(RV) Entretien- Les inquiétudes pour la protection de la vie grandissent en
Europe. Le 17 juin, le comité d’éthique de l’Institut national de la santé et de la
recherche médicale a fait des propositions pour « faciliter et promouvoir » en France,
les recherches sur l’embryon.
En Suisse, le pays est en plein débat sur l’autorisation
du diagnostic préimplantatoire et la procréation médicalement assistée. Début juin,
le Conseil national a décidé d’autoriser le diagnostic pour les couples risquant de
transmettre une maladie grave à leur enfant. Juste avant, le Conseil des Etats
s’était penché sur les modifications de la Constitution fédérale et de la loi fédérale
sur la procréation médicalement assistée.
Une situation qui inquiète beaucoup
les évêques suisses. Selon François-Xavier Putallaz, membre de la Commission «
Bioéthique » de la Conférence des évêques suisses, on assiste à un phénomène paradoxal
en Suisse, comme dans d’autres pays en Europe.
Quels sont
donc les particularités en Suisse ? Le problème qui se pose pour la fin de
vie, c’est qu’on assiste à une pente glissante, c’est-à-dire que les indications qui
sont utilisées par les associations d’aide au suicide qui sont nombreuses en Suisse,
s’élargissent de plus en plus. Au début, c’était pour des malades en fin de vie qui
étaient par exemple dans un cancer en phase terminale. Ensuite, c’est pour des malades
chroniques dont les souffrances sont lourdes. Maintenant, ce sont pour des gens qui
ont des poly- pathologies et puis pour des personnes âgées, fatiguées de vivre, etc.
Donc on voit que l’élargissement des indications conduit sur ce qu’on appelle une
pente glissante. Et l’idéologie, c’est qu’on ne respecte pas la dignité humaine alors
que toutes les associations s’appellent « Dignitas », « Aide pour le droit de mourir
dans la dignité ». On respecte beaucoup moins la dignité objective de la vie humaine
que l’individu, la liberté individuelle qui s’autoproclame souveraine. Et ça, c’est
l’une des raisons pour lesquels les évêques ont une inquiétude.
Est-ce
que vous avez l’impression que les évêques suisses sont entendus sur ces questions
? Absolument pas parce que dans nos sociétés, dès que c’est une autorité religieuse,
en particulier les évêques se prononcent, la population a l’impression que c’est
une position confessionnelle, c’est la position de l’Église catholique. Bien sûr,
c’est une position catholique mais elle est de surcroît humaniste et c’est cet aspect
de rejaillissement de la foi, de la grâce dans la vie de tous les jours qui est difficilement
reçu dans nos sociétés. On assiste à une montée de ce qu’on appelle un eugénisme libéral,
non plus l’eugénisme racial où finalement ce sont les préférences individuelles qui
deviennent le critère. Et souvent, ces préférences individuelles sont guidées par
les lois du marché. Alors, c’est difficile mais ce sera toujours ainsi. La voix de
l'Évangile doit être dite à temps et à contretemps parce que l’Église, c’est l’Évangile
qui continue.
Vous parlez donc de l’émergence d’un eugénisme libéral. Qu’en
est-il au niveau européen ? Le mouvement est le même. Simplement, par exemple
pour l’aide au suicide, la Suisse a un cran d’avance (je ne dis pas de progrès mais
d’avance) et le problème est le suivant : il est possible que des pays environnants
se greffent sur la pratique de la Suisse. En revanche pour le diagnostic préimplantatoire,
c’est l’inverse. Plusieurs pays comme l’Espagne, la Belgique autorisent depuis plusieurs
années ce diagnostic et alors la Suisse s’adapte à la situation des autres pays. Et
finalement, ce mouvement conduit progressivement à une baisse de vigilance parce qu’on
adapte finalement l’éthique aux pratiques des autres pays. Autrement dit, on va de
plus en plus vers un plus petit dénominateur commun. Et dans ce sens-là, ce n’est
pas le rôle de l’éthique de s’adapter à la pratique, c’est le rôle de l’éthique d’indiquer
des voix qui sont normatives, qui sont belles pour essayer d’orienter la pratique
médicale dans un sens plus humain.
Et alors, qu’est-ce qui se joue aujourd’hui
concernant la protection de la vie ? D’abord, la protection des personnes
et des individus humains vivants, qu’ils soient avant la naissance ou alors en fin
de vie. Mais plus gravement, il y a un problème politique, c’est qu’on voit un glissement
extrêmement inquiétant pour nos démocraties que je résumerais en un mot : « c’est
un glissement de la défense des droits de l’homme, c’est-à-dire de la dignité objective
des personnes vers quelque chose qui est son ennemi ou en tout cas son opposition
qui est une sorte d’exaltation des droits de l’individu qui s’ouvre. Et c’est cet
aspect là, sous couvert de relativisme, sous couvert de tolérance qui au nom même
de la démocratie risque d’éroder, c’est-à-dire de saper progressivement les fondements-mêmes
du système démocratique.