Les Evêques de la Centrafrique appellent les milices à déposer les armes
La conférence épiscopale centrafricaine (CECA), vient de tenir dans l’archidiocèse
de Bangui, son assemblée plénière. A la fin des travaux qui se sont tenus au siège
de la CECA situé dans la sous-préfecture de Bimbo, la CECA a notamment publié un communiqué
le samedi 28 juin 2014 Le Nonce Apostolique, Mgr Franco COPPOLA, qui a participé
aux travaux était accompagné de plusieurs évêques centrafricains dont : Mgr Dieudonné
NZAPALAINGA Cssp, Archevêque Métropolitain de Bangui et Président de la Conférence
Episcopale Centrafricaine ; Mgr Nestor Désiré NONGO AZIAGBIA SMA, Evêque de Bossangoa
et Vice-Président de la Conférence Episcopale Centrafricaine. Egalement Mgr Perin
GUERRINO Mccj, Evêque de M’Baïki; Mgr Edouard MATHOS, Evêque de Bambari; Mgr Albert
VANBUEL, Evêque de Kaga-Bandoro ; Mgr Juan José AGUIRRE MUNOZ, Mccj, Evêque de Bangassou;
Mgr Armando GIANNI Ofm, Evêque de Bouar ; Mgr Cyr Nestor YAPAUPA, Evêque d’Alindao
; Mgr Dennis Kofi AGBENYADZI SMA, Evêque de Berbérati et Mgr Thaddeus KUSY, Evêque
coadjuteur nommé de Kaga-Bandoro.
Dans leur message adressé aux hommes et aux
femmes de bonne volonté, les évêques rappelle la situation dans leur pays, marquée
par un nouveau départ et la mobilisation de la communauté internationale. Les évêques
centrafricains, soulignent aussi les défis à la relève et à la reconstruction dont
liés à l’insécurité, l’impunité, les menaces visant le personnel pastoral et le non
fonctionnement des institutions. La conférence épiscopale centrafricaine, fait
également quelques propositions pour aider à la sortie de crise, qui passe par le
désarmement des milices et la réhabilitation des forces armées centrafricaines, le
rétablissement de l’autorité de l’Etat, la Cohésion sociale ainsi que le dialogue
et la paix accompagnée du pardon et de la réconciliation en lien avec la justice et
la réparation. Les évêques terminent enfin leur message sur une note d’espoir,
en appelant à toujours témoigner de l’Amour de Dieu.
L’intégralité du
message des évêques Centrafricains :
AUX CHRETIENS, AUX HOMMES ET AUX
FEMMES DE BONNE VOLONTE « Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle » (Ap 21,
1). Le livre de l’Apocalypse en tant que littérature de crise et des opprimés,
interprète les évènements de notre monde à la lumière de la présence active et transformatrice
de Dieu dans l’histoire. Il annonce la victoire du Christ sur les puissances du mal
et les forces démoniaques. Cette victoire permet d’avoir un regard lucide sur le passé,
le présent et de percevoir la réalisation d’un futur merveilleux. Ainsi donc, saint
Jean se projette avec optimisme et annonce le renouvellement de toute chose : « Je
vis un ciel nouveau et une terre nouvelle » (Ap 21,1). L’ordre nouveau trouve sa pleine
réalisation dans « la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle » (Ap 21, 2). Cet ordre
nouveau est établi par le Dieu de la vie qui essuiera toute larme de ceux et celles
qu’il a adoptés en son Fils Jésus Christ comme ses propres enfants. A la manière
de ceux qui ont fait l’expérience de cette grande sollicitude de Dieu, le peuple centrafricain
ne peut pas fuir devant son histoire douloureuse, ni opter pour le status quo. En
dépit des nombreuses tribulations auxquelles il a été soumis lors de cette crise militaro-politique
qui affecte le pays depuis plus d’un an, le peuple peut encore espérer en la victoire
finale du projet de Dieu et l’anéantissement de toute oppression. Cette espérance
eschatologique nous engage au service de la paix par la conversion de notre regard
et de notre cœur. Au nom de notre foi qui fait de nous des enfants de Dieu dans l’Eglise
et des citoyens de notre nation, chacun a le devoir de relever le défi de construire
une Centrafrique nouvelle, plus digne, plus unie et plus prospère. Que faisons-nous
donc à cet effet ? Nous, Pasteurs de l’Eglise de Dieu en Centrafrique, sommes réunis
l’année dernière en Assemblée Plénière dans le contexte de la crise militaro-politique
que traverse notre pays depuis le déclenchement de la rébellion initiée par l’ex-coalition
seleka le 10 décembre 2012. Nous avons dénoncé les méfaits dévastateurs de cette crise
dans le double message que nous avons adressé au Président de la transition et au
Peuple centrafricain . L’ampleur de la crise a été phénoménale et ses conséquences
énormes. Elle n’a épargné aucun aspect de la Nation au point que le constat était
celui du « jamais vu… ». Un an plus tard, où en sommes-nous ? Que sont devenues les
différentes propositions de sortie de crise ?
I. SITUATION PRESENTE Une
certaine évolution a été constatée par rapport à la situation politico-militaire en
République centrafricaine. 1. Un nouveau départ Le laxisme manifesté par le
président de transition et son gouvernement, les odieuses exactions commises par l’ex-coalition
seleka et les nombreuses violations des droits de l’homme ont induit la montée en
puissance des anti-balaka, improprement présentés comme milice chrétienne par de nombreux
medias étrangers. Le pays est tombé dans une spirale de violences, de représailles
et de contre-représailles. C’est la loi de la jungle où le plus fort s’impose par
les armes. L’incapacité affichée par les responsables de la transition à gérer la
crise a conduit la communauté internationale à les contraindre à la démission entérinée
lors du sommet extraordinaire de la Communauté économique des Etats de l’Afrique Centrale
(CEEAC) sur la crise centrafricaine tenu le 9 janvier 2014 à N’Djamena. Madame Catherine
Samba Panza a été alors élue par les membres du Conseil National de Transition (CNT)
pour présider au destin du pays et mener à terme la transition. Une nouvelle page
s’est tournée dans cette lugubre histoire où l’avenir du peuple centrafricain s’écrivait
dans le sang innocent de ses enfants. Les Centrafricaines et les Centrafricains se
sont mis à espérer une prise en compte intégrale de cette crise en vue de sa résolution
pacifique et harmonieuse. Malheureusement l’espoir tarde à se matérialiser au profit
de cette population en très grandes souffrances. 2. La mobilisation de la communauté
internationale La mobilisation en faveur de la résolution de la crise a gagné en
ampleur. Les résolutions 2121, 2127 et 2149 du Conseil de Sécurité des Nations Unies
ont respectivement transformé la Force multinationale de l’Afrique centrale (FOMAC)
en Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA),
permis le déploiement des forces françaises de l’Opération Sangaris en appui à la
MISCA et le passage du Bureau intégré des Nations Unies pour la consolidation de la
paix en République centrafricaine (BINUCA) à la Mission intégrée multidimensionnelle
des Nations Unies pour la stabilité en République centrafricaine (MINUSCA). Nous saluons
l’engagement de l’Union Européenne (UE) à travers le déploiement de l’Eufor-RCA aux
côtés du peuple centrafricain meurtri par une crise qui n’a cessé de faire des victimes
innocentes. L’implication de cette force européenne pour la sécurisation de l’aéroport
Bangui-M’Poko et les quartiers de Bangui s’inscrit dans une dynamique de pacification
nécessaire à la cohésion sociale et au vivre ensemble. Par ailleurs nous constatons
avec bonheur le retour des humanitaires et leur redéploiement à l’intérieur du pays.
Cette présence contribue à la mise en confiance de la population abandonnée à elle-même.
Toutefois nous condamnons avec fermeté les exactions et les crimes à l’égard du personnel
humanitaire.
II. DEFIS A LA RELEVE ET A LA RECONSTRUCTION DE LA NATION L’aspiration
au bonheur, à la paix et à la cohésion sociale soutient la population centrafricaine
dans la pire des crises de son histoire. Néanmoins, en dépit des efforts fournis par
les différents protagonistes, force est malheureusement de constater que le parcours
reste jonché d’obstacles. Ces défis couvrent un large spectre. 1. Insécurité Les
tueries de masse ont certes diminué à Bangui, mais la République centrafricaine est
loin de retrouver sa quiétude d’antan. L’insécurité a encore droit de cité. La loi
appartient aux détenteurs illégaux d’armes et aux groupes armés, en l’occurrence les
ex-seleka, les anti-balaka, des groupes autonomes des auto-défenses, des archers de
la commune d’élevage, Ourou-Djafoun de Bambari et l’armée de résistance du Seigneur
(LRA). Le pays ressemble à une grande prison à ciel ouvert. Telle est la douloureuse
expérience des entrepreneuses populations de Kouango, Bakala, Grimari, Bambari, Kabo,
Batangafo, Kaga Bandoro, Ndélé, Kembè, Abba, Bohong, Boda… qui ne peuvent plus vaquer
librement à leurs occupations champêtres. En effet elles sont prises à partie par
les peulhs, les mbarara, les archers, les seleka, les anti-balaka ainsi que des LRA
qui écument la campagne en semant la mort. De manière générale, les Centrafricaines
et les Centrafricains se sentent traqués comme des bêtes de somme. Ces violences insensées
ne sont pas l’apanage d’une seule communauté ou d’un seul groupe. Tuer, incendier
des maisons voire des villages entiers, traquer des gens en brousse deviennent désormais
des actes anodins et sans poursuite judiciaire. La vie humaine ne semble plus avoir
de prix. 2. Impunité Face à la recrudescence des actes abominables et criminels,
la déliquescence de l’Etat consacre un régime fondé sur l’impunité et compromet la
garantie des droits fondamentaux inhérents à chaque citoyen. Il n’est donc pas étonnant
que chacun veut prendre la loi entre ses mains et se faire justice. Comment se fait-il
que des groupes armés illégaux (anti-balaka et ex-seleka) orchestrent en toute impunité
des parodies de justice en vue de vouer à une mort infâme de paisibles citoyens sous
prétexte qu’ils sont des sorciers ou à cause de leur supposée affiliation soit aux
anti-balaka soit aux ex-seleka ? Comment rendre compte du fait que des brigands, des
criminels et des bandits de grand chemin qui ont le sang du peuple centrafricain sur
la main, de surcroît connus et identifiés, jouissent toujours de leur liberté de nuisance
sans être inquiétés ? 3. Menaces visant le personnel pastoral En dehors des
actes de vandalisme perpétrés contre les institutions ecclésiales et de profanation
à l’endroit de nos églises, nous condamnons avec la plus grande fermeté les innombrables
attaques orientées contre le personnel pastoral. Il s’agit notamment des menaces physiques
contre les prêtres de Ndélé, de Mala et de Bozoum, la tentative d’enlèvement du curé
de Kèmbè, l’enlèvement, la séquestration, les tortures et la tentative d’assassinat
de l’évêque de Bossangoa en compagnie de trois de ses prêtres, l’abominable et cruel
assassinat de l’abbé Christ Forman WILIBONA du diocèse de Bossangoa, la torture psychologique
imposée aux prêtres et aux religieuses de Dékoa. Les paroisses de Bokaranga et de
Ngaoundaye ont été directement attaquées, mitraillées et pillées. Les Pères et les
sœurs ont dû fuir la mission sous des menaces pour dormir quelques jours en brousse.
Le récent massacre lâche et insensé perpétré contre les déplacés du site de la paroisse
Notre Dame de Fatima, durant lequel l’abbé Paul-Emile NZALE a été abattu, prolonge
ainsi la longue liste des victimes de cette folie meurtrière. A ces faits s’ajoutent
des crimes odieux perpétrés contre les pasteurs de l’Association des Eglises Evangéliques
en Centrafrique. 4. Institutions de l’Etat en panne Les anomalies et les dysfonctionnements
susmentionnés révèlent au grand jour les limites d’un Etat en panne et dont les institutions
tournent au ralenti. a. Précarité et insécurité alimentaire Le quotidien du
peuple centrafricain est devenu précaire. L’on se demande de quoi le lendemain sera
fait. Beaucoup de concitoyens ont perdu non seulement leurs biens, mais aussi leurs
moyens de subsistance. Leurs maisons ont été saccagées. Ils sont contraints à l’errance,
vivant pour certains en brousse comme des animaux ou encore dans des camps de fortune.
En dépit d’une certaine amélioration, la situation reste préoccupante. Le mouvement
des populations indique 542.400 personnes déplacées internes (PDI) en RCA dont 117.400
sur 43 sites à Bangui, 101.731 réfugiés centrafricains au Cameroun depuis décembre
2013 et 2.5 millions de personnes ayant besoin d’une assistance . Cette situation
de nomadisme liée à l’insécurité dans l’arrière-pays empêche la reprise effective
des activités champêtres et fait planer un risque grandissant d’insécurité alimentaire. b. Risque
d’une éducation de luxe pour certains privilégiés Le droit à l’éducation est fondamental.
Nous encourageons donc les initiatives et saluons les efforts déployés par le ministère
de l’éducation nationale et les partenaires associés en vue d’assurer aux enfants
une scolarité normale. Néanmoins force est de constater qu’une large portion du territoire
national échappe totalement au contrôle de l’Etat et par conséquent le programme élaboré
par le ministère de tutelle ne touche qu’une infime partie des élèves. L’éducation
risque de devenir, dans de telles circonstances, un luxe réservé uniquement à certains
privilégiés. Que faisons-nous de la majorité des enfants qui n’ont accès ni à l’école,
ni à un enseignant, et qui sont par ailleurs privés de toute condition adéquate d’apprentissage
et d’instruction ? L’avenir d’une nation se construit sur la formation intellectuelle
et socioprofessionnelle de ses enfants. Quel choix faisons-nous donc pour la République
centrafricaine alors que les autres nations se donnent les moyens humains pour leur
développement socioéconomique ?
c. Précarité sanitaire L’impact de cette
crise militaro-politique continue à se faire sentir sur la santé de la population
centrafricaine. L’accès aux soins de santé est rendu particulièrement difficile à
cause de la mobilité incessante des populations et la grandissante insécurité qui
les a contraintes à trouver refuge en brousse. Soumis aux intempéries, à l’insalubrité,
au manque de soins de santé, beaucoup de nos frères et sœurs meurent dans l’indifférence
complète. L’avenir de notre pays ne se construira pas sur la tombe des innocents. d. Economie
exsangue La sécurisation du corridor Bangui-Garamboulaye dans l’ouest a permis
l’approvisionnement du pays à partir du Cameroun. Mais des régions entières de l’est
et du nord-est demeurent coupées du pays. La circulation des personnes et des biens
reste compromise à cause des bandes armées. Cette reprise d’activités économiques
a favorisé une petite rentrée de recettes. Toutefois l’essentiel des taxes échappe
encore aux régies financières de l’Etat et profite aux groupes armés ex-seleka et
anti-balaka. Les prix ont flambé sur nos marchés et le panier de la ménagère s’en
ressent durement. Pour son fonctionnement et la mise en place de son projet de développement,
de reconstruction et de relance de l’économie, l’Etat dépend de la solidarité internationale.
Beaucoup de promesses lui ont été faites, mais les dons tardent à se concrétiser.
e. Exploitation illégale des ressources minières et forestières Nous déplorions
la mise à sac de nos ressources minières et l’exploitation illégale de nos forêts.
Le braconnage fut légitimé en compensation de l’effort de guerre. Par ailleurs les
chefs de guerre se sont répartis les zones minières que chacun exploite à son avantage
et dans l’intérêt de la cause partisane qu’ils défendent. Les ressources minières
illégalement exploitées servent ainsi au financement de la rébellion et à la déstabilisation
du pays. f. Partition du pays en deux Certains membres de l’ex-coalition
seleka ont annoncé publiquement la partition du pays. La tenue de la convention par
les ex-seleka à Ndélé et la mise en place d’un état-major ont laissé les Centrafricains
pantois. Peut-on avoir deux états-majors dans un même pays ? Que se cache derrière
cette décision ? Pourquoi les gendarmes déployés à Bambari ne sont pas acceptés ?
Barthélémy BOGANDA a laissé un pays uni. Nous pensons que la solution à notre problème
passera par l’acceptation de l’autre. Dans l’unité, nous découvrirons la richesse
de nos différences. Aux chrétiens, nous rappelons la parole du Christ : « Que tous
soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous
eux aussi afin que le monde croit que tu m’as envoyé » (Jn 17, 21).
III. POUR
UNE SORTIE DE CRISE Les défis sont certes réels, mais la sortie de crise reste
à la portée du peuple centrafricain avec l’appui de la communauté internationale. 1. Désarmement
Face aux nombreuses exactions commises sur les populations civiles et la capacité
de nuisance des groupes armés ex-seleka, anti-balaka et LRA, quelle application faisons-nous
des différentes résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies qui déterminent
le cadre juridique de l’intervention des forces internationales en Centrafrique ?
Le désarmement n’est pas négociable. Il rentre dans l’application de ces résolutions.
Nous en demandons donc la stricte observation et condamnons les différentes interprétations
qui nous éloignent de l’esprit des résolutions et les rendent par conséquent inefficaces.
Toutefois, avant la mise en place d’un programme rigoureux de Désarmement Démobilisation
Réinsertion et Rapatriement des mercenaires (DDRR) au profit des combattants de la
seleka et des anti-balaka, il est urgent de procéder sans complaisance au désarmement
de toute personne en possession illégale d’armes de guerre. Les groupes incontrôlés
de la seleka et des anti-balaka doivent être neutralisés ; il en va de même pour les
archers et les groupes d’auto-défenses autonomes. En effet, le désarment constitue
une clé majeure dans la désescalade des tensions et dans le processus de résolution
de la crise. Frères et sœurs, il est de notre devoir de soutenir les efforts qui sont
déployés en ce sens et d’être des acteurs de paix en désarmant non seulement nos mains,
mais surtout nos esprits et nos cœurs. 2. Réhabilitation des forces armées centrafricaines
(FACA) Que dire de cette situation ubuesque où la sécurité et la protection des
citoyens sont laissées à la merci des groupes armés (ex-seleka, anti-balaka et LRA)
qui sont supposés faire l’objet d’un désarmement sans condition ? Alors que certains
établissent des structures militaires parallèles (états-majors des armées, de la gendarmerie
et de la police), empêchent les gendarmes et les policiers en poste dans les régions
sous leur contrôle à assurer leur mission de sécurité et occupent indûment les administrations,
il se pose un véritable problème quant à la souveraineté de notre pays qui manque
d’armée. Jusqu’à quand allons-nous reposer le destin de tout un peuple entre les mains
des forces étrangères ? Partout ailleurs pour de pareilles missions de paix, les forces
internationales viennent en appui aux forces nationales. Pourquoi serait-il différent
en ce qui concerne la Centrafrique ? Loin de suivre des fossoyeurs de la nation, animés
par des intérêts égoïstes et sordides, il conviendrait de procéder promptement à la
juste Réforme du secteur de sécurité (RSS), au Désarmement, Démobilisation, Réinsertion
des combattants centrafricains et Rapatriement des mercenaires (DDRR) et enfin de
ne ménager aucun effort pour réhabiliter, dans les plus brefs délais, les Forces armées
centrafricaines (FACA) et les doter de moyens adéquats pour leur mission. 3. Rétablissement
de l’autorité de l’Etat Le rétablissement de l’autorité de l’Etat sur l’étendue
du territoire se fera nécessairement par le redéploiement de l’administration et par
la lutte effrénée contre l’impunité. En effet pour des raisons flagrantes d’insécurité,
beaucoup d’endroits sont aujourd’hui abandonnés à la merci des groupes armés qui font
la loi à leur guise et convenance. 4. Cohésion sociale La crise qui mine
la Centrafrique, depuis plus d’un an, est un phénomène complexe dont les causes sont
multiples et très profondes. Or pour des raisons inavouées, un subtil déplacement
sémantique a été opéré du terrain militaro-politique au religieux. Instrumentaliser
l’antagonisme religieux semble davantage porteur de l’exacerbation de la haine et
des tensions intercommunautaires. Conscients de ce grand danger, les responsables
religieux se sont mobilisés pour dénoncer une telle manipulation qui continue à faire
des victimes innocentes. L’initiative de la plateforme s’inscrit dans cette perspective.
Ce n’est que par notre engagement pour la cohésion sociale que nous triompherons de
cette crise. Il est de notre devoir de consolider les acquis du vivre-ensemble dans
le respect mutuel et la vérité. Nous en appelons aux hommes et femmes de bonne volonté,
épris de cohésion sociale, à s’impliquer davantage dans les initiatives prises par
la plateforme interreligieuse en faveur du vivre-ensemble. 5. Dialogue Traditionnellement
l’arbre à palabre était une institution qui servait de régulateur social et permettait
à nos ancêtres de régler leurs différends. La communauté se retrouvait dans le seul
souci de sauver la cohésion sociale en faisant la vérité sur les blessures. Dans cette
perspective, le dialogue est donc un exercice exigeant qui met l’accent sur la parole,
demande l’art de l’écoute et de la remise en question. Il convient que chacun se demande
aujourd’hui : pourquoi les nombreux débats et dialogues politiques et sociaux organisés
au niveau national peinent à produire les résultats escomptés ? Tout n’est pas dans
le verbiage qu’on débite, mais davantage dans le cœur. Se parler en vérité sans faire
de petits calculs, tel est ce à quoi chacun est exhorté en conscience. 6. Paix La
paix est le premier don que le Ressuscité a fait à ses disciples : « Je vous laisse
la paix, je vous donne ma paix (Jn 14, 27a) ». En tant que croyants, nous en sommes
les porteurs et les témoins dans le monde et auprès de nos frères et sœurs. La paix
véritable est davantage une thérapie qui nous guérit de nos blessures, de la haine
et de l’esprit de vengeance qui nous enferment et nous tiennent prisonniers. Dans
les malheurs qui accablent notre peuple, continuons ensemble à promouvoir la culture
de la paix dans la justice et la vérité : « Heureux les artisans de paix, car ils
seront appelés fils de Dieu (Mt 5,9) ». 7. Pardon et réconciliation par la justice
et la réparation (Africae Munus 155) Le pardon manifeste la miséricorde et la
magnanimité de Dieu à l’égard des pécheurs que nous sommes. S’ouvrir à l’amour de
Dieu qui nous réconcilie avec nous-mêmes et avec nos frères et sœurs est la voie royale
pour nous réaliser pleinement à l’image et à la ressemblance de notre Père céleste
qui nous fait marcher dans sa lumière. Le pardon libère des ressentiments, de la haine
et de la vengeance qui mènent à la mort. Dans le contexte de la crise et de la méfiance
qui nous affectent aujourd’hui, pardonner c’est se donner la chance de regarder l’avenir
avec optimisme. Ce processus trouvera un terreau fertile dans le cadre d’une justice
transitionnelle qui permettra aux victimes et à leurs bourreaux d’engager dans la
vérité les démarches en vue de la réconciliation et de créer par conséquent des espaces
pour la cohésion sociale. Certes, les blessures saignent encore, les souvenirs
de ce que nous avons endurés sont encore frais. Mais, il faut oser s’ouvrir à l’action
de l’Esprit Saint qui est capable de nouer les relations brisées. Car, comme le témoigne
le Saint Père, le Pape François, dans son Exhortation Apostolique Evangelii Gaudium
au numéro 178 : « L’Esprit Saint possède une imagination infinie, précisément de l’Esprit
divin, qui sait dénouer les nœuds même les plus complexes et les plus inextricables
de l’histoire humaine ».
IV. CONFIANCE, TEMOIGNONS AUJOURD’HUI DE L’AMOUR
DE DIEU L’Evangile fait de nous les témoins et les hérauts de la Bonne Nouvelle.
La Bonne Nouvelle alimente notre espérance. Mais la construction d’une Centrafrique
nouvelle ne se fera pas sans nous. Nous sommes appelés à devenir « le sel de la terre
et la lumière du monde » (Mt 5,13a.14a). Aussi sommes-nous des facteurs de transformation
au sein de notre Eglise et de notre pays. Nous avons donc un rôle actif à jouer auprès
de nos frères et sœurs pour la consolidation de la paix et la cohésion sociale. Déjà,
au plus fort de la crise, nous avons su témoigner de notre attachement au Christ et
à l’homme. Dans la détresse et le désespoir, alors que Dieu semblait absent, une plus
grande piété paradoxalement a vu le jour chez nombre d’entre nous. Nous nous sommes
davantage tournés vers la prière et la confiance au seigneur. Lorsque les villages
brulaient et que les coups de feu mettaient sur le chemin de l’exile des milliers
de nos frères et sœurs, nous avions été encore très nombreux à offrir notre hospitalité,
partageant ainsi notre pauvreté avec ceux qui n’avaient plus rien. Nous nous sommes
protégés les uns les autres sans prendre en considération la région, l’ethnie et la
religion. Témoigner de l’amour de Dieu aujourd’hui en ce temps de crise et de tensions
intercommunautaires, c’est porter le message de la tolérance, de la réconciliation,
du dialogue dans le respect mutuel, la vérité et la justice (cf. Africae Munus 163).
Nous manifesterons la maturité de notre foi et notre sens de responsabilité chrétienne
en devenant les garants de nos frères et sœurs et en créant, au niveau de nos régions,
villes et communautés, des organes permanents de dialogue intercommunautaire à l’exemple
de la plateforme interreligieuse. Ceci exige de la part de tout un chacun une grande
disponibilité à l’écoute de la Parole de Dieu en vue de se laisser transformer par
celle-ci. C’est une démarche de foi que nous vous proposons pour la sortie de crise.
Chers frères et sœurs, c’est encore possible de nous en sortir. Nous ne sommes
pas seuls. Le Christ ressuscité et glorieux, source profonde de notre espérance est
toujours avec nous. Jamais son aide ne nous manquera. Avec le Pape François, nous
croyons ceci : « Là où tout semble être mort, de partout, les germes de la résurrection
réapparaissent… Il est vrai que souvent Dieu semble ne pas exister : nous constatons
que l’injustice, la méchanceté, l’indifférence et la cruauté ne diminuent pas. Pourtant,
il est aussi certain que dans l’obscurité commence toujours à germer quelques chose
de nouveau, qui tôt ou tard produira du fruit » . « Esprit Saint, fais de nous
des artisans de paix. La paix qui est amour et justice, vérité et dignité, respect
et unité. Que cette paix soit dans notre cœur, dans nos paroles et dans nos actions
».