2014-06-12 15:46:09

Mgr Sleimane nous confie son effroi pour l'Irak


(RV) Entretien- L’Irak, au bord de l’implosion, retient son souffle, tandis que ses villes tombent une à une sous la férule des milices jihadistes de l’Etat islamique en Irak et au Levant. D’abord Mossoul, puis Tikrit. Les populations de ces régions se sont lancées dans une fuite éperdue, laissant tout derrière elles, peut-être sans espoir de retour.

La ville de Samarra est à son tour le théâtre de combats entre insurgés et forces de sécurité irakiennes, dépassées par les évènements. Si la ville tombe, la route vers Bagdad s’ouvrirait pour les jihadistes, qui brûlent de faire tomber le gouvernement de Nouri Al-Maliki.

L’inquiétude gagne les bagdadis. Parmi eux, les chrétiens, une communauté réduite à peau de chagrin qui suit avec effroi l’accélération des évènements.

Mgr Jean-Benjamin Sleimane, archevêque latin de Bagdad, témoigne au micro de Manuella Affejee : RealAudioMP3

Moi, je pense que dans tout l’Irak, il y a une appréhension, une peur et des craintes que les ordres ne soient pas seulement réservés au nord. Donc, il y a certainement un état d’esprit assez tourmenté.

Que se passerait-il si Bagdad tombait aux mains des jihadistes ? Est-ce que c’est une hypothèse que vous envisagez ? Est-ce plausible une hypothèse plausible dans les prochaines heures ?
C’est une hypothèse qui est plausible mais je ne pense pas qu’elle soit réalisable. Je pense que c’est un coup dur pour tout le leadership irakien. Il faut peut-être avoir plus de consensus entre les leaders, former un gouvernement, etc. Je pense que ça peut être le résultat de ce choc.

Donc, vous seriez pour la formation d’un gouvernement d’union nationale ?
Certainement, mais un vrai parce qu’on est quand même dans des pays, dans des sociétés dont la structure est verticale, avec des divisions confessionnelles, une mentalité tribale. On ne peut pas lui appliquer toutes les règles d’une société occidentale.

Ce qui arrive en ce moment n’est pas sans rappeler les années noires de 2006-2007 avec la guerre confessionnelle entre sunnites et chiites qui a fait des dizaines de milliers de morts. On sait aujourd’hui que les chiites n’excluent pas l’idée de prendre les armes. Est-ce qu’on va vers une guerre civile ?
Je ne sais pas. En tout cas, on sait quand ça commence mais on ne sait pas comment ça va se développer ni quand ça va finir. Mais il y a aussi un appel à porter les armes par les leaders sunnites contre les miliciens. Le gouverneur de Ninive a demandé à tout le monde de s’armer, de défendre la ville, etc. Donc, ça peut être plus une alliance qu’un conflit.

Et les chrétiens d’Irak dans tout ça ?
Vous les avez vus, eux aussi sont terrés dans leurs maisons, dans leur peur. Et notre crainte, c’est que les migrations qui sont un exode vont augmenter.

Vues toutes les atrocités qu’on sait que les jihadistes commettent en Syrie, est-ce que vous avez une crainte particulière ?
Certainement. On a l’exemple de la Syrie où il y a beaucoup d’atrocités. D’ailleurs, ces derniers jours, des soldats ont été justiciés sauvagement. Donc, toutes les horreurs sont à prévoir. Mais il faut dire aussi que pour ce genre de chose, il n’y a pas que les irakiens. Il faut chercher qui a intérêt, soit dans la région du Moyen-Orient, soit ailleurs. Les choses ne se font pas seulement ici. Le terrain fertile à ce genre d’opérations, c’est l’Irak. Mais les interventions téléguidées, on ne les voit pas et elles sont puissantes. Ce coup de Mossoul et de Ninive et peut-être d’autres endroits est un coup de maître. Il n’est pas simplement mis en œuvre par les miliciens.

Donc, vous pensez qu’ils reçoivent une aide extérieure très importante ?
Les services de renseignements sont les diables de notre temps, ce sont les princes de notre temps. Donc, il ne faut pas les oublier. On ne les voit pas, on ne peut pas les contrôler mais ils existent. Il y a beaucoup de choses qui ne s’expliquent pas comme ça spontanément. Ce n’est pas que les miliciens se sont réveillés un jour et ils ont décidé de l’occupation. Il y avait plus de 60.000 soldats et policiers dans la province de Ninive. Et ce n’était pas possible. Pourquoi se sont-ils retirés ? Pourquoi il y a t’il des généraux qui ont désertés ? Il y a beaucoup de questions qui sont posées. Je ne les connais pas toutes et je n’en connais pas les réponses. Mais il y a un climat de doutes sur la tenue des soldats, des policiers, etc. Et les leaders aussi.

Mais alors, quel serait le but ultime de ceux qui sont derrières ces jihadistes ?
Vous savez, nous sommes menacés depuis des années par une refonte du Moyen-Orient. On parle souvent du changement des frontières, de Sykes-Picot, le fameux accord au lendemain de la première guerre mondiale. Et il y a beaucoup d’intérêts dans la région : des intérêts géopolitiques, économiques, financiers et tout ça. Donc, le terrain est un terrain fertile parce que les gens disent que c’est encore très archaïque. On est encore victime de son appartenance ethnique, de son appartenance confessionnelle. Il y a rarement des leaders qui essayent d’illuminer leurs peuples. Les sociétés d’aujourd’hui ne doivent plus être basées sur la confession religieuse. Et il ne faut pas accepter qu’on tombe tout le temps dans le piège de la guerre sunnite-chiite. Donc, il y a beaucoup de choses à révéler mais nous sommes dans un monde où les forces voient avant tout leurs propres intérêts. Je crois que le cri du Pape sur le lieu du baptême en Jordanie, contre les vendeurs d’âmes et d’autres semblables, moi je pense qu’il est aussi valable pour ici et pour ailleurs.

Mgr Sleimane, vous êtes donc sur les ondes de Radio Vatican. Est-ce que vous désirez lancer un appel ?
Vous savez, notre appel, notre désir profond, c’est vraiment la paix. Moi, je souhaite que les irakiens s’unissent aujourd’hui parce que leur conflit, leur guéguerre, ce n’est pas sérieux tout ça. Ce qui est important, c’est vraiment l’unité de leur pays, c’est l’entraide entre eux, c’est la bonne répartition des ressources qui sont immenses et riches. Moi je crois qu’il faut un peu plus de raison et moins de sectarisme tribal ou religieux.









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