Le père Neuhaus : « les chefs politiques sont incapables de dépasser le cycle de la
violence »
(RV) Entretien - La situation est toujours très tendue au Proche-Orient entre
Israéliens et Palestiniens. Le meurtre d’un jeune Palestinien quelques jours après
celui de trois étudiants israéliens ont rendu l’atmosphère explosive. Malgré les appels
à la vengeance qui viennent de certaines voix dans chaque camp, les autorités tentent
de tout faire pour éviter une nouvelle escalade de violence.
Le Premier ministre
israélien a téléphoné au père du jeune Palestinien pour lui faire part de ses condoléances.
Mais derrière les mots, c’est toute une réalité qu’il faut changer, une vraie culture
de paix à bâtir, en rupture avec le passé, comme nous l’explique le père David
Neuhaus, vicaire patriarcal pour la communauté catholique hébréophone d'Israël, interrogé
par Olivier Bonnel
Quel
est votre regard sur le contexte aujourd'hui dans la région ? Nous vivons dans
une très forte tension et le discours de nos chefs n’a pas beaucoup aidé. Nous ne
savons pas quand et comment cela se terminera. C’est bien sûr une violence qui se
poursuit depuis des décennies. Mais cette expression récente est très triste parce
qu’encore une fois, ce sont les jeunes qui sont victimes et les anciens ne sont pas
prêts à bouger leurs positions politiques qui nient les droits de l’autre.
Justement,
Père Neuhaus, les jeunes que vous côtoyez, dans quel état d’esprit sont-ils vraiment
? Malgré les souffrances, y a-t-il des signes que cette jeunesse a une forme de sagesse
pour regarder vers l’avenir ? On rencontre aussi la jeunesse qui est contre
toute cette violence. Il y avait des manifestations contre la violence qui ont rassemblé
des Arabes et des Juifs ensemble, des expressions de ceux qui veulent un avenir un
peu différent de notre présent. Pour dire la vérité, moi, je n’accuse pas les jeunes
mais j’accuse nos chefs politiques qui ne sont pas capables de développer un langage
qui ouvre l’avenir à autre chose qu’un cycle de violences, des revendications et des
accusations qui ne cessent pas des deux côtés. Chaque côté pense qu’il est l’unique
victime et que l’autre côté est l’agresseur, celui qui est violent. Là, il y a un
manque de responsabilité et aussi un peu un manque de volonté de changer notre réalité
afin que les jeunes puissent expérimenter autre chose que ce qu’ils connaissent et
qui est uniquement la violence, les soupçons mutuels et la haine. Il en va de la responsabilité
de nos chefs.
Comment l’Église arrive-t-elle à parler dans cet antagonisme
qui semble indépassable ? Je pense qu’ici, il y a peut-être trois défis pour
l’Église. Le premier est déjà entamé et c’est d’exprimer notre proximité à ceux qui
souffrent, particulièrement aux familles qui ont perdu leurs chers, leurs fils. Nous
étions bien sûr très touchés par les condoléances envoyées par le Saint-Père. La deuxième
chose, qui est très importante et je pense qu’ici aussi nous sommes engagés sur cette
route, c’est de chercher un langage qui décrirait notre situation, un langage qui
ne connaît pas les mots « ennemi », « accusations », « soupçons » mais un langage
qui embrasse tout et cherche un autre avenir. Nous sommes en train de travailler un
document qui va aussi être l’expression de cet élément : un langage qui cherche à
dire avec une intention de paix, notre situation actuelle. La troisième chose, c’est
de prendre position avec ceux qui sont pour les valeurs chères à l’Église. Ca ne veut
pas dire chercher le côté juif ou chercher le côté palestinien, le côté israélien
ou le côté arabe. C’est de chercher là où sont les gens, les Juifs et les Arabes qui
veulent autre chose que notre réalité actuelle, notre présent. Il y en a beaucoup
qui en ont marre de nos chefs qui ne connaissent rien d’autre que le langage d’accusation,
de soupçons et de haine et qui ont montré clairement qu’ils ne sont pas capables de
construire la paix. Je pense que l’Église cherche à contribuer à un changement et
pour cela, il faut être courageux, généreux et créateur. La chose à faire, c’est de
regarder celui qui est en face et l’appeler « mon frère » parce que nous sommes tous
des enfants de Dieu.