Affaire Vincent Lambert : la décision du Conseil d'État suspendue par la CEDH
(RV) Entretien - C’était une décision très attendue en France, Vincent Lambert
tétraplégique en état végétatif depuis un accident de la route en 2008, ne sera plus
maintenu en vie. Le Conseil d'Etat a tranché mardi. Une décision de la plus haute
juridiction française aussitôt suspendue par la Cour Européenne des Droits de l’Homme
dans la soirée, qui avait été saisie en urgence par les parents de Vincent Lambert.
Le cas de Vincent Lambert sera examiné sur le fond et la suspension durera le temps
de la procédure de la CEDH, soit plusieurs mois. Pour le moment donc, rien ne change
concernant le traitement de Vincent Lambert.
Depuis plusieurs années, cet ancien
infirmier de 38 ans est au cœur d’un véritable drame familial : ses parents souhaitant
qu'il soit maintenu en vie, son épouse, son neveu et le corps médical réclamant eux
l'arrêt des soins, en raison du caractère irréversible des lésions et considérant
que cela respectait sa volonté. Vendredi dernier le rapporteur public, Rémi Keller,
avait préconisé un arrêt des soins.
L’abbé Pierre-Hervé Grosjean, Secrétaire
Général de la Commission Ethique & Politique du Diocèse de Versailles, réagit
à cette décision de justice. Il est interrogé par Jean-Baptiste Cocagne :
C’est une
décision très grave qui a été prise pour la première fois depuis longtemps en France.
Une juridiction a donc décidé la mort d’un homme car il faut être honnête et au moins
respecter la vérité des mots. D’ailleurs, l’arrêt des soins, c’est bien la mort d’un
homme qui a été décidée. Cette décision est aussi extrêmement lourde puisqu’il y a
1.500 patients en France qui sont dans la même situation que Vincent Lambert. Et la
décision du Conseil d’État pèsera évidemment lourd sur leur devenir. Ensuite, cette
décision repose vraiment la question de la fin de vie. Il faut rappeler que Vincent
Lambert n’était pas en fin de vie et qu’il pouvait continuer à vivre. Il respirait
par lui-même, etc. Simplement, étant tétraplégique, il ne pouvait pas s’hydrater et
s’alimenter par lui-même. Est-ce que cette alimentation, cette hydratation est considéré
comme un traitement abusif et disproportionné ou comme simplement un soin dû à toute
personne ? Le Conseil d’État a tranché en disant que c’était de l’acharnement thérapeutique,
donc un traitement disproportionné. C’est un cas, une situation douloureuse, délicate
et compliquée. J’imagine que les juges ont pris leur décision en conscience et sans
légèreté. Mais je crois que cette décision est très grave parce que ce n’est rien
de moins que la mort d’un homme qui a été décidée.
Il y a un vrai risque
de jurisprudence, sachant que le Conseil d’État est la plus haute juridiction en France
? Bien sûr et plusieurs associations de malades ont exprimé le risque que
ce jugement-là fasse loi en quelques sortes. Il y a là quelque chose d’absolument
bouleversant et je dirais même, quelque soit la position de chacun, qu’une juridiction
humaine puisse décider si la vie d’un homme vaut la peine d’être vécue.
Dans
les termes précis, le Conseil d’État parle d’une obstination déraisonnable pour le
maintien en vie de Vincent Lambert. C’est là où il y a un vrai désaccord de
fond. C’est que Vincent Lambert n’a pas de traitement qui le maintienne en vie. On
parle là simplement et uniquement de l’alimentation et de l’hydratation. Beaucoup
d’autres personnes lourdement handicapées ne peuvent pas s’alimenter par elles-mêmes.
Beaucoup disaient que l’alimentation et l’hydratation ne peuvent pas être considérées
comme des traitements disproportionnés relevant de l’acharnement thérapeutique. Vincent
Lambert n’était pas en fin de vie. Vincent Lambert est lourdement handicapé. C’est
d’ailleurs pour cela qu’il est étonnant de réclamer dans ce cas l’application de la
loi Leonetti qui a été faite pour la fin de vie. Le doute doit bénéficier à la vie.
Vincent Lambert n’a pas exprimé le désir de mourir. Faire dépendre la valeur d’une
vie de sa capacité de relation, c’est condamner beaucoup de personnes.
Photo
: le président du Conseil d'État Jean-Marc Sauve