(RV) - Entretien - L’Irak s’enfonce un peu plus dans le chaos. Les insurgés
de l’Etat islamiste en Irak et au Levant ont pour la première fois pris mardi la
totalité d’une province, la province pétrolière sunnite de Ninive au nord dont le
chef-lieu est Mossoul, la deuxième ville du pays.
Une offensive inédite qui
porte un coup dur au pouvoir central et qui témoigne de la situation sécuritaire de
plus en plus chaotique en Irak, alimentée par les luttes d'influence politique, les
tensions confessionnelles entre chiites et sunnites ainsi que par le conflit en Syrie
voisine. Le premier ministre irakien a demandé au Parlement de déclarer l’état d’urgence
et affirmé que le gouvernement fournirait des armes à tous ceux qui veulent combattre
les insurgés.
Pour Gérard Chaliand, les islamistes se vengent après
deux défaites, à Samarra la semaine dernière notamment, mais surtout, estime le spécialiste
de l'étude des conflits armés et des relations internationales et stratégiques,
le gouvernement chiite subit les conséquences de 10 ans de frustrations sunnites.
Des propos recueillis par Marie Duhamel
Cette guerre
d’Irak n’a jamais cessée depuis 2003. En 2003, ce qu’on a appelé le terrorisme à l’époque
et qui était essentiellement sunnite se manifestait d’emblée contre la présidence
américaine dans la mesure où le nouveau régime était un régime chiite. 60% de la population
est chiite. Donc, il y a eu un refus absolu de la minorité sunnite qui représente
environ 20% de la population et qui s’est trouvée alimentée depuis trois ans maintenant
par l’assaut porté par l’ensemble des sunnites, qu’ils soient radicaux ou pas, contre
le régime alaouite, c’est-à-dire rallié à l’Iran de Bachar Al-Assad. Donc, nous sommes
dans une configuration générale où il y a le Liban, l’Irak et la Syrie dont les trois
états sont étroitement liés et dernièrement, les sunnites se sont manifestés à Samarra,
et ils se sont également manifestés dans d’autres villes. Ils ont été battus. L’armée
a réagi et maintenant, ils viennent de prendre l’offensive à Mossoul.
Mossoul,
c’est quand même la deuxième ville du pays. Est-ce que c’est une localité importante
pour les sunnites ? Mossoul, c’est une des places fortes et notamment, l’une
des rives. La rive en quelque sorte gauche est tenue par les kurdes et la rive droite
a toujours été tenue par les sunnites qui étaient à l’époque appuyés par Al-Qaïda.
Maintenant, ce n’est plus Al-Qaïda, c’est ce mouvement Abou Bakr al-Baghdadi qui estime
que l’Irak et la Syrie devrait constituer une seule entité.
Mais pourquoi
Mossoul ? Qu’est-ce que ça va changer ? Ça change qu’on se rapproche de la
frontière syrienne. Ça change effectivement une partie du pays si le conseil sunnite
continue à être couronné de succès. Ça change que Tikrīt qui est la ville dont était
issu l’ancien dictateur et Mossoul peuvent échappées, le cas échéant au contrôle de
l’État, c’est-à-dire qu’on peut avoir une sorte de morcellement éventuel. Ceci dit,
on n’en est pas là. Je crois qu’on va avoir une contre-offensive considérable, le
temps de l’organiser. Le gouvernement n’a pas d’autre choix que d’essayer de les en
déloger.
Est-ce que l’armée en a la capacité ? En principe, avec
la formation qui a été donnée par les troupes américaines, l’armée irakienne est de
qualité correcte. Elle est bien armée. Son degré de motivation va dépendre de la secte
à laquelle appartiennent les soldats mais je sais que les officiers sont en très grande
majorité des chiites. Et une bonne partie des troupes également.
Mais si
les soldats irakiens sont formés, qu’ils ont des armes, pourquoi est-ce qu’ils ont
échoué à Ramadi et surtout à Falloujah ? Parce que ce sont vraiment les places
fortes absolues des sunnites. Même du temps des américains, ils n’ont pas pu reprendre
véritablement Falloujah. En ce qui concerne Mossoul, la partie va être très dure mais
je crois que les troupes de monsieur Maliki devraient pouvoir l’emporter. En tout
cas, si elle ne l’emporte pas, ce serait le début de la déliquescence du contrôle
exercé par le gouvernement de monsieur Maliki et des chiites à l’intérieur de l’Irak
actuel. Enfin, tout cela indique que l’érosion du système chiite a commencé et qu’il
va continuer et que tout ceci va aller de pair avec ce qui se passe en Syrie. Ce point
de fixation de la Syrie augmente énormément la capacité combattive des sunnites dans
la région.
Globalement, est-ce que les sunnites irakiens soutiennent l’État
islamique en Irak et au Levant ou est-ce qu’ils sont divisés ? Ils sont divisés
dans la mesure où tout le monde parmi les sunnites n’est pas un islamiste radical.
Mais en tant que sunnites, quels qu’ils soient, ils ne peuvent que se réjouir des
déboires qui peuvent arriver au gouvernement chiite de monsieur Maliki. Donc, même
si vous n’êtes pas participant, vous êtes plutôt sympathisant dans la mesure où votre
ennemi principal, c’est le gouvernement chiite de monsieur Maliki.
Quelle
peut être la réponse politique de Nuri Al-Maliki ? Politiquement, il est relativement
isolé. C’est-à-dire que même à l’intérieur du mouvement chiite, il ne fait pas l’unanimité.
Il est en difficulté. Ce qu’il pourrait essayer de faire, c’est un gouvernement d’union
de tous les chiites, y compris avec des gens comme Moqtada Al-Sadr, etc. Et cela,
je ne sais pas s’il est décidé à le faire. En tout cas, la situation devient de plus
en plus tendue et les questions de sécurité en Irak deviennent la question principale.
On
ne peut pas imaginer des législatives anticipées. Ça, ça n’existe pas par exemple. Non
et ce n’est pas la première fois que des élections se passent et qu’on met six mois
à trouver un nouveau gouvernement. Ça s’est déjà produit du temps de la présence américaine.
Donc, les difficultés pour dégager un consensus sont considérables dans une société
qui reste encore extraordinairement liée du point de vue religieux et en même temps,
fort divisé du point de vue des tendances politiques.
Pour vous, la réponse
ne peut être finalement que militaire. Absolument. Pour l’instant, la réponse
est militaire. Il faut montrer sa capacité d’imposer en fin de compte ce qu’il appelle
l’ordre et la loi à l’intérieur du périmètre qui est celui de son état.