Mondial au Brésil : « un loisir ne doit pas se dérouler dans l'absurdité »
(RV) Entretien - A partir de jeudi et pendant un mois le Brésil va vivre au
rythme de l’évènement sportif de l’année, la coupe du monde de football. Mercredi
la présidente Dilma Rousseff a affirmé que le Brésil était « prêt sur et en dehors
des terrains ». Pourtant en début de semaine, des manifestations ont encore eu
lieu à Sao Paulo, là où va se jouer jeudi le match inaugural.
Les grèves se
sont multipliées ces dernières semaines à travers tout le pays. Les manifestants ont
dénoncé les milliards de dollars dépensés pour le Mondial au lieu de les investir
dans les transports, la santé ou l’éducation. Ces dépenses faramineuses ont aussi
été critiquées sévèrement par l’Église brésilienne. Elle déplore qu’aucune mesure
de lutte contre la pauvreté n’ait été prise et elle craint que la traite des êtres
humains et l’exploitation sexuelle, un fléau très répandu au Brésil, s’accentuent
à l’occasion du Mondial.
Mgr Dominique-Marie You, est l’évêque de Conceiçao
do Araguaia, dans le nord du pays. Il regrette l’absence de réaction face aux
demandes de la population. Il est interrogé par Audrey Radondy :
Les manifestations
ont commencées de façon assez spontanée et puis finalement, peu à peu, elles se sont
organisées. Mais il faut être sincère, ces manifestations n’ont pas été entendues.
On a fait semblant de les entendre. Et on n’a pas réellement répondu aux attentes
de ce million de jeunes qui ont passé ces derniers mois dans la rue.
Et
que craignez-vous qu’il se passe en marge de la Coupe du Monde ? Notre jeunesse
est très vulnérable au tourisme sexuel. On perdra beaucoup de nos enfants. Appeler
tant de touristes à la fois, n’étant pas capable de les contrôler, de les dominer,
pour être sincère, on sait que ça va laisser des traces graves dans le pays. Et ce
n’est pas qu’autour des stades, c’est le Brésil entier qui porte cette plaie. De très
lourds points d’interrogation sont posés dans une situation sociale et politique qui
n’est pas très brillante. Ca fait déjà trois ans qu’on sent que le progrès qui a commencé
au Brésil est un peu en train de patiner et que finalement, la Coupe du Monde arrive
dans une période très défavorable. Craindre ou pas des manifestations violentes pendant
la Coupe du Monde, je crois que pour le moment, personne ne peut répondre à cette
question. J’ai deux chiffres dans un sondage qui est sorti il y a quelques jours seulement
: 54% des brésiliens considèrent que la Coupe va apporter plus de préjudices que d’avantages
et le deuxième aspect qui est bien complémentaire et typique du Brésil, c’est que
65% des brésiliens auraient honte si le mondial était perturbé par les manifestations.
Quel
rôle a prévu de jouer l’Église pendant le mondial ? Elle a édité un tract qui
fait des vagues. Elle commence par désigner un certain nombre de cartons rouges, de
préoccupations : l’exclusion de millions de citadins, l’éloignement de familles et
de communautés pour la construction d’œuvres gigantesques, l’approfondissement des
inégalités. Et puis, on explique aussi que la réelle victoire, ce serait que les populations
des quartiers et les personnes en situation de rue puissent être protégés, que la
législation du travail s’applique à l’égard de tous ceux qui vont travailler directement
ou surtout, indirectement, autour de la Coupe du Monde, que des actions efficaces
soient faites pour empêcher le travail-esclave, la traite d’êtres humains et que les
mouvements sociaux ne soient pas criminalisés mais que soient respectés leurs droits
par des manifestations de rue. Ce que je vois aussi et qui est positif, c’est qu’il
y a des jeunes (et j’en ai dans mon diocèse) qui, venant pour la Coupe du Monde, passent
un mois dans le diocèse pour aider les plus pauvres.
Et pour terminer,
est- ce que vous avez un appel à lancer ? Ce serait que cette Coupe du Monde
au Brésil fasse réfléchir sur les prochaines Coupes du Monde. On ne peut pas laisser
un loisir se dérouler dans l’absurdité. Les choses ont un sens et si on ne respecte
pas le sens des choses, on détruit tout et on se détruit soi-même. Le loisir, comme
le sport, est fait pour construire les personnes humaines. Il est fait pour construire
la fraternité, non pas pour la détruire. Et il est très certain que la FIFA a besoin
de se mettre à l’heure de l’éthique et peut-être que la Coupe du Brésil peut provoquer
ce réveil de la conscience pour que l’éthique soit considéré comme première et que
les intérêts financiers se mettent au service et non pas au préjudice de la dignité
de la personne humaine, de la paix et de la fraternité que le sport vise et sait si
bien promouvoir.