(RV) Entretien- Le viol en temps de guerre : c’est le thème d’un sommet sans
précédent qui s’ouvre ce mardi à Londres. Il sera présidé par le chef de la diplomatie
britannique William Hague et par une star d’Hollywood, Angelina Jolie. Pendant quatre
jours, des ministres des Affaires étrangères, des policiers et des juristes vont tenter
de mettre au point une stratégie pour combattre le recours au viol comme arme de guerre.
A
cette occasion, nous vous proposons le témoignage d’une femme qui a fait de ce combat
une des priorités de son apostolat. Sœur Victoria Chiharhula Msola est une missionnaire
de Notre Dame d’Afrique. Elle est originaire de Bukavu, en RDC. Elle est actuellement
coordinatrice du projet Justice, paix et intégrité de la création, au niveau de sa
congrégation
De 2000
à 2007, j’étais basé à Bukavu. C’était le moment de la guerre et pendant ce temps,
tant de violences se sont passées. Alors, lorsque j’avais un peu de temps libre, je
partais avec les équipes de la Caritas dans les villages détruits où on a brulé des
maisons, où on a violé des femmes en masse, où on a massacré et on a pris des jeunes
filles en forêt, etc. Nous allions pour apporter un réconfort à ces gens. On amenait
des vivres et nous passions des nuits entières à écouter des histoires qui, si on
ne les vit pas, nous semblent de la fiction.
Est-ce que cette réalité
que vous avez connue perdure aujourd’hui ? Il tend à diminuer grâce à la défaite
du Mouvement du 23 mars qu’on appelle le M23 et tous les efforts qu’on fait pour sensibiliser
la population. Mais, ça continue.
La violence sexuelle pendant les guerres,
ça a toujours existé. Mais ce qui a caractérisé les violences de ces dernières années,
c’est qu’il y a derrière une stratégie. Est-ce que vous me confirmez cet aspect des
choses ? La violence exercée pour détruire des populations, pour détruire des pays.
C’est justement quand on voit l’étendue, les méthodes, la méchanceté avec
laquelle les violences sont commises. J’ai vu les groupes d’âge qui sont compris entre
18 mois et 75 ans. Ils entrent dans un village et ils font des viols systématiques.
Après avoir violé les femmes, ils commencent à détruire leurs organes génitaux. Ils
les coupent à la baïonnette, au couteau, avec des morceaux de bois, des fusils. Ces
dernières années, on est même en train d’utiliser de l’acide pour brûler complètement
les organes génitaux des femmes. Ça, c’est une volonté d’éliminer ce peuple car quand
on détruit les femmes, on détruit la vie.
Vous parliez du M23. Est-ce que
ces méthodes horribles que vous venez de décrire sont adoptées par d’autres groupes
? Ce n’est pas seulement le M23 qui adopte ces méthodes. Il y a des FDLR dans
la forêt. Dans les villages que j’ai visité, c’étaient surtout les FDLR qui commettaient
ces crimes. Mais il y a aussi des groupes armés de toute sorte parce que dans la région,
il y a plus ou moins quinze groupes armés. Et chaque groupe armé commet des violences
pour montrer leur autorité. On chasse certains groupes et ils fuient dans un autre
endroit. Pour se venger d’avoir été chassé, c’est sur les femmes qu’ils se précipitent.
Il y a même eu des cas où l’armée nationale a été accusée.
Est-ce qu’il
n’y a pas aussi un problème d’impunité, de connivence ? Alors là, vous êtes
dans le cœur des vrais raisons pour lesquelles cette violence continue. C’est justement
parce qu’il y a de l’impunité. Même quand les villageois se sont réunis pour attraper
au moins un du groupe, il l’amène et deux jours après, le type revient. Et quand il
revient, il est dix fois pire parce qu’il va se venger. L’impunité, c’est la plus
grande raison pour laquelle ces histoires continuent et qui parle d’impunité, parle
de corruption parce que ces gens-là peuvent seulement s’enfuir quand ils ont payé.
Et
s’ils paient, ils ont de l’argent. Et s’ils ont de l’argent, c’est qu’ils ont réussi
à s’en procurer. Bien sûr car ces groupes-là contrôlent les carrières et
les mines et tous ces combats dans la région, c’est pour s’accaparer des mines du
Congo. Tant qu’on n’a pas désarmé tous ces groupes, on peut faire tout ce qu’on veut,
les violences sexuelles continueront. La toute première chose à faire si on veut arrêter
les violences sexuelles, c’est lutter contre l’impunité en imposant au gouvernement
de la région de vraiment appliquer la loi parce que la loi existe mais elle n’est
pas appliquée. La troisième chose, c’est qu’il faut payer les militaires mais il faut
aussi appuyer l’action au niveau local, accentuer la formation de toute la population,
appuyer les programmes pastoraux de l’Église pour éveiller tout le monde à la responsabilité
et au sens de la dignité de chaque personne. Si on ne fait pas cela, on courre le
risque de voir ces gens qui ont été traumatisés, intérioriser cela et vingt ans après,
ils deviendront les tortionnaires des autres. Il faut aussi l’éducation et mettre
dans le programme des écoles à partir des primaires jusqu’aux universités cette question
des violences sexuelles pour que chaque jeune soit formé au respect de la dignité
de ses semblables.
Sœur Victoria Chiharhula Msola est interrogée par
Romilda Ferrauto.