est
un choix tout à fait cohérent et qui s’inscrit un peu dans la poursuite des engagements
de David Cameron. De là à dire que c’est un eurosceptique assumé, je crois qu’il faut
savoir qu’au sein du parti conservateur, actuellement, l’euroscepticisme est devenu
la ligne de conduite officielle du parti, du gouvernement. Et donc, qu’il y ait des
nuances sensibles, personnelles entre les uns et les autres, c’est un fait mais je
crois que Philip Hammond va poursuivre la voie qui a été engagée par William Hague,
va s’inscrire dans la continuité de la politique officielle du gouvernement actuel
qui est effectivement de faire campagne pour le retrait du Royaume-Uni de l’Union
Européenne si les négociations échouent. Et je crois que c’est une condition importante.
David Cameron a été clair quand il a prononcé son fameux discours de Bloomberg en
janvier 2013. L’organisation des référendums est suspendue à la réussite des négociations
avec le partenaire européen et du fait que les partenaires européens doivent accepter
les conditions émises par le gouvernement britannique. Ça, c’est une position qui
me semble assez claire et j’imagine que Philip Hammond va poursuivre dans cette voie.
À titre personnel, il a pu effectivement manifester un enthousiasme plus marqué pour
la sortie de la Grande-Bretagne mais ils ont un devoir de réserve et en tant que ministre,
à mon avis, il va simplement continuer dans la voie qui avait été engagée par l’ensemble
du gouvernement, y compris William Hague.
La nomination de Jean-Claude
Junker à la tête de la commission européenne a été un choix combattu par David Cameron.
Est-ce que ce remaniement, cette nomination de Philip Hammond est une sorte de réponse
? C’est peut-être une réaction mais il me semble que c’est un choix qui a
été mûrement réfléchi. Je pense encore une fois que les prochaines élections approchent,
c’est en mai 2015. Donc, il est sûr que cette décision va peut-être finalement fragilisée
les négociations, en tout cas peser sur les négociations entre le Royaume-Uni et les
partenaires européens mais il me semble que c’est une décision politique interne et
que c’est une décision qui est liée à la campagne électorale du parti conservateur
dans le cadre des prochaines élections, même si effectivement, elle peut être entendue
et interprétée de diverses manières par les partenaires européens. Il me semble que
là, on est plutôt dans le point de départ d’une campagne avec l’idée que David Cameron
est en fait en train d’appliquer les anciennes recettes qu’il avait utilisé avant
les élections de 2010 : vouloir moderniser le parti conservateur, l’ouvrir à un électorat
plus large et essayer de conquérir de nouveaux électeurs parmi les jeunes et les femmes
et essayer d’avoir un gouvernement plus représentatif de la société. Donc je pense
qu’il s’agit là plutôt d’un choix, d’une stratégie politique intérieure de communication
qui va bien sûr peser sur les négociations mais qui doit être vu essentiellement comme
une stratégie interne.
Alors, vous dites que David Cameron aimerait gagner
un peu plus d’électorat parmi les femmes, les jeunes, notamment. Est-ce qu’il n’a
pas aussi envie de grappiller un peu d’électeurs du « UK Independant Party » qui est
un parti qui a quand même monté en puissance, lors des derniers scrutins ? Oui,
bien sûr. De toute façon, c’est un message qui est très clair envers l’ensemble des
électeurs potentiels du parti conservateur, en particulier de ceux qui hésitent encore
entre le parti conservateur et le « UKIP » mais il faut quand même savoir que la menace
du « UKIP » qui est une menace à prendre en compte et qui est effectivement devenu
le premier parti britannique au Parlement européen aux dernières élections, est une
menace toute relative. Quand on regarde le mode de scrutin aux élections législatives
au Royaume-Uni, on voit bien que le « UKIP » n’a que très peu de chances voire aucune
chance d’être élu aux prochaines élections au Parlement de Westminster. Donc, c’est
simplement un message envoyé à l’électorat. C’est peut-être aussi une façon d’essayer
de convaincre les électeurs hésitants du bien fondé de l’euroscepticisme conservateur
dans la mesure où effectivement, les électeurs du « UKIP », d’après les différentes
études qui ont été menées, sont en fait beaucoup plus divisée entre les travaillistes
et les conservateurs qu’on voudrait le croire, où on a beaucoup parlé de la rivalité
entre les conservateurs et le « UKIP ». Mais en fait, la base électorale du « UKIP
» est aussi une base ouvrière dans certains bastions travaillistes qui va quand même
hésiter entre le parti travailliste et le parti conservateur.
Photo:
le nouveau ministre des Affaires Etrangères Phillip Hammond