Camouflet pour l’Argentine. La Cour suprême des Etats-Unis a refusé de prendre en
compte un ultime recours de Buenos Aires sur sa dette, donnant raison à des fonds
spéculatifs qualifiés de « vautour ». L’Argentine paiera sa dette, mais se retrouve
en difficulté.
Déjà, l’agence de notation Standard and Poor’s a abaissé de
deux crans la note de la dette argentine. La décision américaine augmente les risques
d’un défaut de paiement du pays selon l’agence.
Damien Millet est le vice-président
du CADTM, le Collectif pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde. Il est interrogé
par Marie Duhamel
L’Argentine
a essayé de taper du poing sur la table en 2001. En 2005, elle a négocié avec la plupart
de ces créanciers un accord qui permettait de réduire considérablement sa dette et
là aussi, en tapant du poing sur la table. Certains « fonds vautours » ont refusé
de rentrer dans ce système-là. On garde leurs créances. Et puis finalement, au bout
de quelques années, alors que c’est paradoxalement la réduction de dettes qu’ils ont
réussi à obtenir qui a amélioré sa santé financière, et bien, comme la santé financière
de l’Argentine s’améliorait, ses créanciers sont sortis du bois et l’ont attaqué en
justice pour récupérer non seulement la totalité de leurs créances mais en même temps,
des intérêts de retard avec des pénalités puisqu’ils ont dû patienter de nombreuses
années avant de les obtenir. Le peuple argentin va se saigner aux quatre veines pour
rembourser des « fonds vautours » qui n’ont fait rien d’autre que de racheter des
créances au bon moment, attendre que d’autres créanciers sacrifient eux-mêmes une
partie de leurs créances pour eux, empocher le magot.
Est-ce que vous pensez
que ce genre de décision judiciaire peut avoir des conséquences néfastes pour d’autres
pays qui seraient aussi endettés ? Oui, ça va faire ricochet. Quand certains
pays vont tomber dans le problème du surendettement. Dans les mois ou dans les années
qui viennent, les créanciers vont changer leurs regards. La prochaine fois, il va
se passer quoi ? Et bien la prochaine fois, les créanciers vont dire « Attendez, on
nous dit qu’il n’y aura pas d’autre remboursement plus généreux que celui-là mais
si ça se trouve, la Cour Suprême des États-Unis l’imposera d’elle-même ». Donc, il
suffit qu’on laisse filer et si tout le monde laisse filer, il n’y aura pas de restructuration
de la dette. Et comme en Grèce, ça va être le peuple qui peut payer le prix fort.
Donc, on voit bien ce qui en est de la part des créanciers privés. Ils veulent faire
des profits, ils essayent de sortir dans les meilleures conditions possibles. La Cour
Suprême vient leur donner un outil supplémentaire. Ils n’avaient pas besoin de ça.
Au contraire, les populations avaient besoin d’un vrai soutien qu’ils n’ont toujours
pas.
Du coup, quel genre d’outils existe-t-il pour éviter ce genre de jeux
de dominos qui serait néfaste aux populations ? Il y a les doctrines juridiques
sur lesquelles on pourrait s’appuyer pour obtenir l’annulation de la dette. La notion
de dette odieuse, par exemple, c’est une doctrine juridique très précise qui dit que
si une dette n’a pas été contractée dans l’intérêt d’une population mais simplement
dans l’intérêt d’un régime autoritaire, dictatorial ou corrompu pour renforcer son
pouvoir, alors cette dette est odieuse et elle n’a pas à être remboursée par le peuple
concerné ou par un gouvernement démocratique qui remplacerait cette dictature. Le
droit peut nous donner des outils très précis et très précieux, comme l’état de nécessité.
C’est de dire qu’un gouvernement n’a pas le droit de sacrifier les conditions de vie
de ses populations, simplement pour le remboursement de la dette. Dans beaucoup de
pays du sud, on peut invoquer cet état de nécessité pour dire « Non, nos peuples ont
assez remboursés. Maintenant, les sommes qu’on a, c’est pour le développement humain
et ce n’est pas pour le remboursement de la dette » parce que dans les textes internationaux,
il est bien précisé que les droits humains fondamentaux qui influent dans les droits
de l’homme sont supérieurs aux droits des créanciers. On peut aussi aller chercher
une notion comme le cas de force-majeur, de dire entre le moment où on a signé le
prêt et le moment d’aujourd’hui, les conditions ont changées parce que les évènements
internationaux ont une actualité qui va très vite. Et finalement, on estime que maintenant,
on a plus à rembourser cette dette parce qu’on a plus les moyens de le faire ou parce
qu’elle devient illégitime. Et puis simplement, la révolte d’un peuple peut aussi
être une condition suffisante d’un peuple qui a dit « jusque là, on estime que le
remboursement de la dette était légitime mais à partir d’aujourd’hui, vu la dégradation
des conditions de vie, on estime que cette dette est illégitime ». Il y a cette notion
d’illégalité de la dette mais il y a aussi cette notion d’illégitimité. Il faut déterminer
si la dette est illégitime ou pas et pour ça, il n’y a pas d’autres idées que de faire
un audit. C’est-à-dire qu’il faut demander exactement tous les contrats de prêt qui
ont été signés, d’où vient cette dette, quelle histoire elle a, quelle origine elle
a, qui sont ceux qui l’ont contracté. Pour faire quoi ? Parce ce qu’on peut très bien
signer un contrat de prêt pour construire un hôpital mais est-ce qu’il y a eu un hôpital
de construit ? Voilà, faire un audit très précis. La part qui est légitime et qui
a servi au développement humain, bien sûr qu’elle doit être remboursée. Maintenant,
la part illégitime qui aurait été détournée, qui aurait servie à construire des éléphants
blancs, qui aurait servi à aider les entreprises étrangères et pas du tout à faire
des infrastructures utiles pour les populations…cette part-là, elle est illégitime
et il y a un bon fondement pour dire « on répudie cette part-là, on ne la rembourse
pas. Nous maintenant, on garde l’argent, la richesse qu’on arrive à produire pour
le développement humain de nos populations ».
Mais est-ce que ces notions
juridiques ou ces textes de loi ont de la valeur, notamment pour la Cour Suprême américaine
? Bien sûr, ces textes ont de la valeur puisqu’ils ont déjà été appliqués.
Et pour la petite histoire, la première fois que la notion de dette odieuse a été
appliquée, c’était justement en faveur des États-Unis. Il y a eu une guerre en 1898
entre l’Espagne et les États-Unis pour le contrôle de Cuba et d’autres îles comme
par exemple les Philippines. À ce moment-là, les États-Unis ont gagné la guerre et
l’Espagne réclamait aux États-Unis la dette qu’elle avait contractée pour coloniser
Cuba. Les États-Unis ont dit « il est hors de question qu’on vous rembourse cette
dette. C’est une dette qui vous a permis à tous de coloniser Cuba et ce n’est pas
du tout une dette de l’île de Cuba ». Et il y a eu un tribunal qui a donné raison
aux États-Unis. Cette dette n’a pas été remboursée. Je crois que l’Argentine a beaucoup
donné aussi parce qu’en Argentine, il y a eu une dictature militaire entre 1976 et
1983. Cette dictature a surendetté le pays. Après la dictature, on a eu un gouvernement
de Raoul Alfonsin qui n’a pas du tout dit « cette dette est odieuse, on ne la rembourse
pas » mais qui a continué à la rembourser, qui a crée de nouvelles dettes pour rembourser
la dette de la dictature. Ensuite, il y a eu le gouvernement de Carlos Menem qui était
corrompu jusqu’à la moelle et puis qui a encore surendetté le pays jusqu’à ce qu’il
s’effondre en 2001. Donc aujourd’hui, une grande part de la dette de l’Argentine est
issue de cette dette odieuse, a servi à rembourser cette dette odieuse et elle n’a
pas à être remboursée par le peuple argentin.
Puisque les gouvernements
argentins n’ont rien fait après la période de la dictature voire se sont servis, etc.
Qui peut aujourd’hui faire valoir le crime odieux pour pouvoir récupérer cet effacement
de la dette ? Est-ce que c’est encore possible ? Une dette qui sert à rembourser
une dette odieuse est elle-même odieuse. Donc, à partir de ce moment-là, il est intéressant
de faire valoir cet argument-là, même plusieurs années après en expliquant que les
gouvernements précédents, même s’ils étaient le résultat d’élections, ne prenaient
pas en compte l’intérêt des populations et par exemple, ce gouvernement veut le faire
en mettant en avant cette doctrine là. Il faut bien sûr mener le combat.
Photo : manifestations près de l'ambassade américaine à Buenos Aires, en Argentine